La ferblanterie ou la fabrication des lampions est un métier séculaire qu’exerçaient de milliers d’artisans de Bohicon. Elle exige aussi bien un savoir-faire technique et un goût marqué pour les différents métaux, que de la créativité et de la dextérité. Même si de nos jours, de nombreuses personnes l’ont abandonnée pour diverses raisons, elle résiste cependant parce que d’autres comme Valentin Atinkpasso et ses enfants continuent de l’exercer malgré les péripéties.
Nous sommes au quartier Akpakposlamè (Commune de Bohicon), plus précisément derrière les rails. Il est 9 heures. Le soleil levant darde ses rayons et éclaire l’environnement. Le centre de fabrication artisanale « Le Berger » ouvre ses portes. Sur la cour de Valentin Atinkpasso, la vie a repris. « Ici, nous fabriquons des lampions, des gouttières, des entonnoirs, des tamis et bien d’autres objets dérivés » confie Valentin Atinkpasso, visage perlé de sueur.
Non loin, un club d’animation de femmes du quartier à droit de cité pour détendre l’atmosphère. Sous une paillote de fortune les apprentis, au nombre de quatre ont les yeux rivés sur la matière. Malgré la distraction des femmes, personne n’ose dérober son regard. Chacun s’occupe consciencieusement de son travail au risque d’avoir de leur maître quelques coups de taloches sur la tête.
Dans l’atelier, la méthode du travail à la chaîne est adoptée. Chaque élément du maillon de cette chaîne joue un rôle spécifique bien défini parce que l’heure n’est pas aux futilités. Valentin Atinkpasso, président de l’Association des ferblantiers et gouttières de Bohicon et maître des lieux ouvre l’une des bases ou détache la perspective cavalière des boîtes de conserve. A l’aide de ses ciseaux, son principal outil de travail, il taille sur mesure la boîte étalée.
Après cette étape avec son poinçon et son marteau, il réalise des brèches, où va-t-il fixer le support de la mèche, sur des surfaces circulaires d’environ 3cm de diamètre. Nazaire Atinkpasso, le tout dernier apprenti de l’atelier, rassemble devant lui les boîtes détachées et les couvercles déjà perforés. Assis sur son canapé, les doigts très agiles, il se met à façonner. Il donne la forme et réalise l’objet souhaité. Le produit semi-ouvré est ensuite envoyé au troisième maillon de la chaîne. Elias Atinkpasso, la trentaine environ se charge du côté le plus délicat et difficile du travail. Il s’agit de la soudure.
Ayant capitalisé 5ans d’expérience dans le métier, il parvient à la réussir avec professionnalisme. Il se sert donc de son soufflet, de son fer à souder, d’une pince, de l’éteint et de l’acide préparé avec du zinc pour réaliser les soudures afin de garantir la solidité de l’objet, de bien préciser la forme et de faire ressortir son aspect esthétique. Les plus jeunes de l’équipe assurent les travaux de finition. Ils mettent les lampions et autres dans des paniers pour ne pas les détériorer parce qu’ils sont des objets très fragiles qui se cassent vite. Après la production, l’équipe chargée de la commercialisation se met aussitôt au travail.
L’écoulement du produit
Les lampions, les entonnoirs, les tamis et les gouttières qui sont produits sont commercialisés sur deux différents marchés. Le premier, c’est le marché local de Bohicon. A ce niveau, un comité de trois membres a été mis sur pied pour veiller sur cet aspect. « Cette équipe de commerciaux est mise en place pour plus de traçabilité dans la gestion. Elle permet également de tirer au clair les choses afin de ne pas avoir des démêlés avec les autres qui ont aussi contribué », a expliqué Valentin Atikpasso.
