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Le Bénin, pays à revenu intermédiaire: « Le pauvre lui, n’en profite pas », constate le Pr Albert Honlonkou

Publié le mercredi 8 juillet 2020  |  Matin libre
Albert
© aCotonou.com par DR
Albert Honlonkou, Professeur Agrégé des Sciences économiques des Universités
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La Banque mondiale a, dans un rapport rendu public le 1er juillet 2020, classé désormais le Bénin parmi les pays à revenu intermédiaire. Si cette performance est, pour certains, juste un trompe-l’œil, pour d’autres, ce bond n’est que la résultante des réformes économiques entrepris par Patrice Talon et son gouvernement. Qu’en pensent les spécialistes de l’économie ? Pour répondre à cette question, l’émission Actu Matin de Canal 3 Bénin a reçu hier mardi 7 juillet 2020, Albert Honlonkou, Professeur Agrégé des Sciences économiques des Universités. Lequel a, au cours de l’émission, analysé ce classement. Verbatim…


Canal 3 : Notre pays le Bénin rejoint la Côte-d’Ivoire, le Sénégal, le Maroc… ; dans le classement des pays à revenu intermédiaire. D’abord, allons comprendre ce que c’est

Professeur Albert Honlonkou : Il faut dire que chaque année, la Banque mondiale classe les pays en quatre catégories. Il y a les revenus inférieurs. Maintenant, il y a deux catégories qui se retrouvent parmi les revenus intermédiaires : on parle de revenus intermédiaires tranche inferieure, les revenus intermédiaires tranche supérieure et puis les revenus élevés. Il s’est fait que cette année, le Bénin s’est retrouvé dans la tranche inferieure des revenus intermédiaires.



Qu’est ce qui milite en faveur de ce classement, de cette position ; désormais du Bénin ?

Oui, quand on a un classement comme ça, premièrement on est content. Le gouvernement est content parce qu’il a travaillé. Mais quand on commence par analyser, on peut d’abord dire que ce résultat est dû au gouvernement antérieur. Parce que si ce gouvernement n’est pas monté jusqu’à un certain niveau, le gouvernement actuel ne peut pas monter au niveau qu’il est. C’est la première chose qu’on se dit. Quand on rentre plus à l’intérieur, on dit que nous devons plus être modestes, pour plusieurs raisons. La première raison, c’est que notre Pib par habitant qu’on a calculé pour nous mettre dans cette tranche-là est 1050. Or, dans cette catégorie, ça part de 1036 à 4045. Ça veut dire qu’on est très loin du seuil maximum des pays à revenus intermédiaires, tranches inferieures. Donc, on est très loin. Ça, c’est le premier bémol qu’on peut mettre pour dire qu’on n’est pas encore très loin. La deuxième chose qu’on peut évoquer, c’est ce qu’on appelle rebasage. Il faut dire que les statisticiens nationaux et les comptables nationaux ont un grand défi à relever ou deux défis majeurs. Les deux défis, c’est que comment on peut construire des indicateurs qui sont comparables entre pays et qui sont comparables dans le temps. Lorsque je dis : vous produisez deux émissions ici et que moi je produis deux coûts, le producteur de maïs produit, il faut additionner tout ça. Or, pour pouvoir additionner tout ça comme ce n’est pas les mêmes choses, il faut utiliser les prix, pour voir la valeur globale. Mais vous imaginez que si on utilise une valeur de 2008 pour pouvoir faire l’agrégation et on utilise une autre valeur de 2015, ce n’est pas la même chose. Or, il faut utiliser une valeur, de la même année. Donc, le Bénin à l’habitude d’utiliser les valeurs de 2008 pour calculer le Pib. Mais en 2018, on a changé de base. C’est-à-dire au lieu de prendre les données de 2008, on a pris les données de 2015. Ça se justifie parce qu’il y a des choses que nous ne produisions pas et auxquelles il faut donner des prix. Il y a un certain nombre de raisons pour lesquelles il faut le faire. Mais quand vous le faites, il y a une sorte d’augmentation mathématique de la chose.

Parce que ça ne reflète pas de la réalité du moment ?

Je ne parle pas comme ça. Mais, comme c’est une affaire de prix par exemple. J’ai parlé du maïs. Si le maïs coûtait 100f en 2008 et qu’aujourd’hui ça coûte 200f, si quelqu’un produit un kilogramme de maïs en 2008 et 2015, si vous ne savez pas faire, vous allez penser qu’il a beaucoup plus produit en 2015, alors que c’est exactement la même quantité. Même s’il produit moins, vous risquez de dire qu’il a produit plus parce qu’on regarde le coût. Il y a cette affaire mathématique qui s’ajoute. Quand on a fait le rebasage du Bénin, le Pib a augmenté automatiquement de 36%. Vous voyez ? Or, pendant la période de 2016 à 2019, notre Pib a augmenté globalement de 25%. Quand on prend le rebasage qui a donné 36% et puis vous prenez les 25% de croissance, vous voyez que même le rebasage nous a donnés beaucoup plus de valeur, que ce que nous avons. Ce qui veut globalement dire que ce que nous avons est artificiel. 1050, donc pratiquement au seuil. A partir de cet instant, on met un peu de bémol et on est humble en analysant ces chiffres-là.



