Fulbert ADJIMEHOSSOU,
Trop de morts. Trop de dégâts. La persistance des affrontements ces derniers temps dans certaines localités sonne comme une urgence pour que des solutions participatives et durables soient trouvées face à un mal qui brise la fraternité et sème les germes de la terreur. En réalité, l’interdiction en décembre dernier de la transhumance transfrontalière a tôt fait de laisser croire dans l’opinion à la fin d’un mal profond qui a souvent semé la mort sur son passage. Hélas. Désormais, il est important de lire la situation sous plusieurs angles : l’opportunité de se concentrer sur les difficultés de vivre ensemble qui existent entre les agriculteurs et les éleveurs nationaux.
Primo : faire un diagnostic participatif
Le diagnostic est connu de tous. Les cadres des Ministères de l’Agriculture, de la Sécurité Publique ou du Cadre de Vie ont leur idée des difficultés. Mais sur le terrain, selon les contraintes liées aux activités agro-pastorales et les considérations sociales, les acteurs sur le terrain ont les leurs. S’arrêter juste à un diagnostic administratif, à la limite scientifique si les experts sont associés, ne serait qu’une vue limitées de tant de réalités qui continuent d’alimenter dans l’ombre une crise que le scénario « interventions policières-sensibilisation et discours politiques », ne peut changer toute de suite.
Secundo : « Dialoguer pour se comprendre »
Cette piste n’est que le prolongement de la précédente qui est primordiale. Il ne peut y avoir de paix durable entre éleveurs et agriculteurs sans un dialogue, sans que les uns ne se vident et que les autres tentent de se justifier sur leurs dérives. S’en tenir à des lois, des arrêtés, des sensibilisations post-affrontements ne pourra point résoudre grand-chose. D’ailleurs, les propos tenus, il y a quelque mois sur BB24 par Adamou Mama-Sambo, Président de l’Association pour la promotion de l’élevage au Sahel et en Savane pour le Bénin, permettent d’être mieux situés. « On prend toujours les problèmes du mauvais côté. Ce n’est pas un arrêté ou la loi qui vont permettre à une activité pastorale de se dérouler sans écueils et incidents. Il y a une anticipation, une gestion à faire par rapport à tout ça. Depuis plusieurs années, ça nous manque au niveau des pays côtiers », a-t-il déploré avant d’ajouter :
« Quand on parle de problèmes entre acteurs transhumants et agriculteurs, il faut reconnaître que ce sont des acteurs qui se côtoient mais sans réellement se connaître ou sans connaître les problèmes auxquels l’autre est confronté. Quand l’éleveur est derrière son troupeau, les animaux broutent et lui-même la tête baissée, il les suit. Pareil pour l’agriculteur qui est concentré sur sa houe et ne s’occupe pas de son voisin l’éleveur. Ces deux systèmes sont appelés à cohabiter et se soutenir. On a des efforts à faire. Chacun reste dans son coin comme nos Etats restent dans leurs coins pour trouver des solutions pour parer à une situation ». Et au Professeur Michel Boko de réagir il y a quelques jours à la suite des incidents de Malanville : « On a voulu apporter une solution technocratique à un problème anthropologique : hydraulique rurale, ranching, arrêté interministériel... La solution est ailleurs ».
Tertio : Aménager
Tout repose sur l’aménagement. Jusque-là les incidents surviennent parce que des bœufs auraient fait des dégâts dans un champ ou dans un autre. Il y a bien souvent des morts parce que des agriculteurs tentent de défendre leurs espaces. Mais si l’espace était aussi aménagé, suivant des politiques bien définies sur la base des évaluations précises pour ne pas dire scientifiques, chacun pourrait se sentir à l’aise dans l’espace à lui dédié. C’est une approche à laquelle il est temps de penser pour l’avenir, en tenant compte des défis climatiques. Pas pour accentuer la ségrégation pour que chaque acteur reste dans son coin et donc droit dans ses bottes, prêt à dégainer au moindre débordement de l’autre. Les éleveurs peuvent s’investir eux aussi dans la recherche de terres, avec l’appui des pouvoirs publics. L’Etat quant à lui, aura un grand rôle à jouer.
Professeur titulaire des universités, spécialisé en Zootechnique, Marcel Benjamin Houinato suggérait, en décembre 2019, que l’Etat fasse l’effort de « connaître réellement ses potentiels en matière de ressources pastorales. Il faut appuyer des programmes pour quantifier réellement ce qui existe comme fourragères provenant des pâturages naturelles et de nos champs, une fois la récolte faite ». Pour ce qui ressort du domaine technique, des réflexions suivant une démarche transdisciplinaire, avec une pleine participation de scientifiques, d’administratif, et de représentants des communautés concernées pourraient favoriser l’ultime symbiose attendue, afin qu’agriculteurs et éleveurs cessent de se voir comme des ennemis et que cesse de couler le sang. On aurait circonscrit un problème, pour éviter qu’il ne se mue en d’autres plus dangereux du fait des frustrations : le terrorisme.