Le départ du juge Angelo Houssou qui est cependant loin d’être le premier à avoir pris ses jambes à son cou pour sauver son souffle, m’a plongé dans une triste réflexion sur une question qui me taraude sans relâche : « comment en sommes-nous arrivés là ? ». Je ne suis certainement ni le seul ni le premier à me poser cette question.
Je ne pourrai donc qu’apporter une humble contribution à une réponse que je voudrais collective et partagée par tous mes concitoyens. D’ailleurs, l’actualité qui s’est accélérée récemment avec le rejet, par la justice française, de la demande d’extradition de Patrice Talon et de Olivier Bocco, apporte un éclairage particulier à ma préoccupation, dans la mesure où cette demande est clairement soutenue par le Chef de l’Etat qui a même dû jurer (en bon chrétien) sur les antennes d’une radio étrangère pour convaincre le monde du bien-fondé de sa demande.
En effet, en première analyse, on serait tenté d’affirmer que le juge Houssou n’est victime que de la ferme volonté du président de la République de lui faire payer l’effondrement du montage politico-théâtral grâce auquel il voulait en finir avec certains de ses amis d’hier. Cette idée est d’autant plus facile à défendre qu’il est de notoriété que les traits de caractère du président de la République du Bénin ont peu avoir avec la paix, la tolérance, la contradiction ou le pardon. La Cour constitutionnelle elle-même, en donnant récemment raison à un citoyen béninois qui s’élevait contre les propos violents du président de la République le 1er août 2012, a reconnu qu’ils traduisaient une « méconnaissance » de la constitution. La gravité de ce constat n’est pas l’objet direct de mes réflexions même si le silence qui s’en est suivi l’est.
En réalité, me rendant compte du nombre impressionnant de personnes qui ont dû fuir ce pays ou qui refusent d’y revenir, en gardant ou non le silence : hommes d’affaires, cadres, journalistes, anciens ministres, acteurs politiques, etc. , j’ai commencé à me demander jusqu’où doit se poursuivre la saignée avant que nous nous rendions compte de nos responsabilités individuelles et collectives dans ce drame qui nous ramène aux sombres années de cette révolution à laquelle nous avons cru avoir mis fin avec la Conférence nationale.
Est-ce vraiment de Boni YAYI qu’Angelo Houssou est victime ? Boni YAYI, seul, a-t-il la capacité de faire de la famille d’Angelo Houssou, une famille meurtrie, déchirée, soumise aux tourments du présent et des lendemains incertains ? En a-t-il vraiment les moyens dans une démocratie ? Ma réponse est sans ambages : « NON ! ».
Non ! Parce que le président de la République est d’abord un homme et un seul. Il est ensuite, du fait de ses attributions et prérogatives, une institution qui est censée fonctionner dans un cadre dont le périmètre est tracé par un ensemble d’institutions républicaines chargées d’assurer la délimitation entre l’homme-président et l’institution présidentielle. C’est-à-dire, de faire en sorte que les tendances naturelles de l’individu ne viennent pas à nuire au fonctionnement normal de la république, au bien-être de la nation, en l’obligeant, pour ce faire, à rester dans le cadre constitutionnel que ses concitoyens qui l’ont élu ont défini pour lui.
Donc NON ! Non, parce que Angelo Houssou n’aurait certainement pas pris la poudre d’escampette s’il était certain que la machine judiciaire fonctionnerait correctement, que l’un de ses collègues ne s’amuserait pas, déférant aux ordres du président de la « république », à le jeter en prison comme cela fut déjà le cas pour d’autres collègues avant lui, que le Conseil Supérieur de la Magistrature fonctionnerait correctement afin de garantir ses droits, que la Cour Constitutionnelle ne se voilerait pas la face en même temps qu’elle se boucherait les yeux et les oreilles pour ne pas avoir à reconnaître que l’auteur d’un acte liberticide et violent viole…pardon.. « méconnaît » la Constitution, que les députés n’omettraient pas de traduire devant la Haute Cour de Justice un président de la République dont la Cour constitutionnelle a reconnu qu’il a « méconnu » la Constitution… !
En prenant du recul, on peut même se demander si cet homme, Angelo HOUSSOU, comme tous les autres qui, à leurs corps défendant, subissent la violence de l’exil forcé, n’est pas une lointaine victime du KO électoral de 2011 obtenu sur la base d’une liste électorale désespérément invisible !