Nous avons ces résultats, beaucoup s’enorgueillissent d’ailleurs. Mais à qui profite ce bon que nous avons ? A l’Etat, aux gouvernants ou aux individus que nous sommes ?

C’est une très bonne question. Et là, j’accuse un peu les institutions qui ont été créées par la Communauté internationale. La Communauté internationale a bien fait les choses. Il y a les institutions qu’on peut appeler des institutions économiques qui se cantonnent sur les chiffres. Les chiffres économiques, les chiffres financiers, c’est la Banque mondiale, le Fmi ; c’est ça qui les intéresse. Mais il y a des institutions sociales un peu comme le Pnud, le Bureau international du travail ; qui s’occupent du côté social. Je vous rappelle qu’en 1997, c’est le Pnud qui a fait le premier rapport sur la pauvreté. Donc, ce qui aurait été intéressant, c’est que ces institutions sociales-là sortent leurs statistiques chaque année telle que la Banque mondiale. Là, on voit automatiquement comment le revenu qui est généré est distribué. Et là, ça impacte les populations. Parce que dans un pays où vous avez des pauvres et des inégalités, c’est ça qui entraine en fait les conflits. Donc, vous pouvez dire : le Pib est en train d’augmenter de façon vertigineuse. Mais tant qu’il y a des inégalités et la pauvreté, vous risquez d’avoir des conflits qui ne sont pas gérables. Or, on ne peut pas avoir le développement sans la paix. Donc, à partir de ce moment, moi j’accuse un peu ces institutions-là qui ne sont pas très actives comme les institutions économiques, financières comme la Banque mondiale, le Fmi. Si c’était ainsi, on aura deux types de statistiques et les gens seront en train de comparer et il y aura le bémol. Parce que quand on dit que le revenu a augmenté, vous investissez une partie dans le bitumage des voies, dans l’asphaltage ; vous voyez, ceux qui en profitent même si on dit que c’est toute la population qui en profite, c’est d’abord les ingénieurs ou bien même les gens qui viennent de l’extérieur et qui engrangent une partie de ce revenu-là, vous allez les compter et vous dire bon : on est en train d’augmenter. Mais le pauvre lui, il n’en profite pas. Et s’il n’en profite pas, c’est lui qui est souvent à la base des conflits qui naissent dans les pays.



Est-ce que ce sont des indices qui ne rentrent pas en ligne de compte dans le travail que font la Banque mondiale et puis le Fmi ?

Au fait, parfois la Banque mondiale et le Fmi s’intéressent à la pauvreté. Mais, ce n’est pas leurs missions. Il y a des institutions qui font ça. Il y a le Pnud, le Bit… Ces institutions-là peuvent calculer les questions d’emplois, le taux de sous-emploi, la pauvreté, etc. Même le rapport de 2019 de la Bad par exemple parle de ça. Et quand vous lisez le rapport de la Banque mondiale, on a dit que l’économie béninoise n’est ni pauvre ni inclusive. Donc, ce qui veut dire que oui on a la croissance, mais ça ne profite pas aux pauvres. C’est-à-dire que leur consommation n’augmente pas et n’augmente pas plus que la consommation des riches. Donc à partir de ce moment, ça pose un gros problème. Mais, on ne met pas ces statistiques en évidence parce que la Banque mondiale intervient, le Fmi intervient et chez eux, c’est la croissance économique, c’est un peu les comptes nationaux, les chiffres financiers. Et quand ça marche de ce côté, ils disent que nous, nous travaillons bien. Mais en oubliant l’autre côté et ce sont les autres institutions qui devraient monter au créneau pour suivre ces statistiques là sur la pauvreté, sur le chômage et ainsi de suite. Quand les autres se mettent en évidence, on dit que tout marche bien. C’est un problème d’économie politique.



Ça fait plusieurs années que c’est ainsi, ça ne se corrige pas. Il y a comme une certaine contradiction de ce qui est présenté officiellement comme ça et les populations à la base se disent finalement est-ce que ce ne sont pas des chiffres fabriqués. Comment est-ce qu’on gère ça ?

