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Edito: Le mur des injures

Publié le jeudi 22 octobre 2020  |  L`événement Précis
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© Autre presse par DR
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Un déferlement d’injures s’est abattu sur les pages Facebook du chef de l’Etat et de l’ancien président Yayi Boni le week-end dernier. C’est un fleuve d’insanités déversées sur l’un par les partisans de l’autre et vice-versa, formant une sorte de mur de la haine empêchant tout discours raisonnable entre les partisans et les adversaires.
Oui, il y a l’apparente couverture qu’offre l’anonymat de l’internet. Protégés par l’apparente invincibilité qu’offre le virtuel, les internautes de tous les camps insultent le président de la république, comme ils ne ménagent pas d’ailleurs l’ancien président. Une bonne partie de ceux qui s’illustrent dans ce sport, donnent à penser que pour exister dans cet univers virtuel, mieux vaut détonner, disrupter, assommer. C’est une forme de soif d’existence qui ne peut s’exprimer que par dissonance, par effraction verbale voire par infraction. L’injure facile est le propre de ce monde où personne ne vous prend au sérieux tant que vous n’êtes pas violent. L’injure et l’impertinence constituent le mode de disruption par excellence. Votre politesse vous fera du mal dans cette jungle : vous passerez inaperçu et l’on vous prendra pour un minus, un vaurien ! Adieu les bonnes mœurs, vive la mauvaise éducation !
Mais ceux qui se font fort de manquer d’égard au Chef de l’Etat actuel ou à son prédécesseur, ne sont pas pour autant détachés de la réalité. Sur le terrain politique où ce commerce de bons mots se fructifie le plus, les injures sont monnaies courantes. C’est Yayi Boni, tout du haut de son fauteuil présidentiel, qui emploie des termes très fleuris pour parler d’Azannaï. La réplique de celui-ci s’est faite sous la forme d’une diplomatie de charbonniers. On était en 2015. Voilà les plus hauts modèles de la société (l’un président à l’époque et l’autre ancien ministre et député) qui s’écharpent publiquement. Aucun d’eux n’avait songé à se demander : si les jeunes qui nous suivent comme leurs modèles nous copient, que deviendra la société? Quelle morale enseignons-nous ?
La violence verbale fait partie des stratégies de rabaissement politique. L’injure qui en est la forme la plus détonante, n’est pas l’apanage des Béninois. il y a à peine quelques semaines, Donald Trump qualifiait son adversaire Joe Biden d’idiot, celui-ci le lui rendant bien d’ailleurs en le traitant de clown. Nous sommes pourtant aux Etats-Unis, dans l’une des plus vieilles démocraties du monde. Ce n’est donc pas que nos acteurs politiques soient fondamentalement mal éduqués. Il est vrai qu’en l’occurrence, on attend de celui qui incarne la fonction présidentielle une plus haute distinction. Le Chef de l’Etat est investi pour représenter et construire les plus hautes valeurs de son pays, pas pour les ramener au ras des pâquerettes. Mais il y a que dans l’arène politique, souvent, tous les coups sont permis, y compris ceux en-dessous de la morale.
Voilà ce que comprend le peuple des réseaux sociaux, lorsqu’il entreprend de traiter même le président de la République ou son prédécesseur avec tous les noms d’oiseaux. Et donc si vous n’êtes pas capables de supporter l’humiliation, ne vous aventurez pas sur les hauteurs sauvages de la politique. Il fut un temps dans notre pays où des chansons populaires étaient composées pour jeter l’anathème sur les adversaires. C’est une forme de récupération de la jactance de nos « han lo » traditionnels, ces chansons de défiance qui allient poésie moqueuse et injures grossières. Détruire l’autre jusque dans le fondement de son honneur, voilà le projet.
Quand donc les internautes s’en prennent à leurs illustres adversaires, ils ne voient pas le titre présidentiel. Ils voient un adversaire à abattre à tout prix. Au plan psychanalytique, cette violence est exutoire, un évidement de la colère noire. C’est un défoulement pour vider le trop-plein des rancœurs accumulés. Et j’hésite toujours à prendre ces formes d’expression comme un baromètre de la société réelle. Car, au vrai, ce sont ceux qui sont fâchés qui explosent. Les autres n’ont pas le ferment de tension qui crée des orages sur Facebook
Là où se trouve l’inquiétude, c’est que la violence virtuelle préfigure bien souvent la violence réelle. Ceux qui déversent leurs colères sur les réseaux sociaux deviennent les hooligans mettant à sac les édifices publics lors des manifestations politiques. A tout le moins, ils donnent des armes idéologiques à ceux qui ne voient d’autre forme de protestation que par les incendies, les pillages et les assassinats. C’est ici qu’il faut craindre que la banalisation de l’injure ne prépare dans le réel les vandales les plus odieux.

Par Olivier ALLOCHEME
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