C’est à un voyage dans le temps que le photographe Ishola Akpo invite à travers sa dernière exposition « Agbara women ». Voyage dans le royaume des femmes de pouvoir, mais aussi une ode au pouvoir des femmes trop souvent ignoré, à dessein, dans l’histoire.
C’est dans les locaux du musée de la Fondation Zinsou à Ouidah que le photographe Ishola Akpo rend aux femmes le pouvoir qui leur a été volé. Lors d’une résidence de quinze mois, l’artiste a choisi de travailler sur des reines africaines, qui ont régné mais qui ont pour la plupart été oubliées volontairement dans l’histoire de leurs pays.
« J’ai constaté dans notre histoire contemporaine qu’on ne nous raconte que les prouesses des rois et des colons. Pourtant, entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, les femmes ont pu résister et dire non aux forces étrangères. Parmi ces femmes, on peut citer la reine Zingha en Angola, Ndaté Yalla au Sénégal, Tassi Hangbé au Danhomey… ». A ces femmes de pouvoir, il rend hommage à travers une exposition qui se tient jusqu’au 25 octobre.
« Beaucoup d’entre nous connaissent Marie-Antoinette d’Autriche en France ou Isabelle la Catholique en Espagne » sans avoir aucune idée « de la vie et des exploits de Tassi Hangbé, Yalla Ndaté, Anne Zingha en Angola, Yaa Asantewaa du Ghana ». Ce sont ces reines ainsi que les reines yoruba du Nigeria qui ont inspiré Ishola Akpo, indique-t-on. L’artiste, au cours de ses recherches, s’est rendu compte qu’il n’y avait que très peu de documents et d’archives en rapport avec ces reines d’Afrique. C’est ainsi qu’est né le projet “Agbara Women”, pour rendre hommage à ces femmes gommées de l’histoire. Très connu pour ses célèbres photographies, Ishola Akpo a expérimenté pour cette exposition de nouveaux supports tels que le tissage, la broderie, la sculpture, le collage et la couture sur papier. Cette expérience est menée autour de trois séries « Agbara Women / photographies », « Traces d’une reine / collages » et enfin « Manifeste / tapisseries ».
L’exposition exprime dans sa globalité, la détermination, la force et la résistance dont ont fait preuve ces reines africaines, mais également la fragilité de leur pouvoir face à toutes les formes d’opposition qu’elles ont pu rencontrer. « Agbara Women est une ode aux femmes et aux traditions africaines à travers un travail ambitieux, précis et inédit que nous avons l’honneur de présenter au musée de Ouidah », fait-on savoir du côté de la Fondation Zinsou.
L’exposition
Lors de la création de sa série « L’essentiel est invisible pour les yeux », travail conceptuel et documentaire qui explorait la mémoire de la dot du mariage de sa grand-mère à travers les objets restants, Ishola Akpo a appréhendé le rapport entre la place des femmes, les traditions et l’Histoire. Avec “Agbara Women”, il a souhaité approfondir ce thème avec les reines africaines. L’artiste redonne ainsi sa véritable place à la femme dans « la complexité des sociétés contemporaines mondialisées, où les liens séculaires se défont et concèdent de nouvelles normes ».
Il plonge le visiteur dans une dualité dès les premiers pas en lui présentant une sculpture créée en collaboration avec le sculpteur Matthias Kaiser à Vienne en Autriche. Cette sculpture, une hache réalisée en céramique et en fer, est pour Ishola Akpo l’emblème de la résistance et donc de la force, mais la matière choisie pour le manche, la céramique s’oppose à cette résistance, car elle symbolise la fragilité du pouvoir de ces reines africaines. « Cette dichotomie, Ishola Akpo la livre également dans la série Traces d’une reine. Elle est représentée ici par le fil rouge cousu des treize collages de photographies et d’images d’archives, qui révèlent le pouvoir et la gloire oubliés des reines en Afrique ».
L’artiste se plait à opposer l’aiguille, matérialisant la résistance des Reines, à la fragilité de leur pouvoir incarnée par le papier. Mais ce fil rouge exprime aussi le fil conducteur de l’histoire de ces reines. « Il relie archives et perspectives contemporaines permettant ainsi à Ishola Akpo de souder entre eux des éléments disparates pour créer une nouvelle histoire », lit-on dans la documentation de la structure d’accueil sur l’exposition.
Sur certains de ces collages, Ishola Akpo a délibérément remplacé la tête des rois par celle des reines, mettant ainsi en scène des archives à la gloire de ces dernières. Il propose une autre version de cette histoire en réhabilitant ces femmes. Des femmes à qui l’artiste rend hommage et pouvoir en les présentant sous un autre prisme avec « Agbara women ».
Dans cette autre série, il revient à son médium de prédilection, la photographie. Il construit, déconstruit le fond et la forme, et comme un peintre joue avec une palette de couleurs irradiant ces reines.
« Il les désire scintillantes et les met en lumière pour leur rendre hommage. Pourtant rien n’est laissé au hasard dans les photographies d’Ishola Akpo, le choix des modèles, des accessoires, des couleurs… Tout a une source ». Sa culture Yoruba et ses traditions se veulent dominantes.
De la couleur des costumes des reines présentes dans cette exposition, Ishola Akpo nous transporte vers le noir des douze tapisseries brodées à la main de la série « Manifeste ».
Des mots dans des langues « traditionnelles » africaines : asanté, swahili, yoruba, zulu…, font écho à la résistance de ces reines et se laissent deviner lorsqu’on approche les œuvres. Aux visiteurs, il laisse le soin et le loisir de les décoder, les chercher, les déchiffrer, rendre visible l’invisible et percer le secret bien gardé de leur glorieux passé. « Ishola Akpo proclame sa résistance et signe avec ces manifestes une nouvelle façon de faire de la photographie et de créer de nouvelles images. La puissance, la force et la détermination mais aussi la fragilité de ces reines oubliées de l’histoire, ont transcendé sa sensibilité et sa créativité », note la Fondation Zinsou. Au-delà de l’hommage rendu à la femme, cette exposition se veut un complément d’archives, et le témoignage de l’engagement d’un artiste qui s’est dévoué sans réserve à la cause des reines d’Afrique oubliées.
De l’artiste…
Photographe et artiste multimédia, Ishola Akpo expérimente les possibilités du numérique, tout en mélangeant dans son travail modernité et tradition, jouant sur différents niveaux de lecture pour en faire des métaphores plurielles. La frontière entre réalité et fiction, identités fixes et identités multiples, reste au cœur de sa démarche. En 2013, lauréat de Visa pour la création (Institut français, Paris), il présente la série Pas de flash s’il vous plait ! Une réflexion sur l’interaction de la lumière sur les sujets photographiés, présentée sous forme de performance et d’exposition à l’Institut français de Cotonou. En 2014, il publie la série «L’essentiel est invisible pour les yeux » à partir d’une expérience familiale, qui illustre la dot de sa grand-mère, tout en insistant sur sa charge mémorielle. Cette réflexion le conduira à explorer le mariage contemporain. En 2015, avec la série « Les mariés de notre époque »,
Ishola Akpo, lauréat de Photoquai, rentre dans la collection du Musée du Quai Branly à Paris.
Depuis, il multiplie les résidences artistiques. Son travail a été sélectionné dans plusieurs grands événements internationaux dont le Weltkulturen museum Frankfurt (Allemagne), Fotonoviembre, Tenerife (Espagne), Nuit blanche de Port-au-Prince (Haïti), Lagosphotos Festival (Nigeria), Festival Afreaka (Brésil). Ishola Akpo vit et travaille au Bénin. Il est entré dans différentes collections muséales et privées.