La loi n° 2018-12 du 02 Juillet 2018 portant régime juridique du bail à usage d’habitation domestique en République du Bénin a mis fin au règne des démarcheurs informels en exigeant de l’agent immobilier une carte professionnelle. Cette innovation vise à garantir au citoyen un logement décent dans le respect de ses droits fondamentaux. Après deux ans d’expérimentation, quelle lecture font les promoteurs d’agences immobilières de l’application de la loi. C’est la question que nous avons posée entre autres à Justin Adikpeto. Il est le Vice-Président de l’Association Nationale des Agences Immobilières du Bénin (ANAIB).
La société civile a applaudi au vote de la loi. Peut-elle en faire autant après deux ans de mise en œuvre ?
La loi a été approuvée et nous devons une fois encore nous rendre à la cruelle évidence. Aucune œuvre humaine n’est parfaite. Aucune loi n’est parfaite. La loi dont vous parlez comprend 90 articles. Et je peux affirmer sans me tromper, que 90% de la population béninoise ne connaissent pas la loi, et pour celles et ceux qui la connaissent, rares sont les personnes qui l’ont lue.
Mais la presse en avait abondamment parlé ? C’était une première au Bénin.
Oui, vous n’avez pas tort. Sauf que vous ne dites pas tout. La presse a surtout communiqué sur un ou deux articles : Il s’agit de l’encadrement de la caution que doivent percevoir les propriétaires qui j’avoue, a une portée concrète ; et de l’article cadrant les honoraires à percevoir par les agences immobilières. Lorsque l’agent immobilier met seulement en relation les parties aujourd’hui pour la conclusion du bail, la commission ne peut excéder 50% du loyer mensuel. Je pense que pour ces deux cas, le message est bien passé. On nous a appris que nul n’est sensé ignorer la loi. L’Anaib a fait quelques séances de sensibilisation auprès des agences immobilières. Les propriétaires n’étaient pas trop contents. Il faut dire que la loi fragilise l’assurance des investisseurs ou des propriétaires.
Justement, pourquoi ce sentiment que la loi surprotège les locataires au détriment des propriétaires.
Il y a un effet de « prisme ». Si vous êtes locataire, vous aurez l’impression que la loi protège les Propriétaires et Vis-Versa. Il n’y a pas de loi parfaite. Ce n’est pas seulement dans l’immobilier. Le gouvernement actuel y apportera des corrections ou un autre dans 10, 20 ou 50 ans.
Vous avez fait une proposition en son temps
La peur des propriétaires vous l’avez compris, c’est qu’une caution de trois (03) mois ne suffise pas pour couvrir des impayés de loyers et des dégâts physiques d’un locataire indélicat. Oui, notre proposition, elle existe déjà. C’est d’obliger le locataire à sortir puis à rembourser les dus. Mais, nous sommes au Bénin et les procédures judiciaires sont non seulement mal connues des citoyens mais elles prennent aussi du temps, ce qui les décourage. Si vous allez en France, les procédures d’expulsion durent entre 6 et 24 mois. Je parle de la France. Chez nous, mon souhait le plus profond est que la loi soit respectée. On gagnera du temps et de l’argent. Si non, si la Justice et la Police et là, j’en appelle à la responsabilité de tous, jouaient leur partition, tout le monde serait heureux.
Aujourd’hui, quelles sont les conditions exigées pour être un agent immobilier ?
Au sens de la loi sur le bail d’habitation, l’agent immobilier est un intermédiaire qui intervient dans les opérations juridiques portant sur les biens immobiliers. Et pour être déclaré Agent immobilier, il faut remplir entre autres les conditions ci-après : être de nationalité béninoise, être inscrit sur le registre des agents immobiliers tenu par le ministère en charge de l’habitat, obtenir une carte professionnelle délivrée par ce même ministère, justifier d’une police d’assurance, ne pas faire l’objet d’une condamnation judiciaire devenue définitive pour atteinte à la confiance, à la fortune d’autrui.
Mais ce n’est pas ce qui s’observe sur le terrain actuellement ?
Vous avez raison. Il est à noter que malgré l’adoption de cette loi, très peu d’agents immobiliers se conforment aux nouvelles conditions prescrites. C’est le lieu de leur dire de respecter les textes. Si vous continuez à exercer cette profession sans vous conformer aux dispositions prescrites, vous tombez sous le coup de la loi. Mais pour une bonne application des textes, il faut que l’Etat joue également sa partition. Tous les textes réglementaires devant faciliter l’application de la loi ne sont pas encore pris.
Qu’attendez-vous concrètement des pouvoirs publics ?
Un décret d’application est en attente d’être signé par le Chef de l’Etat. Les agents auront l’obligation d’avoir une carte professionnelle et rempliront un certain nombre de critères. Mais pour nous, le plus essentiel est la Déontologie du Métier. Le respect du client. On observe à Cotonou la création régulière de nouvelles agences immobilières. C’est une bonne chose. La preuve que le métier bascule progressivement vers le formel
Il est interdit de refuser le logement à quelqu’un en raison de ses situations professionnelles, ethniques et autres. Sur le terrain, on a remarqué que les propriétaires continuent de fouiller dans le passé de leurs futurs locataires avec parfois la complicité des agents immobiliers.
Vous tirez des conclusions hâtives. C’est un seul son de cloche que vous avez entendu. Les propriétaires ne cherchent pas à savoir si le futur locataire est Adja, Mina, Nago ou Bariba. Ou s’il est maçon ou ingénieur. On appelle cela une enquête de solvabilité. Juste pour savoir si dans le passé et un passé récent s’il vous plaît, le futur locataire n’est pas un mauvais payeur. C’est juste une façon de prévenir les problèmes à l’avenir.
L’actualité au Bénin, c’est le coronavirus avec ses impacts sur tous les secteurs d’activités. On a appris qu’un propriétaire est allé changer la serrure du locataire parce que ce dernier est sous traitement du coronavirus.
Sur un simple soupçon, et l’absence du locataire ? Et si ce dernier l’accuse de vol, il s’en sort comment ? non non, je crois que c’est de la folie que de procéder ainsi. Le Coronavirus est pris en charge par l’Etat béninois à 100%. Du dépistage au traitement. Si vous êtes pris en charge, en 11 ou 16 jours, vous êtes complètement guéri. On ne peut donc sortir un locataire parce qu’il a la covid-19. Ça n’a pas non plus de sens économique pour un propriétaire de refuser un locataire pour une telle cause. Nous ne conseillons pas cela à nos propriétaires. Par contre, nous leurs avons suggéré d’installer des dispositifs de lavage de mains devant les maisons, de respecter les consignes du gouvernement et des chefs quartiers en ce temps de pandémie.
La loi en son article 7 dispose : ‘’Le contrat de bail est écrit. Pour l‘application de la présente disposition, le Ministre en charge de l’habitat en collaboration avec les Maires mettent à la disposition des administrés des formulaires types de contrat de bail à usage domestique dont les clauses doivent être conformes à la présente loi’’. L’absence de ce contrat deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, peut-elle justifier la cacophonie qu’on observe encore sur le terrain ?
De toutes les façons, avant ou après la loi, il est irresponsable de louer un bien à quelqu’un sans un contrat écrit. Si vous allez sur internet, vous avez des modèles de contrats disponibles gratuitement. Je ne sais pas s’il y a cacophonie, mais il est temps que les citoyens ne fonctionnent plus comme au 20ème siècle.
Propos recueillis par Bergedor HADJIHOU