Des parents sont de plus en plus portés à faire inscrire très tôt leurs enfants à l’école. Cette pratique répond à un besoin de voir les enfants évoluer très jeunes et de vite se libérer de leurs charges. Mais dans la réalité, une telle pratique n’est pas de nature à arranger les choses. Les enfants soumis à ces pratiques pourraient présenter à la longue des troubles d’apprentissage et d’intégration sociale à l’âge adulte.
Par Alain ALLABI
L’élève Cédric n’est âgé que de 13 ans et déjà est en classe de 1ère dans un collège privé de Cotonou. C’est aussi le cas de la fille de dame Rosalie, secrétaire de direction dans une société de la place. Celle-ci a fait inscrire sa fille de 3 ans directement à la Maternelle 2 et à 4 ans elle fut admise au CI.
Elle était toujours 1ère de sa classe et à 8 ans, elle a eu son Certificat d'études primaires (CEP). Aujourd’hui, âgée de 9 ans, elle est en classe de 5è.
Ce qui a motivé dame Rosalie à agir ainsi, c’est qu’elle a estimé que sa fille est une surdouée. «Ma fille a des réactions qui dépassent son âge. Déjà à deux ans, elle dérangeait le répétiteur de sa sœur aînée et cherchait à étudier.
En plus, elle est très curieuse et posait beaucoup de questions », se rappelle-t-elle. Belles performances ! serait-on tenté de dire. Mais à y voir de près, cela ne serait que le résultat d’une inscription précoce ou d’un saut de classes avec comme conséquences des troubles d’apprentissage et plus tard des difficultés d’intégration sociale.
Ces cas, selon Gabriel Dossou, inspecteur de l’enseignement du premier degré et chef de la circonscription scolaire Lagune de Cotonou, vont contre les textes.
A ce sujet, il rappelle les textes régissant l’éducation au Bénin. Notamment, il se réfère à la loi N°2003-17 du 11 novembre 2003 portant Orientation de l’éducation nationale qui stipule en son article 23 : « L’enseignement maternel vise essentiellement l’éveil et la stimulation des fonctions physiques, psychologiques et mentales de l’enfant. Il dure deux ans et est ouvert aux enfants âgés de deux ans et demi au moins… » A la lumière de ces dispositions légales, Gabriel Dossou dira que l’enfant qui passe par la maternelle en sortira au bout de deux ans à l’âge de quatre ans et demi pour être admis au Cours d’Initiation dans l’enseignement primaire.
A ce niveau, les études, selon l’article 24 de la même loi, doivent durer 6 ans. Ainsi, l’enfant sera âgé normalement de 10 ans et demi quand il passera le Certificat d’études primaires (CEP). Et ce n’est qu’après cela qu’il pourra être admis au collège à partir de la classe de 6è. Se référant toujours à la loi N°2003-17 du 11 novembre 2003 portant Orientation de l’éducation nationale en son article 36 qui énonce que l’enseignement général réparti en deux cycles dure sept ans, soit 4 ans au premier cycle de la 6è en 3è sanctionné par le Brevet d’études du premier cycle (BEPC) et trois ans au second cycle sanctionné par le Baccalauréat.
« Dès lors, si l’on respecte la loi, l’enfant obtiendra son CEP à 10 ans et demi au moins, son BEPC à 14 ans et demi et son Baccalauréat à 17 ans et demi », conclut Gabriel Dossou. Puis, revenant au cas de l’élève de 13 ans en 1ère, il dit ne pas comprendre. Car, suivant les textes, il devrait être en classe de 4è. Mais, il tente d’expliquer qu’il a dû faire quatre ans au Cours primaire, ce qui est anormal, et aurait décroché son CEP à l’âge de 8 ans pour commencer la 6è.
Et il passera, l’année scolaire prochaine, en Terminale à l’âge de 14 ans pour passer le Baccalauréat. «On se rend compte d’une anomalie dans le cursus de cet enfant. Il y a un gap de quatre ans et demi de gagné dans sa scolarité. Car, en Terminale, il devrait avoir 17 ans et demi au moins », relève Gabriel Dossou en ajoutant qu’il aurait été objet d'une inscription précoce et du saut de classe aussi pour avoir cette avance de trois ans sur ses camarades. Cette manière de faire ne serait pas sans conséquence sur l’enfant.
Les revers de la scolarisation précoce
Apparemment, l’on pourrait être séduit par l’entrée scolaire précoce et le saut de classes. Mais en réalité, ces pratiques ne manquent pas d’avoir des répercussions sur le développement de l’enfant. Loin d'être une bonne mesure pour l'enfant, la scolarisation à deux ans aurait des conséquences négatives dans les domaines éducatif et psychique. Il semblerait que contrairement à ce à quoi l'on pourrait s'attendre, l'entrée précoce dans le cycle de scolarité favorise des retards dans les apprentissages de la lecture et de l'écriture.
