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Héroïne nationale: Sakina Harouna, de l’ombre à la lumière

Publié le vendredi 21 aout 2020  |  La Nation
Rencontre
© aCotonou.com par DR
Rencontre entre le président Patrice Talon et héroïne nationale Sakina Harouna
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Par Josué F. MEHOUENOU,

Elle n’était jusqu’au 3 août dernier qu’un visage anonyme parmi les milliers d’habitants de l’arrondissement de Tchatchou dans la commune de Tchaourou. Mais désormais, elle fait figure d’héroïne. Sakina Harouna, la brave de Woria est définitivement sortie de l’anonymat. Depuis son village jusqu’à la présidence de la République, son histoire est connue des Béninois et son exemple devrait inspirer.


Derrière son hidjab et son visage à peine souriant se cache pourtant une belle créature. Le visage rond, son teint naturel et clair, rappelant ses origines peules. Sakina Harouna ne trahit pas son âge. Même après avoir connu la maternité, elle porte bien ses 19 ans. L’adolescence et l’innocence se lisent encore sur son visage porté par un corps svelte et un calme olympien. Elle n’était pas connue du grand monde avant le 3 août 2020. Mais depuis cette date, sa vie a changé, positivement. « Je nage dans le bonheur. Je ne comprends pas ce qui m’arrive», confie-t-elle.
Sakina Harouna, c’est aussi la modestie à fond. De Woria à Cotonou, elle ne s’est pas embarrassée pour se parer outre mesure. Ni bijoux ni tenues extravagantes. Juste sa traditionnelle tunique et ses sandalettes trainées depuis Woria jusqu’au palais présidentiel. Et l’on se rend bien compte que celle qui est devenue un peu comme le « Gassama du Bénin » respire plus par l’esprit que par l’apparence. Elle n’en a d’ailleurs que faire. Pour comprendre sa personnalité, il faut interroger ses proches. De la jeune fille, il ne se dit que du bien. Parce qu’elle est désormais portée par toute une nation ? Non, rétorque son oncle paternel Aboudou Yaya, 55 ans. Selon lui, la politesse et la docilité de Sakina font l’unanimité.
Autant qu’elle, son homme est aux anges. Mercredi 19 août dernier au Novotel où le jeune couple a été accueilli à son arrivée à Cotonou, Omar Moussa, son époux avait l’air quelque peu étourdi. L’air songeur, il scrute avec délectation tout ce qui l’entoure. Par moments, il jette un regard admiratif en direction de Sakina l’héroïne qui elle, regard baissé, s’emploie à répondre à mille questions. Comme lui, Aboudou Yaya désigné au pied levé pour représenter le père de la jeune femme a du mal à cacher sa joie. Ce qui le fascine davantage, c’est de constater que sa nièce a désormais un agent de la police républicaine, arme bien ajustée, pour veiller sur sa sécurité. « C’est un destin heureux », lance-t-il, tout souriant.


