Après l’avènement du premier cas du Sida au Bénin en 1985, le pays s’est résolument engagé aux côtés des autres nations du monde, à donner une riposte conséquente à cette pandémie qui détruit, tel un tsunami, tout sur son passage. 28 ans après, le Bénin compte encore quelques 63.000 personnes vivant avec le VIH pour une prévalence de 1,2% au sein de la population générale. En dépit des nombreux efforts fournis par les gouvernants, les partenaires au développement et la société civile, l’idéal auquel invite l’ONUSIDA : « Zéro nouvelle infection à VIH, zéro discrimination, zéro décès lié au sida » est encore loin d’être une réalité au Bénin. Ce dossier vous propose le décryptage de la riposte du Bénin au VIH/SIDA, d’une façon générale et plus spécifiquement en milieu scolaire et universitaire. Retour sur un combat qui mobilise tant d’énergies et de synergies
Mercredi 20 Novembre 2013. Il est 6 heures 30 minutes à l’hôpital de zone de Suru-Léré, à Cotonou, la capitale économique du Bénin, l’un des 89 sites de prise en charge des personnes vivant avec le VIH que comptent les douze départements du Bénin aujourd’hui. Jeunes filles et jeunes gens, vieillards et enfants se bousculent pour recevoir les Antirétroviraux (ARV).
Fatouma Agamba*, la trentaine, le regard scrutant l’horizon, n’a pas la force de se battre comme les autres, visiblement affaiblie par sa grossesse de six mois. Elle s’assoit par terre, une main sur la tempe. «J’ai le SIDA depuis 2008 et je suis ici pour prendre les ARV», nous a-t-elle déclaré avant de poursuivre : « Mon mari lui, n’est pas malade, j’ai beaucoup de malaise avec ces médicaments que je dois prendre toute ma vie en me cachant surtout de ma belle famille et des gens qui me connaissent. C’est vraiment pénible!» Fatouma n’est pas isolée dans son cas. Elle fait partie des nombreuses femmes au Bénin qui souffrent du VIH/SIDA. En 2006, avec Macro International, une agence internationale de recherche, le Bénin a organisé une Enquête Démographique et de Santé (EDS+) qui a permis d’estimer une prévalence de 1,2% au sein de la population générale avec une forte dominance féminine : 1,5% chez les femmes contre 0,8% chez les hommes, soit en moyenne 188 femmes infectées pour 100 hommes. Cette situation est variable selon les départements et le milieu de résidence.
Georgette Apeto*, nous a confié qu’elle a eu son premier rapport sexuel à 28 ans. « Et ce fut le début de mon calvaire », a-t-elle déclaré les yeux totalement humides, la gorge serrée, la voix tremblotante. Membre du staff d’une banque de la place, elle a un diplôme de troisième cycle en économie. « C’est tout ça que je voulais éviter en prenant d’abord le temps d’étudier. Mais c’est cet homme qui m’a déviergée qui m’a donné le SIDA que je traine encore aujourd’hui sans mari et sans enfant », a-t-elle affirmé, déconcertée.
En fin 2012, selon les statistiques du PNLS, le Bénin comptait 30.245 malades ayant besoin d’ARV pour une file active de 26.018, soit une couverture de 86%. Ce nombre a été revu à la baisse après l’audit de la file active en Juin 2013.
Le Dr Moussa Bachabi, chef service suivi-évaluation au PNLS, précise que le Bénin a, à la fin du premier semestre 2013, une file active de 22.937 malades du SIDA dont 1.268 enfants et 609 femmes recensées dans le cadre de la prévention transmission mère-enfant (PTME).
Le Rapport National 2012 de Suivi de la Déclaration Politique sur le VIH/SIDA rédigé par toutes les parties prenantes à la lutte, renseigne en s’appuyant sur le document d’Enquête de Surveillance de Deuxième Génération (ESDG-Bénin, 2008) qu’au sein des populations clés plus exposées aux risques d’infection, la prévalence de l’infection par le VIH est estimée respectivement chez les Travailleuses de Sexes (TS) et leurs clients en 2008 à 26,5% et 3,9%. De même, on peut lire dans le rapport de l’étude sur les modes de transmission du VIH au Bénin (ONUSIDA-CNLS, mars 2009), que la prévalence chez les consommateurs de drogues injectables (CDI), les hommes ayant les rapports sexuels avec des hommes (HSH) est estimée à 6,3% pour les CDI et 4,9% pour les HSH.