Selon l’inspecteur de l’enseignement du Premier degré et chef de la Circonscription scolaire Lagune de Cotonou, Gabriel Dossou, il y a un âge propice pour apprendre à lire. En deçà de cet âge, l’enfant n’est pas capable d’analyse pour distinguer les lettres composant un mot. Il ne perçoit que les mots globalement et aura alors des difficultés pour apprendre à lire aisément. Parmi les troubles qu’un enfant précocement scolarisé pourrait manifester, figure la dyslexie.
Il s’agit d’un trouble psychique ayant des répercussions au niveau de la parole et de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, définit l’inspecteur Gabriel Dossou. A cause de ce trouble, l’enfant pourrait confondre les lettres p et b, b et d. Plus grave, selon l’inspecteur français Christian Guillaume dans son livre « J’aide mon enfant à apprendre à lire », ce type de trouble pourrait conduire un tel enfant à opérer l’interversion de lettres. Ainsi, au lieu de lire « rat », il lira « tar ».
De même, la dyslexie pourrait également se manifester par la confusion de mots, et il lira « chien » en lieu et place de « cheminée ». Cela pourrait s’accompagner ou non de l’écriture en miroir.
En mathématiques, l’enfant manifestera la dyscalculie qui affecte les compétences arithmétiques et les habiletés numériques. Il pourrait aussi avoir des difficultés dans la structuration de l’espace et confondra le devant avec le derrière, la droite avec la gauche, explique l’inspecteur Gabriel Dossou.
Ces troubles n’affectent pas que le vécu individuel de l’apprenant. Ils pourraient le conduire et le suivre dans sa vie professionnelle. Car, justifie Gabriel Dossou, ce sont les compétences et habiletés développées dans l’enfance que l’on développe à l’âge adulte et donc dans la vie professionnelle.
Ainsi, la difficulté d’intégration scolaire peut s’amplifier pour se manifester sous forme de difficulté d’intégration sociale.
Par ailleurs, une scolarisation trop précoce risque de provoquer des réactions diverses, comme des inhibitions, un sentiment de solitude, un durcissement des conduites agressives, lesquelles peuvent se répercuter jusqu'à l'adolescence.
Selon le témoignage d’un homme dont un neveu est précocement scolarisé, cette pratique n’arrange pas les enfants. Rapportant les mésaventures de son neveu, il précise qu’il a fini ses études universitaires depuis un moment mais ne fait qu’enchaîner les stages.
Sa jeunesse ne rassure pas les chefs d’entreprises où il dépose de dossier pour se faire embaucher. On trouve qu’il n’est pas assez mûr pour travailler. « A quoi a servi cette avance qu’il a eue sur les jeunes de son âge ? », se désole-t-il. Toutefois, il reconnaît que malgré son diplôme de Licence, il affiche des attitudes dignes de ses 17 ans mais qui ne reflètent pas son niveau d’étude. «Il se comporte non pas comme un adulte diplômé, mais comme un adolescent», précise-t-il en secouant la tête.
Parlant des anomalies observées au niveau de sa fille, dame Rosalie, secrétaire de direction dans une société de la place, reconnaît qu’en classe de 6è, elle a été traumatisée par le volume des leçons et le nombre d’enseignants. «Maman, il y a trop de maîtres ici et les leçons sont longues. Je préfère retourner là où j’étais. Je suis très fatiguée», raconte dame Rosalie en rapportant les plaintes de sa fille. Ce n’est que grâce aux échanges et aux conseils de sa mère que la fille a pu tenir.
Bon à savoir
-Tous les enfants passent par les mêmes stades de développement bien que chacun ait son rythme propre.
-Tout ce qui gêne ou empêche le processus normal de l’évolution peut traumatiser l’enfant et le bloquer à un stade d’où il ne peut plus sortir sans aide et l’on parle de fixation.
-Ou bien si la difficulté est trop grande, et les moyens de maîtrise et de défense trop faibles, l’enfant a tendance à essayer de s’en sortir en revenant en arrière à des stades archaïques de la petite enfance. Dans ce cas, on parle de régression. Mais fixations et régressions sont inévitables et ne sont pathologiques que par leur importance et leur tendance à dominer les autres moyens de contact avec le milieu ambiant.
Source : Synthèse de recherches sur les Stades du développement de l’enfant (Psychologues scolaires -Groupe de travail -Circonscription de Schoelcher en France) Octobre 2010.