Récit d’un sauvetage inédit

Ce lundi 3 août, Sakina à la maison, échangeait avec sa mère. Des échanges mère-fille écourtés par des cris de détresse provenant de la rivière. Pour sa mère, ce ne sont que les gamineries des enfants jouant dans le cours d’eau. Mais peu de temps après, raconte-t-elle, le cri de détresse d’une femme se fit à nouveau entendre. « Je ne me suis pas posé de questions. J’ai couru vers la rivière et j’ai remarqué qu’il y avait des gens qui se débattaient dans l’eau». Ce récit, elle le partage les yeux baissés. Devant le drame qui se jouait sous ses yeux, la jeune femme confie que son réflexe a été de sauter à l’eau. « J’ai commencé par les tirer une à une vers un tronc d’arbre qui était dans l’eau. J’ai fait plusieurs navettes. J’ai pu tirer cinq personnes. Au même moment que je le faisais, j’appelais également au secours mais il n’y avait personne à la maison. Ni mon père, ni mes frères n’étaient présents », laisse-t-elle entendre.
Elle raconte qu’elle a ensuite interrogé les personnes à l’abri qui lui ont expliqué qu’il y avait encore des personnes dans l’eau. Elle a donc poursuivi son opération de sauvetage sans se poser des questions. Rejointe entre-temps par son père, les recherches se sont poursuivies, mais Sakina n’a pu repêcher à nouveau que le corps sans vie d’un enfant. Epuisée, elle abandonne son père à l’œuvre et se retire de l’eau. Célébrée depuis des jours pour cet acte de sauvetage, elle confie tout de même qu’elle a posé cet acte sans arrière-pensée. «Mon intention était juste de sauver des personnes. Je ne savais pas que cet acte pouvait m’amener si loin», tranche-t-elle.
Sakina et l’eau, c’est tout de même une question d’amour, selon plusieurs témoignages. Une partie de son enfance s’est déroulée dans la commune de Savè. « Nous avons vécu non loin de la société sucrière et il y avait un cours d’eau que j’affectionnais et dans lequel j’aimais m’amuser », confirme-t-elle. Les eaux de l’Okpara, elle les connaît si bien aussi. Elle s’y est souvent baignée et y a plongé maintes fois des habits pour la lessive. Ces eaux qui ont bercé une partie de son enfance et de son adolescence la rendent désormais célèbre. Elle qui les a empêchées d’absorber cinq vies humaines.


Altruiste, elle l’est !

« Son principal défaut, c’est qu’elle aime trop rendre service. Elle ne sait pas rester tranquille. Elle doit toujours aider. Même quand je suis au champ et que je lui interdis de venir m’aider, elle me laisse partir et me rejoint. Quand Sakina est à la maison, c’est qu’elle est souffrante…».
Omar Moussa a 36 ans. C’est ce père de famille de six enfants qui a pris pour seconde épouse la jeune Sakina. Ensemble, le couple a un enfant. Quand il parle de sa femme, c’est avec sourire et satisfaction. Il ne saurait en être autrement. Héroïne, elle l’est désormais et cette ombre de bonheur s’étend également sur son homme, devenu désormais son fidèle allié. Pourtant, avant le naufrage sur le fleuve Okpara, le couple battait de l’aile et la jeune épouse, selon certaines confidences, a trouvé refuge sous le toit paternel, le temps de la réconciliation. Et comme si son bonheur s’y cachait, ce 3 août, tranquille chez elle, le bonheur vient taper à sa porte par un malheur qui frappait onze de ses compatriotes.


« Je ne veux pas devenir sapeur-pompier »

La nageuse aux talents singuliers ferait-elle un bon pompier ? Beaucoup ont en tout cas émis le vœu, suggérant qu’elle soit intégrée dans le corps des soldats du feu, pour être utile en temps de sauvetage. Mais rien de tout cela ne convient à Sakina. «Je ne souhaite pas devenir sapeur-pompier», fait-t-elle savoir. « C’est la première fois que je sauve des gens qui se noyaient. Je ne l’avais jamais fait par le passé et je ne me vois pas dans les corps habillés», laisse-t-elle entendre. Se voit-elle comme une héroïne ? Non, rétorque-t-elle, rappelant une fois de plus que son geste était désintéressé. Elle exprime d’ailleurs sa gratitude à tous ceux qui en ont fait l’écho. «Grâce à eux, la nouvelle est remontée aux plus grandes autorités de ce pays », confie Sakina. Sans eux, elle ne serait jamais sortie de son Woria natal, reconnait-elle. «Je ne connaissais pas Cotonou. Jusqu’à ce jour, j’entendais parler seulement de cette ville et c’est la première fois que j’y mets pieds», indiquera-t-elle, souriante. Un sourire qui dévoile la beauté de cette modeste fille qui se refuse à donner des conseils aux Béninois sur la conduite à tenir dans de pareilles circonstances. Le plus important pour elle, c’est l’amour du prochain. Et pour ceux qui s’intéressent à sa condition de vie, elle affirme qu’elle n’exerce aucune activité pour le moment. «Si j’ai une doléance, c’est qu’on m’aide à ouvrir une boutique».
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