Les femmes font partie des couches les plus vulnérables des changements climatiques notamment en raison de leur lien avec les ressources en eau et les activités agricoles. Des études menées par le Centre de recherches et d’expertise pour le développement local (Credel) le confirment. Parfait BLALOGOE, Docteur en Sciences de l’Environnement et Directeur dudit centre plaide pour la prise en compte du genre pour une résilience inclusive.
Dr Parfait Blalogoé dans le cadre du Projet de Renforcement de la Résilience des Communes au sud du Bénin face aux changements climatiques, des études ont été menées sur la vulnérabilité des femmes. Quelle est la situation sur le terrain ?
Ces études ont été menées dans huit communes du Bénin, à savoir Ouidah, Ouinhi, Athiémé, Savè, Djougou et Ouaké. Ce que nous avons pu constater après l’état des lieux est que les femmes sont impactées différemment face aux changements climatiques comparativement aux hommes. On a constaté que lorsque les risques climatiques arrivent, ça frappe beaucoup plus les femmes que les hommes. Nous pouvons prendre l’exemple très simple des inondations. D’ailleurs, les femmes n’ont pas accès aux ressources de la même manière que les hommes. La ressource fondamentale ici, c’est la terre. Il existe beaucoup de barrières qui limitent l’accès de la femme à la terre. Généralement, les femmes ont accès à la terre la plus pauvre du milieu. Du coup, ce qui est riche appartient aux hommes et ce qui est pauvre, non productive revient à la femme. Du coup, quand il y a inondation, imaginez, non seulement la partie cultivée par la femme est pauvre en ressources naturelles mais elle est également impactée parce que l’eau va rester là. Du coup, la femme n’arrive plus à trouver les biens nécessaires pour produire et impacter davantage.
Les catastrophes pourraient s’accentuer. Les femmes ont-elles les capacités ?
Par rapport aux catastrophes, lorsqu’il y a inondation dans le milieu et qu’on n’arrive plus à produire du tout, l’homme a la possibilité de migrer facilement. Si c’est en milieu rural et qu’il n’y a plus possibilité de survivre, il peut aller en ville et devenir conducteur de taxi moto par exemple. En ce moment, la femme est obligée de se débrouiller dans le milieu, même si ces activités ne marchent pas. Elle est obligée de rester pour pouvoir subvenir aux besoins des enfants et des personnes âgées à sa charge. Du coup, non seulement sa journée de travail augmente, parce qu’elle doit faire ses activités, s’occuper des enfants et du vieillard mais aussi elle dispose de moins de temps pour s’investir dans les activités productives. Ce qui accentue davantage sa vulnérabilité. Or, en ce moment, l’homme est en ville en train de mener ses activités, de faire sa vie et revenir après remettre de l’argent, demander comment la famille se porte.
On sait que les ressources en eau s’amenuisent considérablement. Quelles sont les incidences à ce niveau ?
C’est l’un des facteurs qui accentuent la vulnérabilité de la femme. Si dans la localité, il y avait un point d’eau, où les gens viennent s’apprivoiser avec un accès facile en moins de 500 m, et que entre temps, ce point d’eau tarit, vous imaginez les femmes faire plus d’un ou de deux kilomètres pour aller chercher de l’eau. C’est encore là, les femmes qui font la corvée sur cette distance, la bassine sur la tête ou le bidon sur un vélo pour ramener l’eau dans le ménage. Donc, si elle avait l’habitude de prendre 30 minutes pour chercher de l’eau, du fait du tarissement de ce point d’eau qui est à proximité, elle consacre deux heures d’horloge pour aller en chercher et ramener dans le ménage. Du coup, les femmes travaillent davantage. Si elle a l’habitude de cesser ses activités domestiques à 20 heures, du fait du rallongement du temps pour aller chercher de l’eau par exemple, elle peut aller jusqu’à 22 heures. Cela joue sur ses capacités physiques mais aussi sur le rendement au niveau des activités productives.
Y-a-t-il des facteurs nouveaux révélés par les différentes études menées par le Credel en ce qui concerne la vulnérabilité des femmes par rapport aux changements climatiques ?
On a constaté plusieurs types de facteurs nouveaux. Au Bénin, on a toujours pensé qu’il y a des lois qui sont votées qui facilitent l’accès de la femme aux ressources au même titre que l’homme. C’est toujours resté au niveau national. Dans les communautés, ce n’est pas vrai. Parce qu’il y a des communautés qui disent que la femme n’hérite pas de la terre.
Peut-on savoir plus sur ces réalités dans les communautés ?
