Société
La Thérapie De Reckya Madougou Pour Vaincre La Crise Du Coronavirus: <>, Dixit L’ancienne Garde Des Sceaux
Publié le mardi 23 juin 2020 | L'actualité
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Dans une interview accordée à un média, Reckya Madougou s’est une fois de plus prononcée sur les impacts économiques de la crise du Covid-19. Comme à son habitude, elle a proposé des pistes de solution pour vaincre la pandémie. Pour cela, estime l’experte internationale en inclusion financière et mécanismes de développement , l’Afrique doit enclencher et réussir une profonde transformation de ses structures productives
En partenariat avec l’IPSE, entretien avec Reckya Madougou, ancienne Garde des Sceaux, ministre de la justice, de la législation et des droits de l’homme/Porte-Parole du gouvernement du Bénin. Elle fut également ministre de la microfinance et de l’emploi des jeunes et des femmes du Bénin. Elle est actuellement experte internationale en inclusion financière et mécanismes de développement et conseille, à ce titre, plusieurs chefs d’états et de gouvernements sur le continent africain, à l’instar du président du Togo. Elle dirige, par ailleurs, un « think » et « do » tank, Team R&M (Réflexions & Méthodes » (www.teamrm.org)
Nombre d’analyses et expertises prédisaient que le continent africain allait être dramatiquement touché par la COVID-19. Pourtant avec « seulement » 183 474 cas, 81 367 personnes guéries et hélas 5041 morts (chiffre du Center for Disease Control and Prevention – CDC, qui dépend de l’UA, le 7 juin) les 54 pays africains témoignent d’une étonnante capacité à faire démentir les « oiseaux de mauvais augures ». Comment expliquer cette étonnante résilience face à la pandémie ?
L’Afrique compte moins de 2% des cas de la Covid-19 dans le monde. Cela peut s’expliquer par sa faible insertion dans les réseaux internationaux et par la jeunesse de sa population. Les pays africains ont également très précocement multiplié les mesures restrictives allant de la simple prudence à la fermeture des frontières. Mais le continent ne doit pas dormir sur ses lauriers, sinon les conséquences risquent de se révéler plus néfastes.
En effet, les conséquences économiques pourraient perdurer. Selon les prévisions, la croissance économique en Afrique subsaharienne passera de 2,4 % en 2019 à une fourchette entre -2,1 % et -5,1 % en 2020, ce qui constituera la première récession dans la région depuis 25 ans. Les pertes de production dans la région pour 2020 vont se chiffrer entre 37 milliards et 79 milliards d’USD. Les entreprises interrogées par la CEA déclarent ne tourner qu’à 43 % ; dans les bidonvilles, 70% des habitants déclarent sauter des repas ou manger moins en raison du COVID-19.
Face à la crise du coronavirus, l’Afrique doit enclencher et réussir une profonde transformation de ses structures productives conduisant au développement des activités créatrices de forte valeur ajoutée et d’emplois de qualité. Et Fort du rôle crucial des acteurs de l’économie réelle, l’Afrique pourrait mobiliser toutes ses ressources intellectuelles et économiques en vue de replacer ces acteurs au centre du développement.
L’Afrique est la région la plus jeune du monde. Avec 450 millions des 1,3 milliards Africains qui ont moins de 25 ans, aujourd’hui, et à l’aune d’une population qui avoisinerait les 4,4 milliards d’habitants en 2100 – 1/3 habitants du monde – et où 1 milliards d’Africains aura moins de 18 ans ; qu’elles devraient être les premières mesures économiques et societales à prendre pour que cette génération ne soit pas sacrifiée à l’aune de la pandémie ? Notamment au niveau de l’emploi et de l’inclusion sociale , à l’aune des 1,1 milliards d’Africains en âge de travailler à l’horizon 2034 ?
Les périodes de crise doivent permettre aux gouvernants de prendre leurs distances par rapport aux choix politiques qui ne produisent pas les résultats escomptés pour opérer des transformations profondes en tenant compte de nos réalités endogènes.
Le paradigme qui a longtemps sous-tendu les politiques pour l’émancipation de la jeunesse africaine était inadapté : manque de compréhension des dynamiques démographiques et de leurs implications économiques, sociales et environnementales, et prise en compte insuffisante des changements structurels à opérer. Pourtant, ils sont 29 millions de jeunes qui, chaque année jusqu’en 2030, vont se présenter sur le marché du travail.
Depuis 60 ans, la majorité des pays africains ont développé une économie de rente qui facilite la corruption avec la complicité des réseaux mafieux installés par certaines puissances colonisatrices sous le couvert de multinationales impliquées dans le trading des matières premières. L’économie de rente ne crée pas massivement de la richesse ni des emplois décents. Un changement de paradigme s’impose donc avec une politique d’industrialisation sur le continent. Les matières premières existent, le capital humain « brut » aussi. Il nous reste à acquérir d’autres ressources telles que la capacitation de notre riche capital humain dont la jeunesse est une opportunité à saisir, la technologie, les fonds, etc…
Libérer le potentiel de la jeunesse africaine revient d’abord à faire émerger des idées et partager les expériences pour mieux comprendre les enjeux et améliorer la pertinence et l’efficacité des politiques publiques. C’est le rôle des cercles du savoir comme le think & do tank Team RM. Produire et diffuser une information plus adaptée aux enjeux de la démographie galopante en Afrique pour aider les décideurs Etatiques et les partenaires au développement à faire des choix plus appropriés.
