Il sonnait à peu près 13 heures ce mercredi 25 septembre 2019, lorsqu’une ambulance en provenance de Dassa, toute sirène hurlante s’immobilisa à l’entrée du service des urgences de l’hôpital des instructions des armées du camp Ghézo de Cotonou. Ayant été informé quelques heures plus tôt, j’étais là debout quand mon fils Hafez Boni Biao, soldat de l’armée béninoise fut sorti du véhicule sur une civière transportée par trois soldats. Il portait un T-shirt jaune et un short noir tous maculés de sang. Il était complètement flagada. A peine arrivait-il à articuler quelques mots. Avant d’être conduit dans une salle, il tourna la tête vers moi et dit ceci: “Papa qu’est-ce que je leur ai fait”. Je ne savais pas que c’était les derniers mots que mon fils échangeait avec moi. Sur le coup, cette phrase ne m’avait rien dit qui vaille. J’étais plutôt inquiet sur son état de santé. Quelques minutes après, un médecin me tendit une ordonnance médicale longue comme le bras. Outre des médicaments, il y a été inscrit l’achat de poches de sang du groupe AB+. Mais, il n’y avait pas de sang de ce groupe dans cet hôpital. Il fallait trouver ces poches de sang ilico presto. Une course contre la montre s’engagea alors. Un médecin de cet hôpital que je remercie très sincèrement au passage, mit une ambulance à ma disposition. Le conducteur que je remercie également sillonna avec moi, les rues de Cotonou à toute allure. Mais, il n’y avait pas de sang de ce groupe ni au Cnhu, à l’Homel encore moins à Saint-Luc. Plusieurs coups de fil à Porto-Novo et à Calavi n’ont rien donné. Finalement j’ai pu trouver une poche de sang grâce à l’intervention d’un ami. Que Dieu le bénisse. Le temps de rappliquer à l’hôpital, il était déjà trop tard. Le soldat Hafez rendit l’âme à 18 h 40 mn. Un an vient de passer. Et la douleur demeure toujours. Encore plus persistante L’affaire des tortures qu’il a subies au centre de formation des officiers de Toffo où tout a commencé est encore vivace dans mon esprit. C’était courant du mois de juin 2018. Il avait été accusé du vol de deux téléphones portable appartenant à l’un de ses supérieurs. Un charlatan avait été consulté et celui-ci avait indiqué que c’est un homme du nord qui avait dérobé lesdits téléphones. Et comme Hafez était ressortissant de cette partie du pays, il était le coupable tout désigné. Son appartement avait été saccagé par ses collègues à la recherche de ces objets. En pleine nuit, des militaires ont débarqué chez moi à Cotonou. Ils ont fouillé partout. Ils n’ont rien trouvé. Il a beau clamer son innocence, mais il a été malmené et soumis à des actes de torture. Pour finir, ils lui ont crevé l’œil droit avec lequel il pouvait mettre en ligne de mire un ennemi. En réalité, les deux téléphones n’ont jamais disparu. Ils ont été retrouvés au domicile de son supérieur hiérarchique qui l’avait accusé de ce vol. Les cartes Sim de ces téléphones elles, avaient disparu. En 2019, l’affaire a été portée devant la justice et les cinq mis en cause ont été arrêtés. Un procès a eu lieu au Tribunal de première classe d’Allada. Il fallait déterminer s’il s’agissait d’une infirmité temporaire ou permanente. Le rapport médical d’un ophtalmologue colonel de l’armée béninoise était sans embage : son patient risque une cécité complète, s’il n’est pas soigné au plus tôt. Le Bénin ne disposant pas d’infrastructures adéquates. Pour ce faire, il fallait l’évacuer dans un hôpital à l’étranger. Cette évacuation n’aura jamais lieu. Les documents afférents n’ont jamais été établis pas l’administration de l’armée. Mais, les mis en cause seront libérés faute de déterminer l’état de santé exact du soldat Hafez. Depuis ce fameux jour du mercredi 25 septembre 2019, cette phrase sibylline n’a cessé de me hanter. Je l’ai tourné et retourné dans ma tête maintes fois. Que signifie t-elle ? Quel message voulait me communiquer le fiston ? De qui parle-t-il? A t-il eu maille à partie avec ses supérieurs hiérarchiques ? Avec ses collègues, des amis, des parents ? Je ne savais plus où donner de la tête. Après maintes réflexions, je me suis mis à chercher, à fouiller, à me renseigner. Et j’ai fini par trouver. Aujourd’hui, je sais pourquoi et comment le soldat Hafez est décédé. Je connais les responsables. Eux aussi me connaissent. Ils savent qui je suis. Et surtout, ils savent que je sais. Maintenant, je suis soulagé. Je peux faire mon deuil.