Tous ces indicateurs permettent de suivre l’évolution de la maladie et d’ajuter à chaque fois la riposte.
DES ARV en ruptures cycliques!
Selon le Dr Amédée de Souza, chargé de la coordination de la prise en charge médicale du VIH/SIDA au PNLS, le Bénin comptait 82 sites de prise en charge des PVVIH au 30 juin 2013. Mais à la date d’aujourd’hui, « nous sommes passés à 89 sites puis avant la fin de l’année, nous serons à 92 » a-t-il indiqué. Pour ce spécialiste de la lutte au Bénin, la prise en charge des malades est bien organisée et structurée. Les principes de cette prise en charge sont consignés dans le « document politique, normes et procédures pour la prise en charge des PVVIH au Bénin ». Cette prise en charge implique les médecins, les paramédicaux, les infirmiers et sages-femmes, les assistants sociaux, les psychologues, les médiateurs dont le rôle est capital. Il explique que le malade mis tôt sous ARV a de grandes chances de vivre normalement le plus longtemps possible. Malheureusement sur le terrain, les ARV ne sont pas toujours disponibles.
La plupart des 46 ONGs réunies au sein du Réseau Béninois des Associations de PVVIH (RéBAP+) affirme que les ruptures cycliques des ARV ne sont pas de nature à améliorer l’état de santé des malades.
Le Dr Mireille Ahoyo, chef-service gestion des stocks au PNLS reconnaît qu’effectivement, il y a des ruptures d’ARV et de réactifs qui ne dépendent pas du PNLS. « Nous faisons nos quantifications et exprimons nos besoins en temps réel, mais les procédures du Fonds Mondial et du budget national sont très lourdes. Jusqu’à l’heure où je vous parle, nous n’avons reçu aucun stock de 2013 ni du Fonds Mondial, ni du budget national», a-t-elle martelé.
Le directeur exécutif Nourou Adjibade de CéRADIS-ONG avertit que les problèmes de la prise en charge au Bénin doivent interpeler les dirigeants au plus haut niveau car « si rien n’est fait, on se retrouvera avec beaucoup de malades en deuxième ligne alors que le Bénin n’a pas pris les dispositions subséquentes ».
Au Bénin, il n’y a pas que les ARV qui donnent l’insomnie aux malades. La question de la stigmatisation se pose aussi avec grande acuité.
La stigmatisation, l’autre virus qui tortue les PVVIH
Le Dr Aldric Afangnihoun, gestionnaire de l’un des plus importants sites de dépistage et de prise en charge des PVVIH à Cotonou, souligne que « les malades réagissent bien et vivent bien lorsqu’ils sont pris en charge sans discrimination et avec un suivi personnel. Mais la stigmatisation dans notre société reste un mal pernicieux. » Il ajoute : « je consulte plusieurs cadres qui viennent tard la nuit évitant le regard public et qui m’interdisent aussi de les approcher en public. Allez-y comprendre ! Il faut que notre société change son jugement sur les PVVIH.»
Selon Lucien Hountohou, président de l’association Action, Espoir et Vie (AEV), première organisation de lutte pour le bien-être des PVVIH, « plusieurs malades abandonnent le traitement pour des raisons de pauvreté extrême et de stigmatisation. Pour éviter de se faire indexer dans la rue, ils quittent le Nord du Bénin pour le Sud pour se faire soigner. Beaucoup prennent les molécules sans manger. »
Le père Camélien Bernard Moegle, du site de prise en charge des PVVIH de Davougon à Abomey, une ville du centre-sud du Bénin, estime que le principal problème, ce sont les ’perdus de vue’. «Ils disparaissent et abandonnent le traitement à cause de la stigmatisation, la pauvreté...» Soutenu par l’ONG Plan Bénin, ce site offre une prise en charge intégrale aux malades.
Josephine Amégan* est aussi engagée dans la lutte contre le SIDA en tant que médiatrice. Lorsqu’elle a connu son état sérologique en 2000, elle s’est dirigée vers la mer pour se donner la mort avant d’être sauvée par un homme, raconte-t-elle.
«L’idée de vivre tout le reste de ma vie avec cette maladie, à prendre des comprimés, m’a tout de suite répugné, et le comble, ce sont mes parents» qui ne supporteraient pas la nouvelle, affirme-t-elle. «Survivre avec le SIDA au Bénin est un véritable challenge. Il est très difficile de respecter les heures des prises quotidiennes, de supporter les effets secondaires et de se cacher».