Quant aux gouvernants, ils doivent renforcer le capital humain en promouvant la formation technique, en soutenant la R&D et en favorisant l’innovation. Le plus grand défi à relever est celui du développement de l’entrepreneuriat. Il faudra dans chaque pays vulgariser des pôles stratégiques en s’appuyant sur des politiques d’écosystèmes pour tirer parti des avantages comparatifs.
Créer des opportunités pour la jeunesse passe par un renforcement des capacités des petites entreprises. Environ 22 % des Africains en âge de travailler créent de nouvelles entreprises, un record mondial, contre 19 % pour les pays d’Amérique latine et 13 % pour les pays en développement d’Asie. Parmi les nouveaux entrepreneurs africains, 20 % introduisent un nouveau produit ou service sur le marché. Cette dynamique entrepreneuriale devrait profiter de la ZLECA à travers l’ouverture de nouveaux marchés. Mais les Etats gagneraient d’abord à œuvrer pour le renforcement des liens entre entreprises et marchés africains qui tendent à être trop déconnectés les uns des autres, ce qui défavorise le transfert de technologies, de savoir-faire et les débouchés proches.
Enfin, il urge de lever les obstacles, diversifier les sources de financements et permettre aux jeunes de profiter des dividendes de la technologie.
Au-delà de la dimension sanitaire, la récession économique risque d’être particulièrement violente sur les économies africaines. Vera Songwe, la Secrétaire executive de la Commission économique pour l’Afrique de l’ONU a récemment évoqué que le confinement avait coûté – en Afrique – 9 milliards de dollars, que la croissance continentale annuelle allait dégringoler de 3,2% à 1,1% et qu’avec une perte record de 100 milliards de dollars de recettes fiscales, le taux d’Africains vivant sous le seuil de pauvreté (1,9 dollars/jours) augmenterait jusqu’à avoisiner les 40% (contre 32% aujourd’hui). 60 millions d’Africains pourraient ainsi sombrer dans l’extrême pauvreté. Cette dernière estime, du reste, qu’il faudrait ainsi « injecter » près de 100 milliards de dollars pour doper le tissu économique africain fragilisé par la pandémie. Vous qui avez ardemment milité pour le développement de l’économie réelle que constituent le tissu des TPE, PME et PMI, en tant que catalysateur le plus adapté pour l’affectation des ressources à mobiliser pour faire face au virus, comment mettre fin à ce paradoxe qui veut qu’alors que le continent africain ait la plus grosse proportion d’entrepreneurs, seulement 48,5% du PIB ne soit destinés au secteur privé africain ?
Nous ne sommes qu’en juin, mais nous pouvons dire que 2020 restera dans les annales comme une année charnière pour une réorientation des politiques de développement du continent. En effet, nombreux sont les experts panafricains et internationaux qui se sont exprimés pour appeler à faire de cette crise sanitaire un nouveau départ. C’est également l’ambition du think & do tank Team RM, Team des Réflexions et Méthodes à Succès. Nous plaidons pour une relecture des trajectoires de développement sur notre continent, par une évaluation des performances économiques et sociales. Dans nos recommandations nous nous intéressons notamment aux réalités endogènes et aux caractéristiques du tissu économique africain pour promouvoir des politiques publiques susceptibles de contribuer à la transformation durable et au développement inclusif.
Parmi les conséquences de la crise, la plus dommageable pour l’Afrique est sans doute la limitation d’activités pour les acteurs de l’économie réelle (TPE, PME/PMI et le secteur informel). En effet, la contribution du secteur informel au PIB en Afrique s’échelonne entre 25 % et 65 %. Et selon une récente étude, 72 % des jeunes africains se disent attirés par l’entrepreneuriat, ce qui fait dire aux plus optimistes que la création d’entreprise sera la nouvelle religion du continent et que l’engouement pour l’innovation sera partout de mise. Mais cette économie réelle si cruciale pour atténuer les conséquences économiques de la pandémie et de toute crise d’ailleurs n’attirent pas encore le financement dont elle a besoin.
Il urge de permettre aux acteurs de l’économie réelle de monter en gamme, avec des politiques publiques plus proactives et coordonnées. Cette coordination concerne trois domaines prioritaires: garantir une offre de crédit suffisante et de qualité aux acteurs de l’économie réelle ; changer de paradigme et faire du secteur informel un levier de croissance pour l’Afrique et disposer de plateformes de dialogue avec les acteurs de l’économie réelle pour faciliter l’articulation des stratégies sur les besoins réels et les réalités endogènes.
