Atteindre la production record d’un million de tonnes de riz à l’horizon 2022. Telle est l’ambition du gouvernement béninois dans sa dynamique de réalisation de l’autosuffisance alimentaire. Passer de 400.000 tonnes de riz (ou 200 000 selon certaines) à 1 million de tonnes en deux ans reste un exploit à réaliser. Encore que cette ambition se heurte à un véritable défi : la disponibilité et l’accessibilité des engrais spécifiques…
«A l’heure où je parle, il n’y a pas encore d’engrais spécifiques qui soient importés pour la culture du riz », a confié mercredi, 1er juillet 2020, un grand importateur, membre du Collectif des importateurs des denrées alimentaires. Et au Président du Conseil de concertation des riziculteurs du Bénin (Ccr-B), Bossou Arouna de renchérir “ Il n’y a pas d’engrais spécifiques, c’est l’engrais coton que nous utilisons“. Selon ce producteur du riz basé dans la vallée du Niger, les cris des producteurs n’ont jamais été entendus. Même son de cloche du côté du Coordonnateur national du Conseil de concertation des riziculteurs du Bénin (Ccr-B), Joseph Koutchika. En effet, de nos investigations sur la qualité du riz produit au Bénin, il ressort malheureusement que les riziculteurs béninois utilisent l’engrais du coton pour produire le riz. « Cela n’est pas adapté à la culture du riz. Il faut impérativement faire usage d’un engrais spécifique du riz dans nos rizières ou champs de riz. Les importations d’engrais au Bénin sont à 100% des engrais de coton. L’engrais que les riziculteurs utilisent est un engrais développé à 100% pour le coton » se désole un importateur de riz qui a requis l’anonymat.
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Aliment hautement stratégique dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle, le riz est quasiment la deuxième céréale la plus consommée aujourd’hui au Bénin après le maïs avec notamment 40 à 45 kg de riz consommé par an et par habitant. Si le gouvernement du Bénin a compris l’enjeu et la nécessité de placer le secteur agricole comme levier de lutte contre la pauvreté à travers le développement de treize filières porteuses (déclinées dans OSD et SCRP2006-2011), il faut déplorer le retard qu’accuse toujours la filière riz au Bénin. Alors que la production locale reste de moins de moins insuffisante face à la demande, les importations du riz restent le seul recours. De plus de 120 000 tonnes de riz importées en 2014, le Bénin importe depuis deux ans, environ 1 000 000 de tonnes de riz, selon l’importateur. Que pouvait-on alors espérer si l’engrais conçu pour le coton est utilisé pour la production du riz ? Un fait qui laisse perplexe quant à l’ambition du gouvernement d’atteindre un taux record de production d’un million de tonnes de riz à l’horizon 2022. A en croire le Coordonnateur national du Conseil de concertation des riziculteurs du Bénin (Ccr-B), Joseph Koutchika les riziculteurs ne peuvent faire qu’avec ce qu’ils ont étant donné la non disponibilité des engrais spécifiques.
Engrais spécifiques : la désolation des producteurs !
Le gouvernement béninois, à travers la mise en place d’un plan d’urgence, veut franchir la barre d’un million de tonnes de riz d’ici 2022. Ceci pour mieux faire face à la réalité des fermetures cycliques des frontières du Nigéria qui s’oppose à la réexportation du riz sur son territoire. Et pour atteindre cet objectif, le ministre de l’agriculture, de l’élevage et de la pêche, Gaston Dossouhoui, au cours d’une tournée, a fait savoir qu’il faudra de l’appui-conseil aux producteurs, le suivi rigoureux des itinéraires techniques, une bonne organisation des récoltes pour minimiser les pertes post-récoltes. Si pour l’autorité ministérielle, le Bénin dispose de bonnes semences, de bonnes formules d’engrais, des sols aptes pour la culture, des aménagements de milliers d’hectares déjà disponibles avec maîtrise d’eau, Bossou Arouna, producteur dans la vallée du Niger désavoue. « Il n’y a pas d’engrais spécifiques…La question des engrais spécifiques a toujours été évoquée mais les autorités nous ont toujours fait croire que l’accès serait très compliqué sauf si la demande est importante ou en vaut la peine. Il faudra d’abord que les producteurs expriment le besoin d’une quantité importante d’engrais spécifiques pour lancer la commande. Le fournisseur ne peut répondre à des besoins minimes », laisse-t-il entendre. Il leur aurait été servi que le coût des engrais spécifiques serait élevé que celui du coton car les éléments constitutifs n’étant pas les mêmes. Les deux grandes unités de transformation de riz (Glazoué et Malanville) étant fermées, les producteurs n’arrivent pas à faire la vente groupée. Ils auraient même actuellement de difficultés à accéder à l’engrais du coton, confie Bossou Arouna. Outre l’aspect lié aux engrais spécifiques, ce dernier déplore la non-disponibilité des semences certifiées ; le défaut d’aménagement adapté pour abriter les productions. La production locale n’est pas documentée, renseignée par des statistiques qui nous permettent d’évaluer, d’apprécier ce qui se fait, poursuit-il. Selon un producteur de la vallée de l’Ouémé, ces engrais spécifiques sont importants pour produire le riz en grande quantité. L’agriculture extensive n’étant pas envisageable, il faudra produire sur de petites superficies et ces engrais constitueraient un vrai coup de pouce. Outre la quantité, les engrais spécifiques ont-ils un impact sur la qualité du riz ? « Bien sûr, lorsque l’engrais qui n’est pas adapté est utilisé, certes vous avez la production voulue mais la qualité reste indésirée puisqu’aujourd’hui, si les engrais ne sont pas spécifiques, cela se remarque au niveau de la productivité, de taux d’usinage, la qualité du produit fini », clarifie Arouna Bossou. Mais à écouter un importateur du riz, l’engrais n’a pas un impact sur la qualité mais plutôt sur la quantité. Selon ses propos, la qualité du riz est déterminée déjà par la qualité des semences. L’engrais est le déterminant de la quantité.