Je crois qu’on ne peut rien reprocher aux gouvernants. Parce qu’eux autres, on est à quelques mois avant les élections, et tout ce qui est réussite pour le gouvernement sera mis en évidence. C’est peut-être la Société civile et un certain nombre d’institutions qui diront ah non, il y a ça, il y a ça, il y a ça. C’est un peu ça. Et c’est pourquoi je disais tout à l’heure que les autres institutions ne sont pas proactives à part la banque mondiale, le Fmi…

Vous ne pensez pas qu’ils ne communiquent pas autour de leurs différents résultats et qu’ils mettent cela à disposition des gouvernements, quitte à eux de pouvoir en tenir compte dans le comportement en termes d’actions sociales sur le terrain ?

S’ils ne communiquent pas trop sur leurs résultats parce que ces résultats sont défavorables aux gouvernements, c’est votre rôle de dévoiler ces statistiques en tant qu’Hommes des médias, en tant qu’informateurs. Les mettre en parallèle avec les autres statistiques pour dire oui, on a eu problèmes mais voilà les difficultés que nous avons, etc., etc.



Pendant que nous y sommes, à quoi peut-on s’attendre en termes de comportement, au niveau du pouvoir central pour peut-être aller au-delà de ces performances ?

Il faut essayer de maintenir la tendance. Parce que j’ai vérifié un peu les statistiques et il y a quand-même des pays qui ont reculé car chaque année, les gens refont le même exercice. Donc, il y a des pays qui ont reculé. C’est de tout faire maintenant pour ne pas reculer en fait. J’ai peur parce qu’avec la pandémie du coronavirus, notre taux de croissance est en train de baisser. On peut craindre qu’on descende en dessous. Parce que chaque année, ils révisent le seuil. Cette année, je crois que c’est 1036. Nous, sous sommes à 1250. L’année prochaine, ils vont surement remonter le seuil parce que ça tient compte de l’inflation et un certain nombre de choses et peut-être on peut descendre. Donc, il faut faire attention.

Ceux qui font de reproches à la notion de rebasage, est-ce qu’ils ont tort ?

Ils ont tort selon moi, parce qu’il y a des arguments techniques qui justifient le rebasage. Mais quand on le fait, il faut faire extrêmement attention. Quand on interprète les chiffres, il faut au moins pendant un nombre d’années, faire extrêmement attention. Parce que si on utilise les résultats du rebasage, c’est-à-dire l’augmentation systématique de 36% comme une performance, c’est là où ça devient compliqué. Supposons qu’il y a un bien qui n’existait pas en 2008 et on devrait utiliser les prix de 2008, mais comment on fait pour ce bien là. Donc, il doit y avoir des problèmes d’incohérence. Donc, le fait de repousser la base à 2015 n’est pas fondamentalement un problème. Mais quand on le fait, automatiquement, il faut interpréter les chiffres avec prudence. Parce que vous voyez, notre dette par exemple. On était à 56%, on parle maintenant de 60% mais quand on a fait le rebasage, on est descendu à 40%. Si on prend ça et on se dit non, on ne s’endette pas trop, il n’y a pas problème, quand on commence par faire ces genres d’interprétations, c’est là où ça devient extrêmement compliqué. Ou bien on se dit l’ancien gouvernement était à 50% et nous on est à 30%, ça prend en compte ces genres de choses et c’est là ça pose extrêmement de problème. Sinon techniquement, c’est justifié et il fallait le faire à un moment donné, pour éviter les incohérences des chiffres.

Il y a un revenu intermédiaire inferieur et pendant ce temps, les gens ne comprennent pas pourquoi on va régulièrement sur le marché. On parle d’emprunt obligataire devenu un peu comme la tasse de thé, est-ce que le reproche aussi à ce niveau est fondé ?

Le financement de l’Etat, ça c’est un autre problème. Parce qu’il y a le fait qu’on doit collecter les impôts. Mais les impôts ne viennent pas à temps pour les dépenses. Avant que les impôts ne viennent, il faut avoir de l’argent. Donc, le gouvernement va sur le marché financier pour pouvoir prendre de l’argent. Maintenant, je ne veux pas dire qu’il n’y a pas d’emprunts supplémentaires qui font que la dette augmente d’année en année. Mais aller sur le marché des emprunts obligataires ou des bons de trésor, ce n’est pas automatiquement un gros problème. Il faut aller au fond et analyser pour dire, est-ce que notre part d’endettement est bon ou pas. Mais, ça c’est tout une autre question.

Avant de vous laisser partir, est-ce qu’il y a des opportunités qui s’offrent au Bénin quand on a ce genre de performance ?

Quand j’ai vu sur le site, on est toujours dans l’Association internationale de développement. On peut bénéficier de prêts concessionnels, des dons. Mais au fur et à mesure que vous progressez, on dit que vous êtes riches comme nous. Donc, vous n’avez plus besoin des faveurs dont les autres ont besoin. Faisons entre nous. C’est un peu ça. On est au début, donc ça n’aura pas vraiment beaucoup d’influences.

Transcription : Janvier GBEDO (Coll.)
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