Les agricultrices de Toviklin, dans le département du Couffo, subissent elles aussi les effets néfastes de la Covid-19. Pénibilité du travail, hausse du coût de transport, perturbation des saisons, la situation sur le terrain est bien critique mais maitrisable au regard des mesures de riposte. En attendant que la pandémie ne soit jugulée, elles développent des stratégies pour résister au choc.
Hlassamè, commune de Lalo. Jeudi matin dans le champ de haricot de Mélanie Sossa, agricultrice rompue à la tâche. Il faut faire attention pour ne pas détruire le peu de récoltes épargnées par les aléas. Les plantations de cette dame, la cinquantaine, s’étendent à perte de vue, mais la quantité de l’ivraie dépasse les bons grains.
Au bord du désespoir, cette femme svelte de teint noir, taille moyenne, ne s’avoue pas pour autant vaincue. Elle continue de travailler la terre dans cette localité située à environ 140 km de Cotonou, afin de satisfaire, à l’instar de ses paires agricultrices, les besoins alimentaires d’environ 70 % de la population. Dans un contexte de pandémie, cette tâche n’est pas aisée. La Covid-19 dicte sa loi dans les champs.
« Nos récoles, cette année, ne sont pas bonnes. Sur cent mille F Cfa de bénéfice autrefois, nous réalisons à peine quarante mille actuellement », se lamente-t-elle.
Le travail des agriculteurs au champ a connu beaucoup de perturbations. « Avant, on allait au champ en groupe. Aujourd’hui, quand l’effectif dépasse un certain nombre, on ne trouve plus de volontaires parce que les agriculteurs veulent éviter le regroupement. Sur un effectif de vingt-cinq personnes au départ, c’est à peine dix qui acceptent d’aller au champ actuellement », se désole-t-elle.
Ces difficultés se ressentent sur les finances des paysannes. « L’année dernière, à pareil moment, nous avions déjà une idée des bénéfices issus des récoltes. Jusqu’à présent, nos produits sont encore stockés et attendent des acheteurs », confie Mélanie.
A en croire les agriculteurs, la crise du Covid-19 n’épargne aucune filière, même si certaines semblent être plus secouées que d’autres.
Juliette Oké, agricultrice à Toviklin, dans le Couffo, tente de décrire l’impact de la crise sur les récoltes : « Le haricot a été le plus secoué, non seulement du fait de la crise sanitaire, mais aussi de la rareté des pluies. S’ensuivent la patate douce et le coton ».
A cette liste, Jacques Nagonou, président de l’Union communale des coopératives des transformatrices de manioc en gari et ses dérivés de la commune de Toviklin, y ajoute une autre catégorie de produits vivriers exportés tels que le maïs, la tomate et le manioc.
« Nous éprouvons d’énormes difficultés à écouler nos produits. Les Burkinabés résidant au Bénin, ainsi que des Nigériens qui sont nos premiers clients sont réticents. Les commandes ont baissé de moitié », se plaint-il.
Les clients se font désirer. «Ce sont seulement les Béninois qui achètent nos produits. Les clients de la sous-région viennent au compte-gouttes. Les marchandises que nous livrons autrefois à trois cent mille F Cfa sont difficilement vendues à cent vingt mille depuis l’avènement de la maladie à coronavirus », relève Juliette Oké, avant de poursuivre: « Nous abordons la saison du haricot. Nos propres produits risquent de nous rester sur les bras ».
Le malheur des uns faisant le bonheur des autres, la crise financière induite par la crise sanitaire mondiale conforte la spéculation. « Les laboureurs ont doublé le prix de la main d’œuvre. Cette situation nous déboussole », se plaint Eloïse Ghossou, agricultrice et ancienne élue conseillère à la mairie de Toviklin.
Elle appréhende mieux les conséquences de la Covid-19. « La Covid n’est pas une fatalité. C’est une réalité qui me fait peur. La vie est primordiale et tout le monde doit prendre au sérieux les gestes barrières. Même après la crise, les règles d’hygiène doivent être maintenues pour sauvegarder notre santé. La production locale dépend de notre bien-être », sensibilise-t-elle.
Selon Abel Gbètoénonmon, économiste et coordonnateur de ‘’Afrique performance’’, l’impact de la crise sanitaire varie selon que l’on est dans la production agricole, dans la transformation des produits agroalimentaires ou dans la commercialisation. « Dans une logique de la chaîne de valeur ajoutée, on peut appréhender un certain nombre d’impacts au niveau de la production par rapport aux agricultrices, de la transformation agroalimentaire et de la commercialisation », explique-t-il.
