Devenir ‘’intelligent’’ pour un port, c’est devenir plus attractif, plus compétitif. C’est faire plus avec moins1. Etre intelligent pour un port consiste aussi à adopter une approche collaborative, créative et audacieuse dans la gestion de ses activités.
L’attractivité, la performance, la compétitivité, l’adaptation, la collaboration, la créativité, l’investissement, l’audace, l’anticipation, la citoyenneté, la sociabilité et la rentabilité dans le management des affaires portuaires sont de nos jours les divers défis de plus en plus forts auxquels les ports en général, et ceux d’Afrique en particulier font face.
En effet, la question ici est de savoir si le port de Cotonou, remplit les conditions pour devenir un port intelligent, un smart port?
La réponse à cette question demande à ce que la gestion du Port de Cotonou soit confiée à un averti du domaine portuaire, un spécialiste des affaires portuaires ou un groupe de spécialistes du secteur. Ce dernier ou ce groupe de spécialistes va œuvrer non seulement pour la modernisation de l’espace portuaire mais aussi pour l’optimisation de la rentabilité des ressources portuaires ; l’une des meilleures solutions qui sortira le port de Cotonou de sa léthargie et de sa gouvernance catastrophique.
Ces contraintes ou ce qui est précédemment appelé défis sont de quatre ordres. Premièrement, on assiste à un ‘’gigantisme naval’’, 2 notamment au niveau des navires porte-conteneurs. Ces navires de nos jours sont de plus en plus grands. Et pour donner un ordre de grandeur, les plus grands porte-conteneurs aujourd’hui approchent les 400 mètres de long. Pour les ports en général, ce gigantisme implique une adaptation des infrastructures. Or celles-ci ne peuvent pas se modifier miraculeusement. Il faut savoir anticiper ; une dynamique dans laquelle le Port de Cotonou se trouve actuellement. De là découle le deuxième défi, qui est ‘’économique et financier’’. Alors que les modèles économiques résultant du gigantisme font peser de plus en plus de risques économiques et financiers sur les autorités portuaires, qui doivent trouver des réponses attractives, compétitives et rentables. Et être smart est l’une des solutions à ces défis.
Le troisième défi est la ‘’sécurité maritime, la sûreté des navires et des installations portuaires’’ qui coûte cher à assurer. Un port est un dispositif géostratégique majeur pour les États et plus il y a concentration des stockages pétroliers plus il devient une cible de choix. Plus de 80 % des hydrocarbures à destination des pays de l’hinterland transitent par le port de Cotonou. D’ailleurs, le Code International pour la Sûreté des Navires et des Installations Portuaires (Code Isps) de l’Organisation Maritime Internationale (Omi) a été mis en place suite aux attentats du 11 septembre 2001 pour sécuriser les territoires portuaires du monde. Mais l’application efficace de ce Code au Port de Cotonou a connu dans le passé assez d’entraves dues à une mauvaise coordination et coopération avec les autres administrations et parties prenantes. Même la Direction de la Marine Marchande (Dmm), Structure responsable décrétée3 pour contrôler l’application de la règlementation de sûreté des ports et des navires au niveau national et chargée surtout du suivi de la mise en œuvre effective dudit Code au Port de Cotonou, avait éprouvé assez de difficultés à accomplir sa mission et du coup n’arrivait pas à exercer son pouvoir régalien, vu les dispositions de fait de l’établissement public qu’est le Port autonome de Cotonou (Pac).
Convient-il de mentionner que depuis 2004, la République du Bénin s’est inscrite dans la démarche de sécurisation de ses installations portuaires avec l’application dudit Code. Dans ce cadre, le Bénin reçoit périodiquement les garde-côtes américains pour des missions de suivi et d’évaluation du niveau de mise en œuvre du Code au Port de Cotonou. Une mission effectuée en décembre 2015, a révélé d’importantes lacunes dans la mise en œuvre effective du Code Isps au Port de Cotonou sur lequel ont plané des menaces de déclassement. Un autre défi qu’il fallait éminemment relever.
Ainsi, du 6 au 10 août 2018, la même délégation des garde-côtes américains a effectué une mission de suivi au Port de Cotonou pour voir l’effectivité de la mise en œuvre du Code Isps dans le Port et la correction des défaillances antérieurement relevées. Cette mission fait suite à l’évaluation de la sûreté du Port de Cotonou de décembre 2015 et aux missions de suivi de juin 2016 et août 2017. Elle intervient à un moment où la gestion du Port de Cotonou est assurée par la Société Port d’Anvers International (Pai). Cette nouvelle équipe, ayant été informée des menaces de déclassement du Port de Cotonou, le 12 avril 2018, a diligemment entrepris plusieurs et courageuses actions pour améliorer le niveau de sûreté dudit port. De nos jours, de nombreux efforts sont consentis dans la mise en œuvre effective du Code au Port de Cotonou.
Il a été cependant démontré que l’une des toutes premières mesures hardies dans la mise en œuvre du Code Isps au Port de Cotonou, reste le Renforcement du Contrôle des Accès de ce port. Actuellement, le port de Cotonou s’est doté de moyens efficaces en vue de l’application rigoureuse de cette mesure.
Il convient entre autres de mentionner que depuis août 2019,4 les conditions d’accès et de séjour au Port de Cotonou ont été renforcées.
Cependant, le défi demeure toujours à relever car des efforts restent encore à faire par l’Administration maritime et portuaire du Bénin, sur le plan de la sûreté, en vue de combler les attentes des évaluateurs.
