Homme politique averti, Jean Alexandre Hountondji a été au cœur des régimes Kérékou II et Yayi. Député de la 2e Législature, il a été ministre chargé des relations avec les Institutions, porte-parole du gouvernement en 2007. Candidat à la présidentielle de 2016, il fait partie de la coalition qui a porté son choix sur Patrice Talon au second tour. « Aujourd’hui, j’ai honte de dire que j’ai été l’homme de la Rupture », affirme l’ancien ministre qui, dorénavant, s’inscrit dans une opposition radicale au régime du Nouveau départ. Matin Libre lui a donné la parole, dans le cadre du bilan des 60 ans d’indépendance du Bénin sur le plan politique.
Matin Libre : En 60 ans d’indépendance, quels sont, selon vous les acquis et les insuffisances sur le plan politique ?
Jean Alexandre Hountondji : Le problème pris de cette façon ne paraît pas intéressant parce qu’en 1960 on sait combien nous étions comme population et aujourd’hui nous savons également combien nous sommes au Bénin. Par conséquent, acquis pour acquis sur le plan politique, bien malin celui qui isolera la question. La politique implique un processus de développement général et global. Il faut dire que le Bénin fait ses petits pas vers la modernité. Il essaie de s’adapter à tous les changements, à tous les bouleversements que ça soit intérieur ou extérieur. Mais en termes de résilience est ce que notre indépendance a été pour autant assurée, du point de vue de l’autosuffisance en toute matières ? Est-ce que pour autant notre rayonnement international a été résilient et a pu perdurer ? Sur le plan politique nous avons essayé tous les courants politiques capables de nous sortir du sous-développement, de la pauvreté et bien sûr de la dépendance. Donc ce n’est pas faute de n’avoir pas essayé. Les résultats sont mitigés, mais je pense que des efforts substantiels ont été faits par des générations d’hommes et de femmes qui ont eu à diriger ce pays depuis 1960. Je voudrais vraiment les féliciter pour ce qui a été fait, mais il faut être honnête pour reconnaître que, ayant connu d’abord des régimes de coups d’État, ayant connu le système de conseil présidentiel, ce régime à trois têtes, ayant connu la révolution, le système totalitaire dictatorial qui a duré le temps qu’il faut, nous avons opté pour le renouveau démocratique en 1990 avec une Constitution qui concentre d’abord notre volonté de jouer les pionniers en matière de démocratie, de faire en sorte
que tous les droits humains soient reconnus et exercés par le citoyen béninois, faire en sorte que le président de la haute institution qui nous dirige ait des mandats clairs qui sont fixés dans le temps impérativement, faire en sorte que la bonne gouvernance puisse présider à la destinée de nos affaires publiques. Nos élections se sont très bien déroulées en temps. Evidemment, le Bénin était l’un des pays le plus enviés de la sous-région africaine sur le plan de la démocratie, de la liberté. Quand il y a des problèmes dans d’autres pays, c’est vers le Bénin qu’on court pour se réfugier. Que ce soit nos voisins du Togo, du Niger ou de la Côte d’Ivoire, ils savent comment au Bénin l’hospitalité est de qualité et bien sûr les libertés sont reconnues et effectivement exercées. Nous avons eu des élections formidables qui sont de véritables fêtes que nous organisons au terme des mandats successifs. Nous avons eu le plaisir d’élire d’abord Soglo et Kérékou qui était le chef révolutionnaire. Il a été remis parce que le peuple béninois est un peuple qui a fait preuve de beaucoup de maturité, qui reconnaît les bons grains de l’ivraie. Personne ne peut aujourd’hui nous tromper. On croit le tromper mais c’est le peuple qui nous dicte nos lois. Nous avons eu le temps de l’éduquer sur le plan politique et d’apprécier ceux qui conduisent sa destinée. Nous avons après le président Nicéphore Dieudonné Soglo, après le président Mathieu Kérékou, paix à son âme, et après les deux mandats du président Boni Yayi, élu en 2016 le président Patrice Talon qui s’est installé un peu plus de quatre ans bientôt. Mais ce que nous avons constaté sur le plan politique n’est pas des plus réjouissants. Il faut le dire toute suite. Il y a une volonté manifeste d’enterrer vivant les prédécesseurs, de gommer leurs mémoires, les efforts qu’ils ont eu à fournir, leurs contributions au développement du pays.