Les effets collatéraux de la maladie se ressentent sur les agricultrices, avec à la clé la réduction des financements. «Avec cette maladie, beaucoup de programmes d’appuis aux femmes ont été suspendus. Beaucoup de partenaires qui intervenaient à leurs côtés ont arrêté leurs interventions. Il en est de même des volontaires qui se sont repliés dans leurs pays par crainte de contamination de la maladie », note-t-il.
Il fait noter une baisse de la demande des produits agricoles ainsi que des revenus des populations dont les possibilités d’approvisionnement ont aussi baissé : « Dans le même temps que l’accès aux intrants et aux crédits a connu des difficultés, les marchés n’avaient plus suffisamment de demandes, car les revenus des populations ont baissé. Il faut qu’elles aient de revenus pour s’approvisionner sur le marché agricole ».
Les femmes étant obligées d’assurer la survie du foyer et la rentabilité de leurs activités économiques, se sont vues dans des difficultés financières inédites. « Celles qui ont contracté du crédit auprès des structures de micro finance étaient dans l’incapacité de rembourser régulièrement leurs dettes, les marchés n’ayant pas la demande requise, on a observé une mévente des produits. Les femmes se sont retrouvées dans une situation de paupérisation plus accentuée qu’avant», relève l’économiste.
Selon lui, les agricultrices victimes des impacts négatifs de la crise sanitaire ne sont non plus à dédouaner. L’élan au travail a baissé en leur sein. « La peur de la Covid-19 a développé chez certains, des comportements nuisibles à la production et à l’activité des femmes agricoles en général», développe-t-il.
Pertes
Sept mois après l’apparition du virus au Bénin, les peines des agricultrices s’accentuent. « Lorsque vous manquez de force devant l’ennemi, il vous terrasse. C’est ce qui nous arrive face à la Covid-19. Le manque de moyens financiers nous oblige à accepter les prix dérisoires que nous proposent les clients afin de subvenir à nos besoins », se lamente Eloïse Ghossou.
La situation a entraîné une mévente, plangeant les productrices dans des dettes. Jacques Nagonou, président de l’Union communale des coopératives des transformatrices de manioc en gari et ses dérivés de la commune de Toviklin, évalue à 25 %, la diminution qu’a subi la production agricole cette année dans le rang des agriculteurs de la commune, du fait de la crise sanitaire.
« La Covid-19 n’est favorable à aucun secteur. Les agricultrices sont doublement frappées, car ce sont elles qui produisent la plupart des produits que nous consommons. Elles ont pris du recul dans leurs activités », se désole Françoise Agbaholou, coordonnatrice du réseau Wildaf-Bénin, sur une télévision web de la place.
Le secteur du transport n’est pas moins épargné. « Le prix du transport augmente alors que celui de vente des produits chute sur le marché. Nous les cédons à vils prix, faute de clients. Nous investissons plus dans la production agricole alors que nos bénéfices baissent », ajoute Mélanie Sossa.
En réalité, l’exportation reste le meilleur moyen d’écoulement des produits agricoles, quel que soit le nombre d’hectares cultivés.
« La circulation des personnes a diminué. Les commerçantes en provenance de Cotonou, Lomé et de la sous-région se font rares », relève Eloïse Ghossou.
Cultivateurs, agriculteurs et clients ne savent plus à quel saint se vouer .
« Ce sont des femmes qui optent généralement pour les moyens de transport en commun, or les mesures édictées dans le cadre de la lutte contre le coronavirus n’autorisent pas plus de trois personnes par véhicule. Cela a impacté le coût du transport », explique-t-il.
S’agissant de la fermeture des frontières, le confinement dans certains pays, la mise en quarantaine dans d’autres localités ou encore le cordon sanitaire au Bénin, l’économiste relève des impacts sur les femmes agricultrices à deux niveaux.
Primo, développe-t-il, « ces mesures ont empêché la libre circulation des personnes et des biens dans la sous-région et à l’intérieur des pays et ont agi sur les flux de produits agricoles. Cela s’est répercuté sur les prix et les revenus des producteurs et des agricultrices ».
Secundo, il insiste sur les impacts des mesures des Etats : « Le soutien relatif au transport et les facilités accordées aux femmes dans ce domaine ont baissé. Les mesures de distanciation sociale ont agi sur le coût du transport des produits agricoles. Ce qui a énormément réduit la marge bénéficiaire des femmes agricultrices ».
