La commune de Savè et plus précisément le village de Kaboua abrite le site Babaguidaï. Ce site sacré et potentiellement touristique est pratiquement inconnu des Béninois. Votre journal vous amène à la découverte de cet attrait à la fois historique, cultuel et culturel.
La case fétiche de Babaguidai
Il est 7 heures ce samedi 09 novembre 2019 à Kaboua dans la commune de Savè. Un épais brouillard couvre le village. Faibles à cette heure de la journée, les rayons du soleil ont du mal à percer cet amas de nuages blanchâtres. La fraîcheur de ce début d’harmattan facilite notre expédition. Drapé dans sa tenue locale, coiffé d’un chapeau blanc, avec des perles au cou et aux poignets, et un éventail en main, Agaani Babaguidaï, le gardien des lieux sacrés, nous convie à une marche. Sur une piste serpentée qui se perd dans une formation végétale, nous tournons dos au village, laissant derrière nous une timide animation de salutations matinales des populations. Direction, le site sacré de Babaguidaï, distant de quelques kilomètres du village. Sur ce sentier à peine visible qui traverse une végétation verdoyante et gravit la colline qui culmine sur plusieurs mètres de haut, le décor naturel, reposant et calme tranche avec les agitations de la ville. Le sol encore humide qui reçoit nos pas, témoigne de la fraîcheur de la rosée.
Ce tableau naturel fait de végétation tantôt touffue, tantôt parsemée, de chants d’oiseau à la fois proches et lointains est un décor propice à l’inspiration d’un peintre pétri de talent. Sur cette colline qui donne une vue panoramique sur le village, nous poursuivons notre ascension à un rythme soutenu. Afin de dissiper le stress qui s’empare de nous au fur et à mesure qu’on progresse, nous engageons la conversation sur divers sujets.
Après environ trente minutes de marche, une petite case logée au beau milieu des arbres se laisse apercevoir. Construite en terre battue, d’environ 1,50m de haut, de 3m de long et de 2wm de large, coiffée de feuilles de tôle, cette case est le site de Babaguidaï. Par un signe de la main, Agaani nous demande de nous arrêter. Il se déchausse et se dirige vers un Iroko entouré d’un tissu blanchâtre. Après quelques paroles d’incantations prononcées au pied de cet arbre, il se dirige vers la case sacrée avec injonction de le suivre. Il toque à la porte d’entrée, l’ouvre, entre et fait quelques rituels à l’aide de colas et de la boisson locale « Sodabi ». Quelques minutes après, il nous invite à manger des morceaux de colas et à boire un peu de cette boisson. Il s’installe par la suite à même le sol pour nous entretenir sur Babaguidaï. A l’en croire, l’Iroko entouré de tissu blanchâtre est la canne de chasse de Babaguidaï. Et cette case est l’endroit où il a disparu. Selon l’histoire, Babaguidaï n’était pas mort comme tout être humain. Il s’était volatilisé et avait laissé tomber sur ces lieux la chaîne qu’il portait. Et c’est cette chaîne qui est devenue magique de nos jours. « Nous sommes ici sur un lieu sacré. Si on était venu avec un bœuf, la chaîne magique allait sortir. Cette chaîne sort sur plusieurs mètres, entoure le bœuf pour l’anéantir… », confirme Agaani Babaguidaï avec assurance. Il suffit de faire des offrandes sur ce lieu sacré pour obtenir tout ce qu’on demande à Babaguidaï.
L’arbre fétiche démontrant le pouvoir de Babaguidai
Qui était Babaguidaï ?
