Facile pour les uns, difficile pour les autres, inexistant par endroit, le dialogue parents-enfants reste un sujet délicat. Sa réussite est gage d’épanouissement pour les adolescents, mais le pas n’est toujours aisé à franchir.
Les parents de Yenalia Gbédji, ne parviennent pas encore à combler les attentes de leur enfant sur ses interrogations et inquiétudes quant à la vie sexuelle. La jeune fille vient de boucler 18 ans, Baccalauréat en poche et s’apprête à affronter les réalités du milieu universitaire. « Les parents ne sont pas tellement ouverts avec moi qui suis leur enfant. Ils ne me donnent pas l’occasion de parler de sexe avec eux », se plaint-elle. « Eux-mêmes ne prennent pas non plus l’initiative de me parler de ça. C’est seulement avec mes amis à l’école que nous parlons des sujets liés au sexe », lâche Yenalia Gbédji sans retenue. Son exemple est loin d’être isolé. Marc-Aurèle Archange Gbédolo vit la même situation. Etudiant en deuxième année d’informatique dans une université privée, ses seuls moments d’échange sur le sexe se limitent à des discussions avec ses camarades d’amphi. « Chez nous, il y a tellement de barrières. Tu ne peux même pas prononcer le mot sexe à la maison », dit-il dépité et visiblement déçu. Elevé dans un contexte qu’il qualifie « d’éducation évangélique stricte », Archange trouve « excessif » le comportement de ses parents mais pense que sa « liberté pointe à l’horizon avec la soutenance de sa licence » qui le libérera du joug parental. Le jeune adolescent assure avoir portant tout essayé. Dès la classe de Seconde, il s’est inscrit dans un club scolaire qui aborde la santé sexuelle, mais s’est vu intimé l’ordre de le quitter. « Je croyais trouver une complice en ma mère, mais sa réaction a été tout aussi virulente que celle de mon père », confie-t-il.
Ces réactions de parents, Hortense Lokossou, Docteur en Sociologie ne les voit pas d’un bon œil. « Avec cette attitude, les parents risquent de constituer un obstacle au dialogue et vont inhiber l’élan naturel que les enfants ont vis-à-vis d’eux », explique-t-elle. La sociologue soutient qu’il est « important de savoir que les enfants ont leurs propres caractéristiques à savoir : l’hyperactivité, la gaité, la sociabilité, l’égocentrisme, l’altruisme, l’éducabilité, la confiance et la personnalité propre ».
Selon elle, « les parents ont un rôle à jouer sur le chemin de l’apprentissage de la vie de leurs enfants et à défaut de cet encadrement, les enfants se réfèrent à d’autres sources peu crédibles que sont les pairs, les médias conventionnels, les réseaux sociaux », fait-elle observer.
Dans le cadre du dialogue parents-enfants en matière de santé sexuelle et reproductive, poursuit-elle, les parents sont appelés à se familiariser avec les caractéristiques de leurs enfants et à en tenir compte. « Ils doivent apprendre à connaitre et à traiter les enfants avec respect et considération digne d’une personne humaine. Tout adulte en charge de l’éducation des enfants doit savoir que l’enfant n’est pas un adulte en miniature. L’enfant est un être en développement qui a une personnalité propre », bémolise la sociologue.
Quand la rue s’en mêle !
A 23 ans, Saratou Gouda Gani se définit elle-même comme le « produit fini des mauvais conseils de la rue ». Mère de deux enfants de pères différents, cette ancienne élève qui a dû renoncer à l’école en classe de Seconde se bat pour gagner sa vie à travers de petits travaux et des commerces saisonniers. Si elle en est arrivée là, c’est parce qu’elle a suivi « les mauvais conseils des jeunes filles du quartier qui n’allaient plus à l’école ». Ces dernières, confesse-t-elle, lui ont « indiqué la mauvaise voie » et « poussé dans les bras des transporteurs et commerçants ». Malgré le poids des épreuves et deux enfants à charge avec une paternité non reconnue, Saratou partage son histoire sans crainte ni remords. « Je veux que mon exemple serve à d’autres. J’étais jeune et belle et les voisines me faisaient comprendre que je faisais du gâchis en résistant aux avances des hommes ». Mais, reconnait-elle, « si mes parents avaient été là pour moi, mon sort aurait été tout autre. L’un était transporteur, l’autre commerçante et ils n’étaient presque jamais là pour qu’on échange ». Seule fille d’une fratrie de sept enfants, Saratou s’est tournée à l’adolescence vers « les grandes filles de la cour » et a abandonné entre leurs mains son éducation en général et son éducation sexuelle en particulier.