En ce qui concerne la sécurité maritime, un port est plus sûr lorsque les eaux maritimes menant à ce port sont sûres. Rendre les eaux maritimes béninoises plus sûres demande de sérieux investissements en vue de lutter efficacement contre les brigandages maritimes, les actes de piraterie et les vols à main armée contre les navires qui pourraient être commis dans ces eaux avec pour conséquences la fuite des navires et le détournement vers les ports voisins, la diminution des activités maritimes (pêche, transports, commerces, explorations et investissements maritimes), la baisse des activités économiques au Port de Cotonou, et qui pourraient négativement impacter l’économie nationale du Bénin.
Voulant relever un tant soit peu ce défi, l’Autorité portuaire a pris en janvier 2020 des dispositions idoines en vue du renforcement des mesures de protection des navires en escale au Port de Cotonou contre les actes de piraterie. 5 En vue de renforcer le Port de Cotonou dans sa dynamique de sécurisation des navires dans les eaux maritimes béninoises, le gouvernement du Bénin a pris la décision courageuse en adoptant un Décret 6 et en prenant un Arrêté interministériel,7 obligeant tous les navires de commerce à destination des Ports du Bénin à avoir à leur bord une protection armée.
Mais le défi demeure toujours car des efforts restent encore à faire sur le plan du renforcement des équipements de lutte contre la piraterie et ceux de surveillance des eaux maritimes béninoises.
Enfin, le quatrième défi auquel les ports en général font face de nos jours est l’évaluation dans leurs performances non pas seulement économique, financière et logistique mais aussi et surtout ‘’citoyenne’’ et ‘’sociétale’’.Comment parviendra alors le Port de Cotonou à intégrer les citoyens, les habitants et la ville à ses activités ? C’est un quatrième défi, certes en arrière-plan par rapport aux autres mais très présent puisque les ports les plus avancés aujourd’hui utilisent souvent ce levier pour accroitre le niveau de développement socioéconomique de leurs pays.
Aujourd’hui, un port qui n’a pas d’intelligence vis-à-vis du marché et vis-à-vis des acteurs, qui n’a pas de stratégie et n’anticipe pas, ne peut pas survivre dans l’intensité concurrentielle régionale et internationale. Mais avec les atouts dont dispose le port de Cotonou, il est tout à fait indiqué que sa gestion soit confiée à un professionnel du secteur portuaire en vue de lui permettre d’être intelligent.
Mais, qu’est ce qui avait empêché le port de Cotonou d’être véritablement compétitif, d’être plus attractif?
Trois raisons :
*La première est relative à la période révolutionnaire au cours de laquelle les grandes décisions relatives à la gestion du Port de Cotonou venaient du pouvoir central. Au cours de cette période, le pouvoir décisionnel lié à la gestion portuaire n’est pas délégué à l’Autorité portuaire.
*La deuxième renvoie à la période démocratique, mais pour une courte durée, où le Port de Cotonou a connu un développement remarquable dû au professionnalisme exceptionnel du Directeur Général de l’époque.
*La dernière qui se réfère aux vingt dernières années où le Port de Cotonou a connu à sa tête des dirigeants politiques, plus de dix directeurs en quinze ans, avec un personnel peu qualifié. La conséquence, c’est que le Port de Cotonou a connu plus d’une décennie de retard en termes de performance.
Comment je vois le Port de Cotonou, le Port du futur dans dix ans s’il devient véritablement performant?
La performance du port de
Cotonou reposera surtout sur la stratégie. Le port du futur devra être un port stratège. Être ‘’stratège’’ signifie savoir prendre des risques et arriver à se lancer sur des pistes prospectives à long terme.
Et pour l’être, le port du futur, que je peux appeler le port ‘’Rénové’’, devra être investisseur; un pilier très capital pour sa modernisation et sa redynamisation. De nos jours, le Port de Cotonou est encore à l’image des ports d’Afrique des années 1970. Le moderniser demande le rasage des vieux magasins, d’environ cinquante ans d’âge, situés au cœur dudit port ; l’agrandissement des espaces en vue de poser un nombre important de conteneurs, la construction d’un nombre considérable de quais pour recevoir les navires de dernière génération ; le développement des infrastructures routières et ferroviaires en vue de la facilitation de l’acheminement des marchandises du port vers leurs lieux de destination et vice versa. Investir au Port de Cotonou devient une nécessité et il va falloir que ce Port ait incontestablement une autonomie financière et une capacité à prendre des risques. Faire du port de Cotonou un port investisseur du futur demandera donc la garde d’une tutelle forte avec des dirigeants forts ayant des compétences d’investisseurs.
Sur le plan national, et comme il n’est un secret pour personne, le Port de Cotonou est le véritable levier stratégique et économique de la République du Bénin. En effet, plus le port est attractif, plus il aura des chances de générer des recettes importantes pour l’Etat. Plus de 80% des importations et exportations passent par ce port. Alors la nécessité d’investir en vue de sa performance s’impose.
Mais l’un des investissements qui aura le plus d’impact reste le dragage, une technique qui permet d’enlever du sable, ou du gravier du fond de la mer. Cet investissement permet au port ‘’Rénové’’ d’accueillir des navires avec des tirants d’eau plus importants, et qui peuvent par conséquent transporter plus de conteneurs. Un pareil investissement au Port de Cotonou résoudra le problème de ‘’gigantisme naval’’ précédemment énuméré. La bonne nouvelle est qu’un grand effort a été fait dans ce sens et le Port de Cotonou a commencé par recevoir en partie depuis juillet 2020 des navires de 300 mètres.