Je ne voudrais pas stigmatiser, sinon dans les communes d’intervention, nous avons constaté qu’il y a des localités, comme Athiémé, dans lesquelles les femmes n’ont pas droit d’accès à la terre. La terre appartient normalement aux hommes. Ce sont eux qui doivent céder une partie. On les mets là en attendant. Les femmes n’ont pas un contrôle sur la ressource. Du coup, lorsqu’on constate que cette terre devient fertile du jour au lendemain, l’homme demande à la femme de se mettre de côté et prend possession de l’espace. Ainsi, lorsque la terre donne, ça appartient à l’homme. Quand ça devient pauvre, elle appartient à la femme. Ce qui joue sur la production de biens dans le milieu. En dehors de ça, il y a d’autres barrières dans les communautés. Vous prenez des localités comme Ouinhi, Adja-Ouèrè où il y a beaucoup d’interdits, le culte Oro sort fréquemment. Les femmes ne doivent donc pas sortir. C’est un facteur limitant pour la femme. Lorsqu’on dit que vous devez rester à l’intérieur pendant trois jours, du fait de la sortie de ce culte, que peut faire la femme en ce moment ? Comment peut-elle subvenir à ses besoins ? S’il y a des ressources du milieu que les hommes peuvent exploiter, elle ne peut pas aller exploiter dans ces conditions. D’aucuns diront que les maris sont là pour apporter la ressource. Mais dans ses conditions, les veuves feront quoi ? Ce sont des facteurs qui limitent également l’adaptation des femmes aux changements climatiques. Lorsque nous laissons tout ça et qu’on voit la garde des enfants, les charges reproductives, ne donnant pas un gain mais permettant d’entretenir le ménage, c’est toujours la femme qui doit s’occuper de la personne âgée, des enfants et qui s’occupent même de l’homme. Plus les changements climatiques impactent le milieu et ses ressources, plus la femme est impactée.
Est-ce que les mesures et politiques en cours répondent à la situation que vous évoquez ?
Il y a des portes de sortie. Lorsque nous prenons nos documents de politique d’adaptation aujourd’hui, on constate que les mesures et les politiques, ne sont pas spécifiés. Je prends l’exemple de l’agriculture. On a connu des projets par le passé où pour renforcer l’agriculture par rapport aux changements climatiques, on donne des variétés à cycle court. Mais dans ce cas, c’est souvent du riz, du maïs, de l’igname. Mais combien de femmes sont dans ces secteurs. Pour la femme, c’est beaucoup plus la tomate et les légumineuses. Mais quand ces produits-là arrivent, on n’a pas souvent des regards sur les activités liées à la femme. Ça pose un problème et il va falloir faire l’analyse différenciée de l’impact et ensuite apporter des réponses, déjà dans les documents de politique. Il faut qu’on sente que les actions spécifiques sont orientées vers la femme. ça va permettre de renforcer sa résilience.
Au-delà de ça, n’y a-t-il pas de possibilités d’appuyer les femmes sur le point financier ?
Il le faut dans la mesure où l’accès aux ressources financières constitue également un grand facteur de vulnérabilité. Lorsque nous prenons par exemple la sécheresse, qui se manifeste aussi bien au sud qu’au nord du pays, on constate que parfois, il faut des motopompes pour arroser les cultures maraîchères et produire en tout temps. Mais lorsque vous prenez l’accès au micro crédit, généralement en milieu rural, la femme ne peut pas aller contracter un prêans l’aval de l’homme. Parfois, lorsqu’elle va contracter le prêt, c’est encore l’homme qui en est le bénéficiaire. Du coup, ça réduit la capacité de production de la femme. Or, si elle avait la facilité d’accès au crédit, elle peut s’acheter également la motopompe, arroser régulièrement son petit champ de légumes, produire et vendre pour trouver des ressources et s’épanouir. Donc, la facilité à l’accès au crédit constitue également un facteur pour renforcer la résilience de la femme par rapport aux changements climatiques.
Le Bénin dispose depuis deux ans d’une loi sur les changements climatiques, la loi 2018-18 du 06 Aout 2018. Ce texte arrange-t-il les femmes ?
Nous allons dire que le pays a avancé. Le Bénin constitue quand même le premier pays de la sous-région ici qui ait pris une loi sur le changement climatique. C’est une avancée mais il reste encore à faire parce qu’au moins cette loi permet de fixer les normes en matière de gestion de changement climatique. Mais lorsqu’on parcoure la loi, je suis désolé de le dire, j’ai pris part au processus, mais lorsqu’on parcourt la loi, on constate qu’il n’y a pas une spécificité qui est faite à la femme. Peut-être, c’est par rapport à notre niveau de compréhension en ce temps qu’on n’a pas pu insérer ces aspects dans la loi. Donc, il serait quand même bien que dans la révision, dans les années à venir on mette l’accent sur la vulnérabilité et l’adaptation de la femme.
Réalisation : Fulbert ADJIMEHOSSOU & Ornella DOSSOU-YOVO (Stag)