Souvenons-nous en effet que c’est au moment de préparer ce KO que la déchéance de la république s’est accélérée sous toutes les formes et sous tous les rapports. Pour la cause du KO, nous avons subitement perdu l’intelligence des choses, la cohérence du raisonnement, la logique dans les faits, la mémoire d’un passé récent où nous avions dit : « plus jamais ça ! » ;
nous avons choisi de sombrer dans la compromission, ouvrant depuis lors, la voie à un boulevard de dérives de toutes natures et aux ampleurs inimaginables. La violence s’est ainsi installée dans notre quotidien et nous suit partout ! Du garde de corps à un certain premier ministre, en passant par des journalistes, des corps et des âmes ont subi la furie présidentielle érigée en règle républicaine de gestion des contradictions. Pour ce KO annoncé bien avant les joutes électorales, nous avons vu, presque tous ceux à qui une parcelle du pouvoir du peuple souverain a été confiée pour faire en sorte que l’homme Boni YAYI puisse se distinguer du président de la République, renoncer, individuellement ou collectivement, à respecter leur propre serment.
Ainsi en est-il des députés qui, voulant à tout prix contrôler le budget et le papier de la LEPI, n’ont pas hésité, à s’attribuer des compétences qui ne leur sont reconnues par aucune disposition constitutionnelle, en repoussant à la touche la CENA pourtant logiquement et légalement chargée des opérations électorales et en se créant sur mesures, un curieux machin dénommé CPS LEPI, qui a produit le désastre que nous déplorons à ce jour ! Ces députés ont ensuite alourdi l’addition en nous fourguant récemment un avatar dénommé COS LEPI dont les premiers soubresauts confirment les lourdes incertitudes qui pesaient déjà sur l’effectivité de cette liste électorale et partant, sur l’organisation un jour, de consultations électorales dignes de ce nom, dans ce pays inventeur de la Conférence nationale.
Ainsi en est-il de la Cour constitutionnelle qui, pour ne prendre que cet exemple, déploie un trésor de contorsions juridiques depuis 2011, pour justifier que des élections démocratiques se tiennent sur la base d’une liste électorale à laquelle les électeurs n’ont pas accès.
Il est en ainsi de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication qui, non seulement saborde volontairement sa mission première d’assurer l’accès équitable de tous aux médias publics, mais en outre, se fait fort de décourager toute expression d’opinions contraires à celle du gouvernement en banalisant, à force de les multiplier, des décisions en principe rarissimes dans une démocratie, telles que l’interdiction d’organes de presse.
Finalement, Angelo Houssou et tous les autres qui ont été contraints de se mettre à l’abri, ne semblent qu’être de lointaines victimes de la fureur du président de la République. Leur vrai bourreau est la compromission dans laquelle se sont englués collectivement ou individuellement les membres des institutions et acteurs de la république à différents niveaux. Certes, parmi les compagnons d’infortune d’Angelo Houssou, figurent de nombreuses personnes qui se sont réveillées brutalement à la principale, constante et impitoyable leçon de la compromission : celle de l’effet boomerang ! Nombreux sont ceux qui sont déjà tombés sur ce triste champ de bataille, humiliés moralement et physiquement après s’être largement compromis à nier l’évidence, à soutenir l’insoutenable et monter des opérations de représailles contre les « ennemis » du président de la République ! Et pourtant, il est surprenant d’observer combien continuent de penser benoîtement que cela n’arrive qu’aux autres !
Je sais, on me dira que c’est cela la politique. Mais pour moi, la politique ne peut se ramener à un espace de pugilat sans règles car je continue de la concevoir comme « l’art de gérer la cité pour le bonheur du citoyen ». Cet art là, a quelque chose de noble, d’élevé, en ce qu’il s’agit de se mettre au service des autres. Ce n’est donc pas de la politique mais bien de la compromission que sont coupables ces hommes et femmes à qui les béninois ont conféré la lourde prérogative de contenir, chacun dans son domaine, les tendances naturelles au débordement du président de la République ! C’est bien d’eux que le juge Angelo Houssou est finalement victime !
N’est-il donc pas temps de cesser de justifier l’injustifiable et d’arrêter l’addition, de mettre fin à cette compromission collective ? Ma foi, OUI ! Et dans cette perspective, je considère que tous, à des degrés divers, nous sommes responsables de cette situation, de cette dérive qui gangrène notre quotidien. D’ailleurs, à y voir de près, Angelo HOUSSOU n’est-il pas une victime lointaine de ceux qui paraissent être les principaux bénéficiaires de la décision de non lieu qu’il a rendue et qui lui vaut ses misères actuelles ? Mais la gravité de la situation est telle qu’il n’est peut-être pas l’heure de s’appesantir sur les responsabilités individuelles. C’est donc ensemble que nous devons y mettre fin car nous en avons les moyens.
Il n’empêche ! Mon appel ne peut que s’adresser au premier chef, à ceux à qui le peuple du Bénin a remis une partie de son pouvoir souverain afin qu’ils contribuent à « gérer la cité pour le bonheur du citoyen ». Mesdames, Messieurs les membres de la Cour constitutionnelle, de la Cour Suprême, de l’Assemblée nationale, de la Haute Cour de Justice, de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication, c’est donc à vous que je m’adresse en tout premier lieu ! Sauvez le juge Angelo Houssou et sa famille ! Sauvez-nous !