Nous préconisons d’accroître le volume des financements pour les acteurs par un refinancement à grande échelle des SFD. Les gouvernements doivent faire davantage pour inciter les banques commerciales à reconnaître l’importance et la valeur du secteur privé, des TPME. L’autre proposition qui sera d’ailleurs expérimentée par la Team RM est la mise en relation des «business angels» et des jeunes africains porteurs d’idées d’entreprises de grande opportunité. L’Afrique peut aussi faire appel aux mécanismes de financements innovants comme le Crowfunding, le capital-risque et les micro taxations de biens et services disponibles sur le continent.
Vous avez, à travers votre « think » et « do » thank (Team RM et en partenariat avec la CFI, le groupe bancaire panafricain Eco Bank et la Fondation de l’ancien PM d’Haiti, Louis Lamothe) réuni, il y a quelques jours, plus d’une trentaine d’experts pour un webinaire consacré à la réponse que pourrait apporter la finance inclusive et l’économie circulaire face à la crise économique liée à la pandémie. Plus de 10 000 personnes ont participé et interagi aux riches et passionnants débats. Comment favoriser, pour ce faire, comme les débats l’ont indiqué, l’émergence des institutions de microfinances (IMF) et les systèmes financiers décentralisés (SFD), véritables moteurs d’un plan de sauvetage et de croissance d’une économie encore très largement informelle (89%) employant jusqu’à 75% de la population active et générant 50% du PIB en Afrique subsaharienne ?
En Afrique, les institutions de microfinance (IMF) sont une ressource potentielle. En effet, ces institutions ont une portée importante car elles fournissent des services financiers à des millions de petites et micro entreprises et ménages vulnérables. Ainsi le nombre de SFD dans l’UMOA était de 508 unités à fin décembre 2019. En outre, 14.554.167 de personnes ont bénéficié des services financiers fournis par les IMF sur la période de fin septembre à fin décembre2019 à travers 4.905 points de service répartis dans les États membres de l’Union.
Pour assurer le développement du secteur de la microfinance, des efforts doivent être faits pour concevoir des produits financiers utiles et pertinents, adaptés aux besoins et habitudes des consommateurs ; pour généraliser la possession d’une pièce d’identité, sésame précieux, mais encore insuffisamment répandu en Afrique, pour ouvrir un compte en banque et accéder à des capitaux et des crédits ; pour renforcer les connaissances du secteur financier chez les citoyens pour qu’ils soient à même de comprendre l’offre et surtout pour s’assurer que les populations difficiles à atteindre, comme les femmes et les ruraux pauvres, ont bien accès aux services financiers. L’explosion du téléphone portable avec ses 80% de la population africaine qui est abonnée constitue un atout majeur dans une telle démarche.
En cette période de crise sanitaire, la menace la plus grave pour les SFD réside dans leurs portefeuilles de prêts. Des liquidités supplémentaires sont nécessaires et les banques centrales doivent être encouragées à faire preuve de flexibilité dans le cadre de la réglementation existante.
Votre think tank travaille activement pour la mise en place d’un crédit universel pour réduire la vulnérabilité des actifs pauvres (pour rappel : selon, le dernier rapport du BIT, 70% des travailleurs africains occupent un emploi vulnérable). Cette triste réalité touche une catégorie de personnes en particulier : 80% des femmes occupent un emploi vulnérable en Afrique. Dès lors, qu’elles mesures mettre en place urgemment dans ce secteur, compte tenu de l’aggravation de cette fragilité par la pandémie et récession économique qui lui est liée ?
Avant la crise, en 2019, plus de 630 millions de travailleurs dans le monde – soit près de 1 personne employée sur 5, ne gagnaient pas assez pour se sortir eux-mêmes et leur famille de la pauvreté extrême ou modérée, c’est-à-dire qu’ils gagnaient moins de 3,20 dollars par jour en parité de pouvoir d’achat. Ce qui veut dire que les progrès réalisés ont été très limités et que le nombre de travailleurs pauvres devrait augmenter dans les prochaines années. Par conséquent, l’objectif d’éradiquer l’extrême pauvreté en Afrique et ailleurs dans le monde ne sera pas atteint sans un changement véritable de paradigme.
En permettant à tous les pauvres potentiellement actifs d’avoir accès à du crédit, ce que je désigne par le crédit universel, ils auront la possibilité de développer une entreprisse, des activités génératrices de revenu. Pour ce crédit universel, il conviendra de déployer l’intégralité de la gamme de concours et de services financiers et techniques qui y contribuent (telle que l’éducation financière). Par exemple en développant des fonds de garantie pour soutenir les pauvres actifs, les Etats encourageraient l’action des banques qui seront déchargées d’une partie conséquente des risques. Un exemple papable de ce que doit être le rôle de l’Etat: un catalyseur. Utiliser les ressources disponibles comme catalyseurs pour mobiliser d’autres flux financiers et pour favoriser l’autonomie des acteurs de l’économie réelle.
Etant donné que les déficits de travail décent sont particulièrement prononcés dans l’économie informelle, il appartient aux États de lever les obstacles avant la mise en œuvre du crédit universel. Il s’agit de combler le manque d’éducation entrepreneuriale et financière par des programmes pour s’assurer que les populations sont en mesure de prendre des décisions financières et en matière de gestion sensées, et de fournir aux populations un document d’identité valide, ce qui est essentiel à l’accès aux services financiers, voire sociaux.
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