Selon la légende, Babaguidaï était un puissant chasseur Shabè venu de Boko au Nord Bénin avec ses frères. « Ses parents ont quitté la Mecque pour le Nigéria, plus précisément à Ilé Ifè. De là, ils sont arrivés à Boko au Nord Bénin où ils ont longtemps séjourné au milieu du peuple Bariba. C’est là que Babaguidaï et ses trois frères sont nés, Worou, Chabi et Bio. Babaguidaï était l’aîné donc, Worou. Ils étaient tous des chasseurs redoutés, mais Babaguidaï avait une ascendance sur eux », déclare Agaani. A la quête de territoire de chasse, les trois frères ont migré du Nord vers le Centre Bénin. Et dans leur évolution, ils ont fondé plusieurs villages shabè. « En chassant, ils faisaient des arrêts sur leur route. Le premier arrêt était Parakou, ensuite Tchaourou, Kilibo Adjougou, Ikèmon…, bref tous les villages situés le long de la voie inter-Etats actuelle depuis Parakou jusqu’à Savè ont été créés par Babaguidaï et ses frères.
Babaguidaï poursuit son chemin
Sur le trjet de Babaguidai
Mais en cours de route, Babaguidaï a abandonné ses frères pour continuer seul son chemin en chassant avec ses disciples. C’est ainsi qu’il a atteint Kaboua, situé à quelques kilomètres d’Alafia. « A cet endroit, il a aperçu de la fumée venant du haut de la colline. Il s’est dit, s’il y a de la fumée, c’est qu’il y a des êtres humains qui s’y trouvent. Il s’est donc dirigé vers cet endroit et a effectivement vu quelqu’un à côté de ce feu. Il lui posa la question de savoir s’il vit seul dans la localité. L’homme répondit à Babaguidaï qu’ils sont deux, mais que le second, son frère "Yagba" vit à Okpara (un affluent du fleuve Ouémé), il ne voit pas le soleil. Un vendredi, Babaguidaï a donc décidé d’aller aussi rencontrer "Yagba" à Okpara. Après quelques heures de route, il l’aperçoit, habillé en blanc et assis sur une pierre au milieu du cours d’eau. Mais en voulant s’approcher de lui, "Yagba" plonge dans l’eau et disparaît. Babaguidaï revient faire le point à l’autre qui habitait sur les collines. Ce dernier l’a mis en garde contre la puissance de son frère et qu’il valait mieux qu’il évite de le rencontrer... », déclare le gardien des lieux. Déterminé, il ne l’a pas écouté. La deuxième tentative de Babaguidaï fut aussi un échec. Considérant cette situation comme un défi, Babaguidaï se serait préparé mystiquement un vendredi pour aller à la rencontre de « Yagba ». Voulant disparaître au fond de l’eau comme d’habitude, Babaguidaï immobilisa Yagba à l’aide des incantations. La rencontre eut alors lieu et les deux hommes ont pu discuter. Babaguidaï a donc décidé de rentrer avec Yagba qu’il a installé dans une forêt, au pied des collines. Babaguidaï va alors informer celui qui est sur les collines qu’il est rentré avec son frère. Surpris, il est allé à la rencontre de Yagba. Les trois hommes et leurs suites respectives ont alors décidé de vivre ensemble et de se protéger mutuellement. D’où « Kabo Ahawa » (protégeons-nous) devenu Kaboua avec la colonisation. Ainsi est créé Kaboua situé dans l’actuelle commune de Savè. Le gardien des lieux, jetant des coups d’œil tout autour de ce site sacré, regrette l’état de dégradation dans lequel il se trouve. Abandonné en pleine brousse, sans aucun entretien, ce site se meurt et les gens n’y viennent que pour faire des offrandes. « C’est dommage que les choses se passent ainsi. Il n’y a même pas une petite fête annuelle consacrée à cet important site », déplore-t-il. Pourtant, Babaguidaï est un potentiel site touristique pouvant contribuer au développement de la commune de Savè en général et de Kaboua en particulier. Après quelques heures passées à cet endroit chargé d’histoire, notre guide met fin à la causerie. Sur le chemin du retour, partagé entre fierté et tristesse, nous nourrissons, avec le gardien de la tradition, le rêve que ce site encore inconnu retiendra enfin l’attention des décideurs.