« Si le savant Ibn Khaldoun vivait aujourd’hui, nul doute qu’il serait effaré par le complotisme ambiant, plus de six siècles après qu’il a magistralement souligné la nécessité de « connaître à fond les causes de chaque événement et les sources de chaque renseignement ».
Pour la première fois depuis longtemps, l’homme semble avoir cessé de croire au progrès. La raison est partout battue en brèche, y compris par ceux-là même, les élites, qui ne devraient jamais s’en départir. Seules comptent les émotions. Peu importe si elles ne reflètent parfois qu’une infime part de vérité, voire pas de vérité du tout, elles déferlent dans la presse, sur les campus universitaires, sur les réseaux sociaux, faisant et défaisant les réputations, diabolisant tel ou tel champ d’étude, véhiculant les pires rumeurs.
La science est suspecte. Les savants soupçonnés de toutes les turpitudes.
Au pays de Pasteur, on ne compte plus les anti-vaccins. Au pays du nucléaire, une énergie décarbonée qui a assuré l’indépendance énergétique de la France, on vient de rouvrir des centrales à charbon.
Ce n’est pas le grand bond en avant, c’est le grand bond en arrière.
L’Afrique, hélas, n’échappe pas à cette nouvelle règle.
Les vaccins ? Inventés par les blancs pour exterminer les noirs. Qu’ils aient permis ailleurs d’éradiquer des maladies comme la poliomyélite ou la rougeole pèse peu.
La lutte contre les faux médicaments ? Encore une invention des blancs pour priver d’accès aux soins les plus démunis même si, nous le savons, le médicament de la rue tue.
La 5G ? Elle va permettre au Président chinois (qui n’a que ça à faire) de nous espionner, d’ailleurs elle provoque des cancers.
Tout cela ne prêterait qu’à rire si les conséquences n’en étaient pas si néfastes. Pour l’humanité en général et pour l’Afrique en particulier.
Car l’Afrique, je ne me lasserai jamais de le répéter, a besoin de toutes les ressources de la science pour sortir de son sous-développement endémique.
Aucun pays au monde ne s’est développé sans une foi solide dans le postulat que la science avait la capacité à engendrer du progrès ; qu’un progrès pensé par des gens éclairés avait la capacité à générer du bien commun.
C’est vrai, dans tous les domaines et en premier lieu dans quatre domaines vitaux pour l’avenir de nos pays : l’éducation, grâce à laquelle les pays asiatiques se sont développés tandis que les nôtres faisaient du sur place voire régressaient, la santé, l’énergie, et l’eau.
Nous n’arriverons à rien si nous ne branchons pas solidement l’Afrique aux grands flux des échanges mondiaux. Les quelques « success stories » abondamment mises en avant dans toutes les publications et autres colloques sur l’innovation en Afrique ne doivent pas nous faire oublier que, dans son ensemble, le continent en est encore à l’âge de pierre taillée ou polie en matière d’accès à internet. En 2018, la pénétration moyenne régionale du haut débit n’y était que de 25 %, avec de fortes disparités entre pays côtiers et pays enclavés.
Or, un accès stable, garanti et bon marché non seulement à internet mais au haut débit est la condition première du développement économique et humain de nos sociétés. Comment une entreprise peut-elle développer son activité quand, ce qui arrive régulièrement dans certaines capitales par exemple, elles sont coupées d’internet pendant des heures voire des jours ; quand son accès à internet est si lent et que ses employés ne peuvent même pas télécharger leurs courriels ? Devons-nous nous satisfaire des propos du PDG du groupe MTN qui en 2017 déclarait à propos de l’Afrique que la 5G « ne sera pas une technologie pour tout le monde, car la plupart des gens n’en ont pas besoin, votre téléphone fonctionne correctement en 3G » ?
D’après Makhtar Diop, Vice-Président de la Banque mondiale pour les Infrastructures, “La population en âge de travailler en Afrique devrait augmenter de quelque 450 millions de personnes d’ici 2035. Si les tendances actuelles se poursuivent, moins d’un quart d’entre elles trouveront un emploi stable. Élargir l’accès à l’internet signifie créer des millions d’opportunités d’emploi”.
Pour ce faire, il serait nécessaire de mobiliser 100 milliards de dollars. Les États seuls ne peuvent y arriver. Leur rôle est tout d’abord régulateur : sans l’adoption de cadres réglementaires appropriés, nous continuerons à ramer accrochés à notre ordinateur car les investisseurs ne seront pas au rendez-vous.
Il est ensuite stratégique : au stade de développement où se trouvent la plupart des pays africains, du moins les pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre que je connais le mieux, nous avons moins besoin de ronds-points ou de statues célébrant à grands frais la grandeur africaine que d’un accès internet lui aussi stable, et bon marché et une énergie de qualité. Sans accès à l’électricité, pas d’internet. Combien de temps allons-nous trouver normal de vivre, pour les plus aisés d’entre-nous, en dépendant de groupes électrogènes coûteux et polluants, pour les autres à la lueur d’une lampe à pétrole ou d’une bougie ?
Il est temps de passer aux actes. Avec l’appui de leur partenaire technologique, l’Algérie ou le Maroc ont déjà testé avec succès le super haut débit. Le Rwanda de son côté a réalisé des investissements très importants pour que 90 % de son territoire, y compris en milieu rural, soit couvert par la 4G. Ces exemples montrent que quand secteurs public et privé marchent intelligemment main dans la main, les choses avancent et que l’Afrique peut rivaliser en la matière avec les autres grandes régions du monde.
Les populations de nos pays doivent s’indigner et exiger de leurs gouvernants que l’accès à une électricité de qualité et à l’internet haut débit soit une priorité vitale. »
https://www.financialafrik.com/2020/10/14/lafrique-face-au-defi-de-lisolement/
Par Edgard Kpatindé, Spécialiste en conseil stratégique et Fondateur de i3s (Intelligence Sécurité Stratégie et Services) www.i3s-consultants.com