Il fut un temps où tous nous lisions un magazine dénommé Les Afriques, une parution dont le titre même mettait en exergue l’énorme diversité des réalités de notre continent. Mais s’il y a une réalité qui crève les yeux, c’est celle des oppositions parvenues au pouvoir : elles s’y accrochent envers et malgré tout.
Quand il prenait le pouvoir en 2010 en Guinée Conakry, Alpha Condé incarnait une certaine vision de l’Afrique, celle d’un continent qui se tournait résolument vers un nouveau destin, celui de la démocratie et du développement. Dix ans plus tard, vendredi dernier, l’ancien opposant devenu président est déclaré vainqueur pour un troisième mandat à la tête de son pays. Une victoire à la Pyrrhus qui laisse un goût amer : des dizaines de morts, un pays divisé et saccagé et une démocratie en berne. On est revenu presque cinquante années en arrière, au moment où Sékou Touré régnait en maître dans une Guinée minée par les menées impérialistes de la France désireuse de la saccager pour donner une leçon aux autres pays d’Afrique. Universitaire, professeur de droit public à la Sorbonne, à Paris, Alpha Condé incarnait à nos yeux tout ce qu’il y avait de plus moderne pour un pays voulant sortir de la nuit coloniale. Il affronte surtout Lansana Conté, le successeur de Sékou Touré et doit en subir les contrecoups. Il est incarcéré et passe par la case prison pendant trois ans, avant que les pressions internationales n’obligent les autorités de Conakry à le libérer. On se rappelle que Tiken Jah Fokoly a chanté « Libérez Alpha Condé », une chanson que la jeunesse transforme en hymne à la gloire des martyrs et prisonniers politiques africains. Nous étions en 1998. On a peine à reconnaitre le même homme qui, la semaine dernière, s’est fait reconduire à la tête de son pays.
A 82 ans, Alpha Condé est le prototype même de ce qu’il combattait : une Afrique des vieux crocodiles rendus indéboulonnables par une dictature sanguinaire et sans vision. C’est exactement ce qu’est devenu aussi Alassane Dramane Ouattara qui s’apprête, lui aussi, à faire un troisième mandat. Et pourtant, voilà un homme qui a nourri tous les fantasmes des démocrates africains. On prenait Laurent Gbagbo pour un socialiste hors du temps qui a surtout pris goût au pouvoir et ne voulait plus le quitter. Lui aussi, issu d’une longue opposition à Houphouët-Boigny, puis à Bédié et Robert Guéi, il n’avait trouvé mieux à faire que de perpétuer les idéologies xénophobes qui ont transformé le pays en une poudrière. La guerre civile en Côte-d’Ivoire et son cortège de tueries sauvages, avaient fait penser que Ouattara était victime d’une machination du dictateur Gbagbo. Mais non ! L’appétit du pouvoir, les avantages nombreux qu’on en tire et surtout la volonté de ne jamais quitter les nombreux privilèges qui en découlent, ont eu raison de la lucidité de l’ex-opposant. Ouattara fera comme les autres : il briguera un troisième mandat.
Dans cette Afrique incandescente, les velléités des anciens opposants parvenus au pouvoir, ne le cèdent en rien aux obscurantismes du passé. Nous sommes au siècle de ceux qui ne conçoivent dans la nation que les premiers rôles, le rôle de sauveurs. A lire l’interview que le président ivoirien, 78 ans, a accordée hier au journal français Le Monde Afrique, il n’y a pas de doute : il est atteint de ce que le neurologue britannique David Owen appelle « syndrome d’Hubris » dans son ouvrage intitulé In sickness and in power, publié en 2008. C’est-à-dire cette maladie du pouvoir qui s’empare des dirigeants et leur fait perdre pied dans la réalité.
Quelques rares chefs d’Etats sont restés jusqu’ici indemnes de cette maladie qui s’attaque surtout aux anciens opposants et surtout aux opposants de longue date : Mahammadu Issoufou du Niger, Marc-Roch Christian Kaboré du Burkina-Faso ou encore Macky Sall du Sénégal. Et c’est tout.
Les Guinéens sont allés jusqu’à casser les rails, briser des wagons, construit des murs en béton armé sur les routes, incendié…Est-ce la solution ? Je ne saurais le dire. Je ne crois pas personnellement aux démocraties sans frein que l’Occident est parvenu à nous imposer. Pas plus que je ne crois aux pouvoirs personnels et claniques qui nous plongent dans les abysses de la mauvaise gouvernance.
Le tout aujourd’hui se résout à l’espoir. Il faut espérer qu’un miracle réveille ces dirigeants qui ont fini par s’infantiliser, à force de penser qu’ils sont indispensables à l’existence même de leurs propres pays.