« La justice divine me suffit. C’est tout ce qui me reste »
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En fait, il s’est inséré dans l’armée pour servir et défendre sa patrie et c’est la même armée qui l’a conduit à l’abattoir. Pourtant, il les a servis. Il a exécuté leurs ordres avec fidélité et loyauté. Il a seulement entendu ce qu’il ne devrait pas entendre et il a vu ce qu’il ne devrait pas voir. Pour se débarrasser de cet élément gênant, il a été affecté manu militari au camp de Dassa. Pour couronner le tout, il a été envoyé au champ de bataille à Savé, lorsque les malheureux événements postélectoraux ont commencé. Là-bas, son contingent tombe dans une embuscade. Il reçoit des balles minées des chasseurs rebelles. L’une d’elle se loge dans sa jambe droite au niveau de l’aine. Elle ne pourra pas être extraite. Interdiction formelle lui a été faite d’informer ses parents. Les médecins misent sur le temps pour que cette balle remonte d’elle-même de son organisme avant de tenter de l’extraire. Il n’y aura pas suffisamment du temps pour que cette balle remonte en surface. Elle finira par infecter tout son organisme et entraîner sa mort. Tout ce qui lui est arrivé dans sa petite vie de jeune homme de 25 ans est-il l’œuvre du destin ? Peut-être. A-t-il perdu son œil dans une mission commandée ? Certes non. Il a tout simplement été victime de la barbarie et de la méchanceté de certains de ses supérieurs hiérarchiques. Et cela a été démonté au cours du laps de temps qu’a duré le procès. Le ministère public avait requis de lourdes peines contre eux. Mais ils ne répondront plus jamais de leurs actes. Le décès de mon garçon éteint toute action en justice. Est- il décédé en mission de défense de sa patrie ? Non plus. Ils l’ont envoyé tout simplement au casse-pipe, dans le règlement d’une crise postélectorale créée par des politiciens sans foi, imbus de pouvoir, une crise dont ni lui ni aucun autre Béninois n’avait rien à cirer. Une crise qu’on pouvait épargner à notre pays si les auteurs étaient épris d’un brin de tolérance, d’humanisme et de patriotisme. Pourquoi certains Béninois devraient envoyer des Béninois tuer d’autres Béninois ? En fait, personne ne devrait perdre la vie pour ces gens là et dans de telles circonstances. Leur querelle ne nous concerne en rien. Ils ne méritent même pas que l’on sacrifie ne serait-ce qu’une mouche pour eux. Alors, aujourd’hui, avec le recul, je me remets à Allah, le Seigneur des Mondes. Pendant ces moments difficiles, plusieurs personnes m’ont apporté leur soutien moral, psychologique, à moi, à mon épouse à mes frères et à toute ma famille. Je leur en suis infiniment reconnaissant. Que l’Etre Suprême le leur rende au centuple. Des amis Avocats m’ont également proposé leurs services gratuitement pour traduire l’armée béninoise en justice. J’ai tout simplement et sincèrement décliné leur offre. Je les remercie également pour leur sollicitude et leur disponibilité. La justice humaine servira à quoi ? Va-t-elle ramener en vie mon fils unique ? Je ne cherche ni récompense ni vengeance. La justice divine me suffit. C’est tout ce qui me reste. Alors je demande humblement à tous ceux qui me connaissent et à tous ceux qui ont connu le soldat Hafez, d’avoir une pieuse pensée pour lui en ce jour, premier anniversaire de son rappel à Allah. Que le Tout Puissant, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux, le Parfaitement Connaisseur, le Sage par excellence, le Grand Pardonneur, le Digne de louanges, le Dominateur, le Majestueux, le Grand Bienfaiteur, Al Quayum ait pitié de son âme, qu’il lui pardonne ses péchés et lui donne le repos éternel. A tous ceux qui ont perdu leur fils, leur frère, leur époux, lors de ces malheureux événements, je leur dit : courage et patience. Dieu est au contrôle. Quant à toi Fèfé, repose en paix fiston.
Boubacar Boni Biao
Journaliste, Directeur de Publication du journal Le Tam-tam