Des appareils auditifs ou des kiosques de recharge de téléphones portables fonctionnant à l’énergie solaire, une monnaie éthique qui ne s’échange que dans un bidonville, des produits pharmaceutiques issus de la pharmacopée traditionnelle, des sacs à dos permettant de faire le plein de biogaz, des triporteurs équipés de caissons isothermiques pour poissonniers ambulants, des objets fabriqués à partir de sacs plastiques recyclés...
On trouvait de tout, jeudi 5 décembre, à Paris, au forum consacré par le ministère des affaires étrangères et l’Agence française de développement (AFD), à l’innovation en Afrique. Organisé en marge du sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique, qui se tient les 6 et 7 décembre, ce forum avait pour objectif de mettre « en lumière des innovations, inscrites dans le développement durable, portées par des innovatrices et innovateurs africains ».
Vingt-et-un de ceux-ci sont venus à Paris présenter leurs projets respectifs, qui figurent parmi les cent innovations retenues au terme d’un appel d’offres lancé en septembre par Pascal Canfin, le ministre chargé du développement. Présentation de quelques-uns de ces entrepreneurs, venus de quatre coins du continent.
Sénégal : une bourse en ligne pour les producteurs d’oignons
Aboubacar Sidy Sonko incarne à merveille cette génération de jeunes entrepreneurs africains compétents et sans complexe. Ce Sénégalais de 34 ans est l’inventeur de la plate-forme Mlouma, qui permet de connecter producteurs et acheteurs de produits agricoles par le biais d’Internet et l’envoi de SMS. « L’idée m’est venue à l’occasion du concours Orange de l’entrepreneur social en Afrique, pour lequel il fallait présenter une application s’adressant à des personnes se situant en bas de l’échelle sociale, raconte-t-il. On est arrivés finalistes, et je me suis dit que c’était la bonne. »
La filière oignon sénégalaise a été la première à se lancer. L’idée est de mettre directement en contact des groupements de producteurs et des grossistes, en se passant d’intermédiaires. Plus de 3 000 producteurs d’oignons auraient déjà profité de ce service, qui doit leur permettre de mieux vendre leur production et d’éviter de perdre une partie de leurs récoltes à cause des goulets d’étranglement du circuit traditionnel de distribution. Mlouma a commencé à s’étendre à la filière papaye et sa plate-forme a vocation à fonctionner pour l’ensemble des productions agricoles du pays.
Mlouma a déjà été distingué par la Banque mondiale, qui l’a retenu parmi les quatre projets africains les plus innovants en matière d’agriculture. Ingénieur informaticien, Aboubacar Sidy Sonko a monté sa société, Amandjine Consulting, qui emploie six personnes et est hébergée à Dakar au sein d’un incubateur pour entreprises innovantes. Joli parcours pour ce fils de producteurs casamançais d’arachides qui n’a découvert l’informatique qu’une fois entré dans l’enseignement supérieur.
Maroc : triporteurs isothermes pour poissonniers ambulants
Lahoussine El Boudrari est directeur du pôle infrastructures et développement à l’Office marocain des pêches. Pas vraiment le genre de poste où l’on se soucie du sort des marchands ambulants de poissons. C’est pourtant ce qui est arrivé à cet ancien chercheur, âgé de 53 ans. « Je voyais ces hommes avec leurs bicyclettes et trois caisses de poissons posées dessus, qui pédalaient pendant des kilomètres dans l’espoir de vendre leur cargaison sans même se soucier de son état de conservation », raconte-t-il.
Un jour, il entreprend de discuter avec l’un de ces hommes et découvre la précarité dans laquelle vit celui-ci. Dans un premier temps, l’ingénieur songe à équiper ces marchands ambulants d’une glacière. Mais le projet, avec la bénédiction de l’Office des pêches, va aller bien plus loin. Un triporteur motorisé équipé d’un caisson isotherme est conçu, une association de commerçants ambulants créée. Pour l’équivalent de 400 euros et un engagement d’exercer leur métier pendant au moins cinq ans, ses adhérents peuvent acquérir un triporteur qui vaut dix fois plus, les 90% restants étant financés par des bailleurs de fonds.