Face à cette situation dramatique, le Dr Antoinette ASSANI du Comité National de Lutte contre le Sida (CNLS) souligne l’importance de la prise en charge psychologique. En tournée à Natitingou, dans le nord-Bénin, elle affirme que sa rencontre avec les psychologues a été très enrichissante. « Je crois que les psychologues doivent nous aider à fortement soutenir les PVVIH pour qu’ils puissent avoir un moral fort, prendre leurs médicaments et ne pas abandonner les traitements. »
L’accompagnement psychologique des séropositifs est très délicat, déclare Wilfried Djogbénou, psychoclinicien au Centre de traitement ambulatoire des PVVIH à Cotonou, la capitale économique béninoise. «Nous les amenons à accepter leur état, à se déculpabiliser, à suivre le traitement, et à espérer que la vie est encore possible avec cette maladie».
Pour combattre les effets nocifs de la discrimination, le Bénin a pris la loi n° 2005-31 du 30 Avril 2006, portant prévention, prise en charge et contrôle du VIH/SIDA.
Le combat sur les fronts scolaires et universitaires
Les divers ordres de l’enseignement au Bénin ne sont pas en marge de cette lutte contre le SIDA. Du Ministère des enseignements maternel et primaire au Ministère de l’enseignement supérieur en passant par le secondaire, tous sont engagés dans ce combat national et international.
Au Memp
L’Unité Focale de Lutte contre le SIDA UFLS/MEMP est une institution créée depuis 2002 pour riposter vigoureusement au VIH/SIDA en milieu scolaire. Pour le Directeur Mathieu TAÏWO, la vision de UFLS/MEMP est que « d’ici à 2015, les acteurs du système éducatif, accèdent à une éducation qui leur permette d’adopter un comportement responsable face à la pandémie du sida.» Si l’objectif de l’UFLS/MEMP est d’assurer la prévention et la gestion efficace et efficiente de l’impact du VIH sida en milieu scolaire et au sein des structures du Memp, ses moyens d’actions sont la formation, la sensibilisation, l’information et l’orientation des personnes infectées etc. Et justement en termes d’éducation pour un changement de comportement, l’UFLS a atteint la cible du personnel des enseignements maternel et primaire, les élèves-maîtres, les conseillers pédagogiques et les inspecteurs. Au niveau national comme au niveau départemental, des Clubs Anti-Sida (CAS) ont été mis en scelle pour servir de relais à l’information et à la formation. Sur un effectif de 500 hommes dépistés par l’UFLS/MEMP, il y a eu douze (12) porteurs du VIH. Au niveau des femmes sur un effectif de 402, il y a eu cinq (5) infectées.
« Au niveau des écoliers, nous les sensibilisons. Par exemple, nous leur disons que la lame qui a servi à couper X ne doit plus servir à Y et nous savons que lorsque les enfants sont informés, la famille est formée », a fait remarquer M. TAÏWO.
Au secondaire
Sous la houlette de l’amazone Olga ADOVOEKPE Behanzin, l’Unité focale de lutte contre le SIDA du MESFTPRIJ axe son discours sur la sensibilisation, la prévention. « Nous avons plus d’un million d’élèves à gérer. La plupart du temps, c’est la sensibilisation. C’est-à-dire que nous sommes en amont. Tout faire pour que les élèves n’aient pas le VIH/SIDA. On cible les écoles en fonction des départements et des taux de prévalence. Là où les comportements à risque sont plus élevés. Nous les sensibilisons sur le VIH/SIDA et sur l’éducation sexuelle en général. »
Les statistiques au secondaire sont quasi-inexistantes, parce que « chaque fois que nous organisons des dépistages, nous avons toujours des résultats négatifs. Au fil du temps, nous avons compris que ce sont ceux qui connaissent déjà leur état sérologique qui se font encore dépister, mais vu les comportements à risques que ces enfants ont, nous pensons que ces résultats ne renseignent pas sur la réalité», a expliqué la coordonatrice. Le contenu du discours ici est « Abstinence, bonne fidélité, condoms et dépistage. Le dépistage, je l’appelle la carte d’identité sérologique. Mais nous insistons sur l’abstinence parce que ces enfants qui vont à l’amour tôt, est-ce que leur corps est mûr ? Il faut une certaine maturité du corps. Il faut savoir s’affirmer en disant NON », a déclaré Olga A. Behanzin. Elle demande aux parents de ne pas démissionner : « Il faut parler avec vos enfants. Vous courez, vous cherchez de l’argent et vous abandonnez l’éducation, si vos enfants ont le VIH demain ou n’importe quelle IST, c’est d’abord votre échec. »