Vous voulez dire qu’aujourd’hui, les lignes qui ont été tracées par les présidents Soglo, Kérékou et Yayi ne sont plus respectées ?
Je persiste et je signe. On a manqué de respect à ce qui a été fait jusque-là, surtout la conférence nationale des force vives de février 1990. Notre Constitution, c’est elle qui réunit tous les Béninois et ils le disent eux-mêmes. Notre Constitution est le centre d’union de tout le peuple béninois et elle a érigé le consensus, la concorde nationale comme étant le mode de sa révision mais vous avez constaté avec moi comment de façon rapidement, à l’insu de tout le monde, alors que l’Assemblée nationale a fait bloc pour dire non par deux fois aux velléités de révision opportuniste, on a fini par le faire la nuit de la Toussaint. Personne n’était au courant et on l’a révisée. En moins d’une semaine, c’est déjà promulgué et les ‘’amis’’ de la Cour constitutionnelle ont validé ça.
Est ce qu’il y a un caractère opportuniste dans cette révision?
Très opportuniste. Extrêmement opportuniste, parce que presque tous les points, pour lesquels nous avons dit non, sont passés comme lettre à la poste. Cette histoire de Vice-président n’a aucun sens parce que les dispositions qui ont été prévues par la Constitution pour le remplacement du chef de l’État en cas de sinistre, en cas de vacances, nous ne les avons jamais essayées. Pourquoi alors vous mettez Vice-président pour dire que ceci cela ? C’est pour tout simplement trouver un poste à un ‘’ami’’ pour assurer les arrières. Ce n’est pas normal.
C’est ce que vous pensez ?
Mais que voulez-vous que je pense? Puisqu’ il y a eu aucun départ là-dessus. Personne ne nous a, donnés des informations sur la pertinence de tout ce qui a été composé. L’autre chose qui est vraiment malheureux, et je dis c’est suspect, c’est l’affaiblissement des prérogatives de l’Assemblée nationale au profil du chef de l’État que nous avons toujours reconnu comme étant le très puissant. Mais curieusement, nous avons constaté que lorsqu’on va chercher de l’argent, on va signer des accords de prêt à l’extérieur que l’Assemblée nationale n’a plus de contrôle à priori sur ces accords. C’est d’une gravité extrême. C’est dangereux pour nous tous, pour tous les contribuables parce qu’il y a plus de contrôle à priori, et c’est 90 jours après que le chef de l’État viendra exposer dans quelle mesure ceci a été fait. Quel contrôle peut-on faire à postériori alors que les conditions initiales ne sont pas connues. Je crois, qu’en matière de gestion des prêts au Bénin, il y a un recul manifeste et en termes de prérogatives, le domaine de la loi a été rétréci. Le contrôle de l’action gouvernementale a pris un grand coup. L’autre chose que je déplore sincèrement, c’est les amalgames qu’on a essayés d’insérer dans le texte à droite, à gauche, qui ont fait que le texte, qui était limpide, qui a inspiré des Constitutions, est devenu vraiment très peu transparent, en manque de cohérence. C’est très mauvais, qu’après tout ce que nous avons vécu, nous soyons arrivés là. Ensuite regarder un peu les prétendues réformes du système partisan.
Qu’est-ce que vous reprochez à la réforme du système partisan?
Ce n’est pas une réforme, c’est de la pagaille pour la confiscation du pouvoir d’État.
Est-ce que ce n’est pas une bonne idée de vouloir contrôler un peu la création des partis ?
