Difficile d'être Béninois par les temps qui courent. L'affaire Patrice Talon, qui implique l'Etat à son sommet, tourne au vaudeville. C'est-à dire à une comédie distrayante, tissée d'intrigues et de rebondissements. Elle nous plonge tous dans un tragique questionnement.
Aurions-nous passé le plus clair de notre temps à monter en épingle une banale affaire qui n'aurait dû jamais sortir du périmètre étroit d'une querelle familiale ou d'une brouille entre membres d'une même coterie, d'une même chapelle ? Et pourquoi avoir fait jouer à l'Etat un rôle qui n'aurait pas dû être le sien ?
Après tout le tremblement de terre qu'elle a provoqué, cette affaire d'empoisonnement du Chef de l'Etat ne peut pas se terminer ainsi. Aussi bien devant la Justice du Bénin que devant la Justice de la France. Les arrêts de non-lieu rendus de part et d'autre tendent à conclure, malheureusement, que, dans cette affaire, quelqu'un ne dit pas la vérité ou quelque chose s'oppose à la manifestation de la vérité. Dans un cas comme dans l'autre, les conséquences sont gravissimes.
L'émotion aura été le carburant le plus fort, le plus puissant pour propulser nombre de nos compatriotes au sommet de l'indignation et de la révolte. On ne peut pas ne pas comprendre leur légitime réaction. Attenter à la vie d'un semblable est un crime. A affecter, tout naturellement, d'un coefficient fort quand ce semblable n'est autre que le premier d'entre nous tous. Il s'agit bien du Président de la République, Chef de l'Etat, Chef du gouvernement. De celui à qui échoit le privilège de présider aux destinées de 10 millions de ses compatriotes.
Et les marches et les prières organisées ici et là, juste après que des coupables ont été désignés, tendaient à nous apitoyer sur ce qui aurait été le sort de notre pays si les comploteurs étaient parvenus à leurs funestes fins.
Le Bénin, disait-on, aurait été décapité, du jour au lendemain, par l'action luciférienne d'une poignée de nos concitoyens égarés. Le Bénin, soutenait-on, aurait basculé sur son socle avant de s'affaler dans la boue de sang de la guerre civile. Le Bénin, argumentait-on, aurait alors hypothéqué son présent et son avenir, comme bien d'autres pays ont eu à le faire.
Par ailleurs, il nous était donné de prendre la mesure de l'ingratitude la plus noire et de la déloyauté la plus ténébreuse, au vu de la personnalité des mis en cause. Une des nièces du chef de l'Etat a été citée. Ce qui vient conforter l'adage yoruba "Ilé Ni ku wa". Ce qui finit par nous tuer se trouve dans notre proximité, si ce n'est en notre intimité. Le médecin personnel du Chef de l'Etat a été mis en cause.
On ne pouvait trouver mieux pour projeter l'image la plus hideuse, la plus répugnante d'un des disciples d'Hippocrate. En somme la trahison faite homme, dans le désert des valeurs que serait devenu le Bénin.
Souvenons-nous en : l'affaire a éclaté en octobre 2012. Le monde, étonné, commença par réviser la belle idée qu'il se faisait du Bénin. Ceci, à coups de poncifs du genre "Le Bénin, terre de démocratie", "Le Bénin, le berceau des conférences nationales souveraines en Afrique". Nous nous sommes ainsi désignés à l'attention universelle et les caméras du monde se mirent aux basques de notre pays.
Nous sommes à l'ère de la communication sans frontières. Ce qui réduit le monde aux dimensions du "Village planétaire" que prophétisait le Canadien Mc Luhan.
Le 17 mai 2013, le juge béninois Angelo Housou a rendu son ordonnance de non-lieu. Ce qui fut confirmé en appel quelque temps après. Le ver était déjà dans le fruit. Ceux qui appelaient alors à une marche prudente dans une affaire dans laquelle le Bénin jouait gros, en termes d'image et de cohésion sociale, s'étaient vu rudoyer et vouer aux gémonies. Le clergé catholique, par exemple, en fit les frais.
La justice française saisie de cette affaire en vue d'une possible extradition vers le Bénin de Patrice Talon, présumé cerveau de cette affaire, posa des conditions et exigea des preuves. Le 18 septembre 2013, la justice française examina l'affaire pour la troisième fois. Le 23 octobre 2013, elle renvoya le verdict au 4 décembre 2013.
On connaît la suite. La plainte du Bénin devant les juridictions françaises a fait chou blanc. La justice des hommes à Cotonou comme à Paris blanchit Patrice Talon. Reste la justice de Dieu. Les différentes parties n'auront ni à constituer des dossiers ni à s'attacher les services d'un conseil. La Justice de Dieu ni ne blanchit ni ne noircit. La Justice de Dieu n'a pas de couleurs.