Au supérieur
Avant 2010, les indicateurs étaient au rouge en milieu universitaire. Une prévalence de 5,1% d’infections sexuellement transmissibles y compris le VIH/SIDA. Suite à l’intervention combinée du gouvernement, du Fonds Mondial, de Plan Bénin, et de PSI, les universités du Bénin affichent aujourd’hui une prévalence de 3,7%. Sur 5.000 étudiants dépistés, environ une centaine est infectée. François AGOUNKPE, Chef programme Lutte contre le Sida précise qu’ « en milieu universitaire, la lutte se fait par l’approche de pré-éducation. Nous avons les étudiants que nous organisons au sein du Club Anti-Sida. Et ces Clubs Anti-Sida se chargent de la mobilisation sur le terrain, donc nous travaillons à leur donner tous les moyens dont ils ont besoin. Depuis 2010, nous avons commencé à travailler à ce que les étudiants aient accès au service de prévention. »
François AGOUNKPE explique qu’en milieu universitaire, il existe trois profiles d’individus. « Nous avons les étudiants déjà habitués au sexe. A ceux-là, nous préconisons souvent le préservatif. Ensuite, nous avons les étudiantes et étudiants vierges ou chastes, très nombreux encore et nous les encourageons sur le chemin de l’abstinence. Il y en a aussi d’étudiants déjà mariés et nous leur conseillons la bonne fidélité et non les fidélités en série ou relative. Mais nous les encourageons tous à aller fermement vers le dépistage parce que c’est le dépistage qui nous permet d’avoir les indicateurs.»
François AGOUNKPE a affirmé que cette année, les infirmeries d’Abomey-Calavi et de Parakou ont eu des cas d’infection au VIH qui n’ont malheureusement pas survécu. Néanmoins, il note que les perspectives sont bonnes puisqu’en milieu universitaire, les indicateurs sont en train d’être maîtrisés.
Le regard de ONUSIDA sur la riposte
Les informations de la carte Pays pour le VIH en 2013 éditée par ONUSIDA Bénin à la base de la déclaration politique du pays sur le VIH renseignent que le Bénin dénombre quelques 62.000 personnes. La carte ci-contre indique à suffisance l’état du Bénin sur la maladie. Selon ALLADJI Osséni Yessifou, conseiller en information stratégique à l’ONUSIDA, le Bénin a fait beaucoup de progrès dans la riposte au VIH notamment grâce à une volonté politique affichée, un environnement plus ou moins favorable à la lutte, des normes clairement définies, l’engagement conséquent des acteurs de la société civile et des personnes ressources compétentes; « mais le Bénin peut mieux faire », a-t-il souhaité.
Le SIDA dans le monde
La lutte contre le VIH/SIDA est le 6ème des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). L’objectif est d’enrayer et de commencer à inverser la propagation du VIH/SIDA, d’ici à 2015. Selon le rapport 2013 des OMD, l’incidence du VIH diminue régulièrement dans la plupart des régions; mais 2,5 millions de personnes sont nouvellement infectées chaque année, pour la plupart (1,8 million) en Afrique subsaharienne. Au plan mondial, le nombre de personnes nouvellement infectées par le VIH continue de baisser, avec une diminution de 21% de 2001 à 2011. En 2011, le nombre d’enfants de moins de 15 ans infectés par le VIH a diminué de 230.000 par rapport à 2001. En l’espace d’une décennie, les nouvelles infections en Afrique subsaharienne ont chuté de 25%. Environ 820.000 femmes et hommes entre 15 et 24 ans ont été nouvellement infectés par le VIH en 2011 dans les pays à revenus faibles et moyens; plus de 60% sont des femmes.
En somme, il faut retenir pour le Bénin, avec le Dr Amédée De Souza, quelques 63.000 sidéens déclarés pour une population d’environ 9.983.884 habitants résidents des deux sexes selon le Quatrième Recensement Général de la Population et de l’Habitation (RGPH4). Mais attention à la nouvelle donne du fonds mondial qui risque de faire chavirer les résultats actuels si les dirigeants ne prennent la mesure de l’enjeu. Le fonds mondial qui soutient à hauteur de 70% le Bénin dans l’achat des ARV, commence, en effet, à se désengager progressivement et demande aux Etats africains de prendre leurs responsabilités. Les gouvernants doivent donc s’armer financièrement s’ils ne veulent par avoir des décès en série sous la main.