Mais qui ça gêne la création des partis ? Il y a 5 mille associations dans le pays, Ong et associations confondues. Le béninois aime se socialiser. Qui ça gêne si en politique le même phénomène se fait ? C’est l’expression de la vitalité et bien sûr de la liberté. Si la liberté de quelqu’un te gêne, tu peux légiférer et lui la prendre. Mais nous autres, allons critiquer ça. Nous allons dénoncer, nous allons dire non, parce-que je suis de ceux qui ont appelé de tous les vœux à la liberté de ce peuple là et je suis de ceux qui se sont battus sérieusement pour que cette liberté vienne. Je suis d’accord pour une rationalisation mais je ne suis pas d’accord pour que l’on empêche les gens de pouvoir créer de parti.
Es ce que ce n’est pas vouloir une chose et son contraire ?
Pas du tout. La preuve, aujourd’hui, quel parti vous avez au Bénin, dites-moi. C’est le Prpb bis. Moi, je l’ai vécu. Vous êtes obligé d’être dedans sinon vous n’êtes pas béninois. Aujourd’hui, il y a deux partis politiques le Bloc républicain (Br) et l’Union progressiste (Up). On pourrait même fusionner les sigles et retrouver le Prpb. Ce qui se passe au Bénin est une honte. Allez à l’Assemblée nationale aujourd’hui, le pluralisme n’existe plus parce que c’est une seule sensibilité politique qui se retrouve là-bas. C’est à dire le régime a 80 députés sans partage. Le pluralisme est mort et c’est ce qu’on appelle la confiscation du pouvoir d’État qui est l’un des neuf péchés capitaux rejetés fondamentalement par notre Constitution. Tout le monde doit parler de la même voix. S’il n’y avait pas une grande gueule comme celle de Hountondji et quelques autres, on dirait que tout va bien dans le meilleur des mondes. Tout le monde va applaudir comme on l’a fait jadis dans les années 75. Je ne veux pas ça pour mon pays. Mais au-delà de tout, nous devons nous féliciter qu’ayant emmagasiné tant d’expériences politiques, nous ayons pu contenir la tyrannie et la dictature qui se met en place au Bénin. C’est le régime le plus impopulaire que j’ai jamais vu. Le système électoral qu’on a dit avoir réformé, avec un code électoral des plus crisogènes, qui porte les germes de crise post-électorale, ce code électoral que, lorsqu’ils en ont besoin, ils changent en plein cours d’élection. Ça ne fait pas bien, ça ne fait pas élégant. Alors que nous sommes partie d’organisations internationales qui reconnaissent que 6 mois avant les élections, plus rien ne doit être changé.
Un Mot pour clore cet entretien
On avait beaucoup d’attentes, avec l’élection de Patrice Talon, mais à l’arrivée, le Bénin s’est arrêté. On a arrêté la démocratie. On est resté à faire du surplace. On a eu droit à des discours sur la pauvreté, à de l’hypnose. Rien n’a bougé. Il faut que ça bouge maintenant. Nous sommes à quelques mois de la présidentielle, au lieu de chercher à verrouiller, il vaut mieux montrer un visage humain. Il faut une gouvernance à visage humain qui prenne à cœur les attentes des populations. Le Béninois est porté vers la paix. Très peu de chose calme le Béninois. Il faut savoir leur parler le langage qu’ils ont toujours attendu. Que le sentiment d’appartenance à cette nation puisse être entretenu. Je souhaite bonne fête au peuple béninois. Je leur dis de garder espoir. Il n’est pas dit que la courbe doit être exponentielle tout le temps. Mais reconnaissons que nous sommes au creux de la vague et que les dirigeants actuels fassent en sorte qu’il y ait un regain d’activités qui permettent de nous sortir des insuffisances que je viens de noter. Ce n’est contre personne. C’est pour améliorer le système.
Entretien réalisé par Bertrand HOUANHO
Transcription Isabelle Gnammi (Stag) et Bertrand HOUANHO