Ce qu’en dit la Sodeco !
Contacté, le chef service intrants vivriers de la Société pour le développement du coton (Sodeco), Koulibaly David, a confié qu’il existe une formule recommandée par un expert pour la production du riz au Bénin. Il s’agit de l’engrais NPK 13 17 17 mais qui diffère de la formule d’engrais utilisés dans les champs de coton. Il ajoute, par ailleurs, que ladite formule d’engrais est disponible sur tout le territoire national et dont font usage également les producteurs du coton. Le prix serait fixé en fonction de la localité. On ne peut alors pas dire qu’il manque une formule spécifique d’engrais pour la culture du riz. S’agit-il de l’engrais spécifique adapté à la culture du riz au Bénin ? La question reste toute posée. Contacté, Cyriaque Kakpo, Directeur de programme Filière riz a simplement refusé de se prononcer affirmant avoir reçu des instructions de sa hiérarchie. Pour Fiacre Medjotin du Fonds national de développement agricole (Fnda), le Fonds ne s’intéresse point à cet aspect technique de la filière. Si au cours d’un entretien réalisé en 2017, le Coordonnateur national du Conseil de concertation des riziculteurs du Bénin (Ccr-B), Joseph Koutchika estimait qu’aucun importateur privé n’a pu convoyer au Bénin des intrants spécifiques pour la production du riz, il affirme néanmoins ce samedi, 04 juillet 2020 qu’une formule spécifique d’engrais serait disponible et accessible au prix subventionné de 14500Fcfa. “Quel producteur béninois a les moyens de prendre d’engrais à 14500Ffca“, confie ce dernier qui venait juste d’user de l’engrais du coton dans son champ de riz. Ancien directeur du Fnda et membre du Bureau d’études et d’appui au secteur agricole (B2A) et ancien Dg/Carder-Ouémé, l’ingénieur agronome, Olivier Vigan, a estimé que le problème de la filière n’est pas forcément dû aux engrais spécifiques quand bien même, il reconnaît qu’à un moment donné, cela s’imposera. Selon ses explications, la demande en intrants spécifiques n’est pas assez conséquente pour qu’on en importe. Il faudra réaliser des études pour déterminer des engrais adaptés, conclut-il. Même remarque de la part de l’importateur, membre du Collectif des importateurs des denrées alimentaires qui évoque un problème d’usinage. “Aujourd’hui on produit autour de 400 000 tonnes de paddy, avec les usines bien calibrées normalement vous recevez à peu près 65% du riz long, produit fini, une bonne partie restante, c’est la brisure et les coques. Aujourd’hui, les deux usines que nous avons n’ont pas encore commencé par fonctionner correctement. Donc, toute la production du paddy va vers les coopératives qui usinent ce qu’elles peuvent usiner. Une partie est vendue sur le Nigéria, grand consommateur du paddy béninois“ confie-t-il. Faut-il le rappeler, le Fonds national de développement agricole a organisé le 03 mars 2020, une journée de mobilisation du financement pour la filière riz au Bénin. Ceci dans la dynamique de contribuer à la concrétisation de l’objectif visé notamment la production d’un million de tonnes de riz d’ici 2022. Il importe alors d’œuvrer à rendre disponibles les engrais spécifiques, rendre accessibles les semences certifiées au niveau des producteurs et accompagner la petite irrigation sans oublier la petite mécanisation et le crédit adapté au riziculteur.
Quid des partenaires au développement…
Plusieurs partenaires techniques et financiers investissent dans l’agriculture au Bénin. Mais le hic ici est de se demander si ces nombreux partenaires techniques et financiers (Ptf) qui investissent dans le développement de la filière riz ainsi que l’Etat béninois n’ont-ils toujours pas perçu la nécessité de rendre disponibles les engrais appropriés en vue de l’amélioration de la qualité du riz local. Le Bénin continue de bénéficier du don du peuple japonais avec des tonnes de riz offertes aux Béninois. Le Japon appuie-t-il le Bénin en matière d’approvisionnement d’intrants spécifiques dans la culture du riz ? Fadil Bangbadé, chargé de programme à l’Agence japonaise de coopération internationale (Jica-Bénin) a fait savoir que l’intervention de la Jica s’articule autour de la Coalition pour le développement de la riziculture en Afrique (CARD), lancée par la JICA en coopération avec l’ONG internationale Alliance pour une révolution verte en Afrique lors de la quatrième conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD IV) en 2008. Le Bénin faisant partie de la Coalition, il lui revient d’implémenter les acquis de la coalition. En termes d’appui dans la riziculture, c’est beaucoup plus des dons au Bénin, laisse-t-il entendre. Pour les producteurs béninois, il est souhaitable que la Coopération technique belge et plusieurs partenaires intervenant dans le développement de la filière riz au Bénin accompagnent le gouvernement afin de rendre disponibles et accessibles, les engrais spécifiques pour la culture du riz.