Pour être efficace, « l’éducation sexuelle doit être précoce, complète et adaptée au développement de l’enfant. Elle aide les enfants à comprendre leur corps et à se sentir bien à son sujet » indique Brice Codjo Cakpo, assistant social et cadre à la direction de la famille, de l’enfant et de l’adolescent du ministère des Affaires sociales et de la microfinance. Il y a également des comportements à éviter, ajoute la sociologue Hortense Lokossou. « Dans le dialogue parents-enfants sur la santé sexuelle et reproductive, il faut éviter d’avoir notamment des propos, des gestes et des actions qui nuisent à l’ambiance conviviale nécessaires pour les échanges fructueux et inhibent l’expression et les réactions des enfants », appuie-t-elle.
Un exercice difficile pour les parents
La loi N° 2015-08 du 23 janvier 2015 portant Code de l’enfant en République du Benin impose le devoir d’éducation des enfants en son article 36 qui stipule, entre autres, que « les parents ou toutes autres personnes ayant à charge l’enfant, sont responsables, au premier chef, de son éducation et de son épanouissement ». A ce titre, poursuit la loi, « ils ont le devoir… d’assurer les conditions de vie indispensables à l’épanouissement de l’enfant ». L’article 37 de la même loi impose aux parents le devoir de guider l’enfant, alors que l’article 38 met à leur charge, le devoir de fournir des conseils et orientations à l’enfant.
Mais l’exercice n’est souvent pas aisé et est en plus soumis à des considérations sociologiques. Ibrahim Djato, père de famille à Dassa-Zoumé le reconnait sans détour. « Parler de sexe, de pénis… avec les enfants, c’est très difficile. En milieu Peulh, aborder la sexualité, dire de quoi il s’agit concrètement, c’est vraiment très compliqué », admet ce père de famille.
Marius Alladasivo, père de deux enfants vivant à Parakou a une autre approche de la question. « Mon aîné n’a que 7 ans, je ne peux pas lui parler de la sexualité maintenant. C’est à partir de 10 ans que les parents ont commencé à aborder ce sujet avec moi. Mon papa m’invitait à suivre les feuilletons comme Rosalinda et quand les gens s’embrassaient, il me disait que si jamais je fais ça Dieu sera fâché contre moi », laisse-t-il entendre. Le père confesse avoir donc grandi avec cette crainte. « Je ne m’y adonnais pas et c’est ce que je vais faire avec mes enfants aussi dès qu’ils auront 10 ans », sourit-il.
Allassane Adinane, père de famille à Parakou pense lui aussi parler sexe avec ses enfants et soutient qu’il y a un âge pour y aller. « On ne peut pas parler de sexe, des questions liées aux parties génitales avec les enfants de moins de 10 ans par exemple, en tout cas pas chez moi. Les sujets faciles à développer avec mes enfants sont beaucoup plus concentrés sur l’affection et non sur les rapports sexuels », nuance-t-il. Pourtant, conseille la sociologue, « le dialogue parents-enfants sur la santé sexuelle et reproductive doit commencer à l’âge zéro. Plus tôt on communique avec l’enfant sur la sexualité, mieux ce serait ».
Les médias, livres, télévisions et les écrits et vidéos produisent des images qui influencent les attitudes, sentiments et attentes de la sexualité, prévient-elle.
Un défi entier
Le gouvernement béninois à travers son Programme d’actions met un point d’honneur à la réduction du taux de grossesses en milieu scolaire et au maintien des enfants, notamment des filles dans le système scolaire. Sensibilisation, sanctions, mécanismes de dénonciation et de protection des victimes d’abus sexuels… Les ambitions sont grandes et les actions de déploient au fil du temps à la satisfaction des parents.
Ces parents ont d’ailleurs de nombreuses craintes, reconnait l’assistant social Brice Codjo Cakpo. « Les préoccupations qui nous parviennent de façon récurrente de la part des parents en ce qui concerne les enfants portent essentiellement sur les questions liées à la sexualité ». Ils ont, explique-t-il, « des préoccupations sur comment faire pour que leurs enfants ne tombent pas dans la délinquance sexuelle, dans les rapports sexuels précoces, ne tombent pas enceinte en étant encore en train d’étudier », révèle-t-il. Selon lui, la question de la grossesse fait beaucoup peur aux parents de même que les questions liées aux infections sexuellement transmissibles, le Vih/Sida et les hépatites.
Aborder les questions de sexualité avec les enfants reste un défi entier, mais il faut que « les parents essaient d’instaurer un climat de confiance pour permettre à leurs enfants de pouvoir les aborder avec ces préoccupations », conseille-t-il. Le défi reste d’autant plus grand parce que « les enfants ne sont pas portés spontanément vers leurs parents lorsqu’ils ont des préoccupations », relève-t-il aussi. En majorité, ils sont plus à l’aise en posant des questions à leurs frères et sœurs ainés ou à leurs amis et camarades. Cela est « lié au fait que dans nos cultures, le tabou sur la sexualité est telle que les parents mettent une barrière entre eux et les enfants ».
Par Albérique HOUNDJO, membre du groupe de travail “Presse écrite” à l’atelier de formation de 50 journalistes et animateurs de radios locales, web activistes et web TV sur l’éducation à la SSRAJ et les VFF à Parakou du 8 au 10 Septembre 2020.