« Avec un apport minime, ces personnes peuvent considérablement augmenter leurs revenus, maîtriser la qualité des produits qu’ils vendent et obtenir une reconnaissance officielle, assure Lahoussine El Boudrari. Et en respectant la chaîne du froid, on préserve du même coup la qualité du poisson acheté par le consommateur. » Environ 1 200 triporteurs équipés, assemblés au Maroc, ont déjà été diffusés dans le pays, selon l’initiateur du projet.
Ethiopie : du biogaz en sac à dos
Il faut bien reconnaître qu’ils ont une drôle d’allure, ces paysans éthiopiens équipés d’un énorme sac à dos qui leur donne des airs de papillons blancs. C’est le prix à payer pour avoir accès à une énergie verte : du biogaz tiré d’un méthaniseur lui-même alimenté par les déchets organiques produits par l’agriculture et l’élevage. Le sac à dos, équipé d’une valve, peut contenir jusqu’à 1,2 m2 de ce biogaz et alimenter un poële ou une cuisinière domestique à la place du bois de chauffe généralement utilisé dans ces communautés rurales.
« Ce système permet de lutter contre la déforestation, de réduire les émissions de gaz carbonique et la pollution de l’air intérieur, tout en promouvant un commerce à caractère social », assure Araya Asfaw, le directeur du centre régional de la Corne de l’Afrique pour l’environnement. Cet élégant sexagénaire, professeur de physique et de sciences de l’environnement à l’université d’Addis-Abeba, a supervisé la conception du sac à dos permettant de transporter le biogaz du méthaniseur au consommateur, réalisé en partenariat avec l’université de Hohenheim, en Allemagne.
Le professeur Asfaw, qui a étudié et enseigné pendant une vingtaine d’années aux Etats-Unis avant de rentrer au pays natal, a pris son bâton de pélerin et travaille sur le développement du biogaz en Ethiopie, ainsi que sur la fabrication locale des fameux sacs à dos, en attendant le soutien d’investisseurs qui permettront à son projet de se concrétiser. Selon lui, le biogaz, qui peut être produit et consommé localement, n’a que des avantages, le principal étant de permettre l’accès des plus pauvres à une énergie propre et bon marché.
Burkina Faso : des métiers à tisser... le plastique
Un jour, Haoua Ouedraogo-Ilboudo n’a plus supporté de retrouver régulièrement un de ses moutons étouffé par un sac plastique. Elle a décidé de partir en guerre contre ce fléau qui défigurent les alentours des villes du pays du sud. En 2003, avec le Groupement d’action des femmes pour la relance économique du Houet (Gafreh), le Houet étant la province de Bobo Dioulasso, la deuxième ville du Burkina Faso, elle a ouvert un centre de recyclage des sacs plastiques, d’où sortent depuis cabas, sacs, sandales et autres objefs en plastique recyclé.
Le centre de recyclage emploie aujourd’hui 85 personnes. Chaque année, seize tonnes de sacs plastiques sont collectées par les femmes du Gafreh ou par d’autres associations. Les sacs sont ensuite lavés et découpés en lanières qui sont ensuite assemblées et montées sur des métiers à tisser ou bien encore crochetées ou tricotées. « La prochaine étape sera de nous doter d’une unité pour faire fondre le plastique et fabriquer des tables, des bancs ou des tuteurs pour faire pousser les tomates », explique Haoua Ouedraogo-Ilboudo, 56 ans.
Le travail de sensibilisation effectué dans les écoles de Bobo Dioulasso commence à payer. « Des mamans apportent des sacs au centre de recyclage parce que leurs enfants leur ont dit que ce n’était pas bon de les jeter », raconte la créatrice du centre. La reconnaissance internationale ne s’est pas non plus fait attendre : le Canada soutient les actions du Gafreh, qui appartient depuis 2011 au réseau mondial du commerce équitable.