Il a instauré la gestion collégiale et participative au sein de son atelier juste pour renforcer la collaboration et maintenir les apprentis jusqu’à la fin de leur contrat. « Aujourd’hui, les jeunes ne veulent plus apprendre un métier. Pour les intéresser, j’ai fait cette option qui marche », a-t-il ajouté. Sur le marché local, les produits sont vendus en détail à un prix qui varie de 125 à 200 FCfa l’unité en fonction de sa capacité. En dehors de Bohicon, d’autres clients potentiels viennent d’ailleurs pour s’en approvisionner.
Là, ils passent à la maison sur rendez-vous pour vider le stock qui leur est réservé. A leur tour, ils achètent en gros (par douzaine ou par quarantaine) selon les négociations. D’après les confidences de Valentin, la quarantaine est livrée par exemple à 5.000 FCfa ou à 6.500 FCfa. Comparer la vente en détail à celle en gros, il estime que la première est plus rentable que la seconde. Mais, la vente en gros permet de vite écouler le produit et de penser à une autre production.
Les contraintes du métier
Comme tout métier, la ferblanterie a aussi ses contraintes. Elles sont essentiellement liées à l’approvisionnement de la matière première (les boîtes de conserve et l’éteint) qui devient de plus en plus rare et cher. Ils parcourent les cafétérias, les bars restaurants, les hôtels pour collectionner les boîtes de conserve de diverses tailles et de diverses formes.
Lorsqu’il y a rupture de stock à Bohicon, la commande est lancée ailleurs dans les autres régions. Cette matière qui, jadis, traînait dans les rues et sur les tas d’immondices, fait remarquer valentin, se fait de plus en plus rare. Ainsi, on note à l’achat une flambée du prix qui se justifie par l’exploitation massive que l’on en fait de nos jours. Sans trop aller dans les détails, il informe que ces boîtes de lait, de tomate, de café et de Milo sont achetées actuellement à 25 FCfa pièce au lieu de 10 FCfa par le passé.
« La rareté des boîtes de conserve induit la cherté de nos produits. Ce qui n’est souvent pas du goût des clients », a renchéri Valentin Atinkpasso. Pour lui, ce travail de collection est l’une des plus importantes étapes du processus de fabrication. Il évite la pollution de l’environnement dans la mesure où ces emballages qui, autrefois, se retrouvaient dans la rue après usage, servent autrement la population. Au regard de toutes ces difficultés le produit fini revient cher et en fin de compte, ne permet pas aux artisans d’amortir les dépenses effectuées.
Ce qui fait dire à Valentin Atinkpasso que ce métier n’est plus rémunérateur comme par le passé. En se référant aux années 69, quand il a reçu sa libération, il a estimé que la ferblanterie ne nourrit plus son homme. Cependant, il assume parce que c’est un choix de ses parents qui ne l’avaient pas inscrit à l’école coloniale.
Les lampes torches engorgent le marché
Sur le marché, les lampions résistent à la concurrence des lampes torches importées. Malgré l’avènement de ce moyen moderne d’éclairage, les lampions sont toujours utilisés aussi bien dans les villes que dans les campagnes.
Les personnes interrogées ont donné leurs raisons par rapport à leur choix. « Au village, nous continuons d’utiliser les lampions parce que nous n’avons pas le courant électrique » a déclaré Pauline Mitokpè. « Il faut dire que les lampions sont non seulement pratiques mais aussi plus économiques que les lampes torches qui coûtent chères », complète Véronique Gandjèto. Tel n’est pas le cas chez Christine Lokonon. Elle a fait l’option d’utiliser les lampes torches à la cuisine tout comme au salon en cas de coupure électrique. « Ces lampes à portée de toutes les bourses, aujourd’hui sont pratiques et faciles à transporter.
Mieux, son utilisation m’épargne des éventuels dangers et maladies pulmonaires qui résultent de l’inhalation de la fumée noire et de la mauvaise manipulation », a-t-elle justifié. Mais une question reste posée. Avec les nombreux programmes d’électrification rurale et les projets de construction de barrages électriques, que deviendront l’usage de ces lampions et quel sera le sort de ses fabricants ?