Selon le Réseau de prévention des crises alimentaires (Rpca), les mesures destinées à freiner la propagation du virus (fermeture des commerces non essentiels, fermeture ou restriction des marchés et limitation de la mobilité) sont porteuses d’importantes perturbations dans l’approvisionnement des marchés, de pertes de revenus et de fortes dégradations des moyens d’existence des populations les plus vulnérables.
Le Rpca évalue à trois niveaux les risques liés à la Covid-19 sur les paysans. Le premier a trait à l’effondrement de la production agricole vivrière du fait de difficultés d’accès aux facteurs de production (intrants, crédit et conseil agricoles) et du dysfonctionnement des chaînes de collecte, transformation et distribution.
Le second concerne la dépendance accrue de la région d’Afrique de l’Ouest et du Sahel aux importations extra-africaines en cas d’effondrement durable des systèmes alimentaires locaux et d’une flambée des prix des denrées alimentaires importées en cas de fortes perturbations du marché international.
Le Rpca analyse le troisième risque en termes d’aggravation du chômage, de pertes de revenus et de pouvoir d’achat des ménages, notamment ceux de l’économie informelle durement touchés par la limitation de la mobilité et la fermeture des marchés.
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Résilience
La Covid-19 reste un os dans la gorge des paysans et agricultrices. « Lorsqu’on est dans le secteur informel comme les femmes agricultrices, et sans assurance, sans salaire, sans protection sociale, on ressent pleinement les impacts de la pandémie », explique Abel Gbètoénonmon, économiste.
Selon le Rpca, il convient d’anticiper et de concevoir dès à présent des stratégies de relance et de dynamisation des systèmes agroalimentaires, y compris les segments non agricoles (transformation, collecte, distribution), en milieu rural comme en milieu urbain.
De leur côté, les femmes savent qu’elles doivent mettre en place une nouvelle dynamique afin de préserver les prochaines récoltes.
« S’il n’y a pas assez de commandes, il ne pourrait avoir assez de productions. La matière première est actuellement indisponible. Mais nous cherchons toujours les voies et moyens pour ramener les produits lorsqu’il y a des commandes », confie Jacques Nagonou, président de l’Union communale des coopératives des transformatrices de manioc en gari et ses dérivés de la commune de Toviklin.
Pour ne pas être submergées, elles essayent de revoir leur production à la baisse afin d’éviter des pertes. Cette Union, regroupant mille neuf cent quatre-vingt-dix membres, organise aussi des échanges périodiques entre les acteurs du monde agricole afin de discuter des solutions de sortie de crise.
Le coordonnateur d’«Afrique performance» apprécie les efforts des agricultrices pour surmonter la crise : « Elles développent beaucoup d’activités de résilience. Elles sont, pour la plupart, obligées de faire des mutations d’activités ».
Mais tous ces efforts ne leur permettent pas encore de combler le gap créé par l’absence de leur activité habituelle. Il y a lieu pour elles de travailler à la diversification des activités.
Covid-19 certes, mais l’espoir est encore permis dans le rang des paysans. A en croire Louis Dayou, président du comité de lotissement de Lalo, l’organisation mise en place pour faire face à la crise favorise certains producteurs, en dépit de l’indisponibilité de la matière première. « Les sous-produits des spéculations importées ont connu une avancée spectaculaire. Les producteurs du manioc et ses transformateurs en gari devraient s’en réjouir », espère-t-il.
La dynamique que développent les agricultrices les soumet à d’autres défis. La plupart des agricultrices étant dans l’informel et n’ayant pas un statut, elles font face à des difficultés de développer des comportements et attitudes de résilience, relève Abel
Gbètoénonmon.
Le respect des mesures barrières et la multiplication des sanctions sur toute l’étendue du territoire national sont indispensables aux yeux de Jacques Nagonou pour sauver le secteur agricole en proie à la pandémie.
Cette mesure paraît également judicieuse aux yeux de Louise Ayilara, présidente de la Plateforme nationale des agricultrices du Bénin,qui insiste sur la prise en compte des mesures barrières et la recherche de financements pour davantage de sensibilisation à l’endroit des populations rurales sur la pandémie.
D’autres acteurs plaident pour la réalisation des études d’impact par les pouvoirs publics afin d’évaluer les impacts négatifs de la Covid-19 sur les groupes vulnérables que sont les femmes et dans le même temps, cibler les mesures d’accompagnement à mettre en place spécifiquement en leur faveur.
A l’instar des artisans, les producteurs attendent également l’appui financier du gouvernement. Les Ong et réseaux de développement sollicitent la bienveillance de l’Etat au profit de cette cible.
« Nous implorons les autorités à tous les niveaux. Les femmes agricultrices sont à 90% analphabètes. Nous demandons aux autorités de passer par les chefs d’arrondissement, les maires et associations de développement pour aider les femmes à reconstituer ce qu’elles ont perdu et poursuivre les productions», exhorte Léontine Konou Idohou, présidente de Rifonga, au cours d’une émission sur les difficultés des femmes agricoles en cette période de Covid-19.
Françoise Agbaholou, coordonnatrice de Wildaf-Bénin, plaide aussi le cas des femmes: « Nous souhaitons que le gouvernement prenne des mesures idoines pour faciliter la production et aussi l’écoulement des produits de ces femmes en subventionnant les moyens de production tels que les intrants et outils de production. Et permettre que l’accès sécurisé des femmes à la terre soit une réalité ».
Entre autres solutions, le Réseau de prévention des crises alimentaires recommande aux pays africains touchés par la pandémie de mettre à jour les plans de réponse 2020, en y intégrant les conséquences de la pandémie de coronavirus ; et de prendre des mesures anticipatives de veille et d’assistance au profit des 50 millions de personnes sous pression alimentaire risquant de basculer dans la crise, des suites des effets cumulés des crises sécuritaire et sanitaire.
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Le gouvernement attentionné
Depuis l’enregistrement du premier cas de Covid-19 au Bénin en mars 2020, le virus n’a cessé d’étendre ses tentacules. En attendant un vaccin, il est urgent pour les femmes agricultrices de trouver une porte de sortie.
Le gouvernement béninois ne perd pas de vue les défis à relever pour soulager les acteurs agricoles. En témoignent les nombreuses visites de Gaston Dossouhoui, ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche (Maep), aux producteurs pour leur remonter le moral et les rassurer de l’attention du gouvernement.
Sensible à la situation, l’Exécutif a identifié les secteurs les plus touchés à travers une plateforme numérique en vue de venir en aide aux acteurs. Cette démarche est un grand pas. Le secteur agricole pourra connaître des jours meilleurs à travers cette mesure.
Il n’est pas superflu de rappeler que l’agriculture occupe une part importante dans le Programme d’action du gouvernement (Pag). Pour lever les goulots d’étranglement qui inhibent le secteur, le Bénin a fait l’option de créer le Fonds national de développement agricole (Fnda). Ce fonds est perçu comme un instrument majeur de facilitation du financement des projets agricoles afin de faire de ce secteur, le principal levier de développement économique du pays. Restructuré en 2017, le Fnda s’est doté de ressources pour assurer efficacement sa mission de promotion de l’investissement privé dans le secteur agricole.
Mais l’année 2020 reste marquée par l’apparition de la pandémie de la Covid-19 avec ses corollaires qui impactent fortement le quotidien des exploitants agricoles. Face à la persistance de la crise et dans le cadre du déploiement des mesures d’atténuation de ses effets, le Conseil des ministres, en sa séance du mercredi 29 juillet 2020, a pris un ensemble de mesures spécifiques et incitatives au profit du secteur agricole pour un coût total de cent milliards de F Cfa dont cinquante milliards destinés à refinancer les banques et les sociétés financières décentralisées sur la base de leur portefeuille de crédits agricoles. Trente-cinq milliards de F Cfa destinés à garantir à 50% les prêts des promoteurs et entrepreneurs agricoles et quinze milliards de F Cfa pour la bonification des taux d’intérêt des crédits mis en place au profit des bénéficiaires.
A l’occasion de la cérémonie officielle de présentation des mesures gouvernementales aux banques et sociétés financières décentralisées, le 8 septembre dernier à Cotonou, Gaston Dossouhoui, ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, s’est réjoui de ce que ces mesures donnent une nouvelle dimension au Fnda, notamment à son guichet 3, «accès aux services financiers» et constituent une première dans la sous-région.
Avec ce niveau d’abondement du Fnda, l’Etat béninois marque clairement sa volonté de renforcer les capacités d’intervention de cet instrument public dans son rôle de levier d’investissement privé dans le secteur agricole.