Ce n’est pas anodin de le rappeler : la constitution béninoise a eu 30 ans ce vendredi 11 décembre 2020. Et il ne faut pas se lasser de le répéter : c’est une bonne constitution, la meilleure que nous ayons enregistrée en 60 années d’indépendance. Malgré ses imperfections bien compréhensibles, elle nous a permis de faire six élections présidentielles avec trois passations pacifiques de pouvoirs ainsi que huit élections législatives. Elle n’a malheureusement pas empêché les maladies infantiles de la démocratie : ethnicisation outrancière de la vie politique, règne de l’argent roi dans l’arène politico-électorale, absence presque totale de débats d’idées et surtout effacement des impératifs économiques derrière les agendas politiques. Un jour viendra, peut-être dans cent ans, où nos enfants comprendront que sans une économie prospère et surtout sans une industrie conquérante, tout discours sur la pseudo-démocratie n’est qu’une perte de temps. Et c’est pour ne l’avoir toujours pas compris que les générations actuelles pavoisent dans des sophistications institutionnelles et politiques qui ont peu d’impact sur le niveau de vie réelle des populations. Autrement dit, notre constitution secrète pauvreté et misère depuis trente ans.
Les trente ans de cette Loi fondamentale sont intervenus à un moment charnière de notre vie institutionnelle. Le 04 décembre dernier, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) a adopté un arrêt qui condamne le Bénin à renoncer à la révision de cette constitution, révision intervenue il y a un an. Parmi les motifs évoqués par cette instance figure le défaut de consensus national. C’est-à-dire que pour cette Cour, réviser la constitution béninoise, c’est d’abord obtenir un consensus national. C’est un argument qui reprend presque mot pour mot les objurgations de l’opposition béninoise, surtout lorsque la même Cour demande non seulement la suspension de la constitution révisée mais aussi l’abrogation du code électoral. D’où une chronique publiée la semaine dernière dans Jeune Afrique et par laquelle un chercheur français, Antoine Chopplet, Maître de conférences en droit public à l’Université de Reims, se demande simplement si la CADHP est devenue une instance politique.
La Cour qui ne semble pas se préoccuper de sa propre crédibilité encore moins de son avenir en tant qu’institution, remet sur le tapis un débat né de la DCC 06-074 du 8 juillet 2006 par laquelle la Cour Conceptia Ouinsou avait évoqué pour la première fois le consensus national comme un « principe à valeur constitutionnelle». Les circonstances de cette décision ayant été oblitérée, cette décision a été largement exploitée par la suite pour empêcher toute révision constitutionnelle jugée opportuniste (voir par exemple les DCC 10-049 du 5 avril 2010 et DCC 10-117 du 08 septembre 2010). Et je me pose cette question : la Constitution de 1990 était-elle elle-même consensuelle ? Pourquoi veut-on faire croire aujourd’hui qu’en décembre 1990 tous les Béninois étaient d’accord sur cette loi fondamentale ?
L’on sait très bien qu’en matière constitutionnelle, il n’y a rien de plus polémique. En l’occurrence, on se souvient des débats enflammés entre Théodore Holo et Thomas Goudou, tous deux professeurs de droit public, l’un à l’Université nationale du Bénin et l’autre à l’Université de la Sorbonne à l’époque. Feu le Professeur Goudou qualifiait la constitution de chiffon qui n’était bon qu’à être jeté à la poubelle, tandis que le Professeur Holo en défendait les options comme étant porteuses de stabilité et de progrès. On se souvient encore comme si c’était hier de la hargne du Parti Communiste du Bénin (PCB anciennement PCD) non seulement contre cette constitution mais aussi contre la date de sa promulgation, le 11 décembre 1990. Pour les ténors de ce parti, cette date a été choisie pour effacer habilement de la mémoire collective la date du 11 décembre 1989 où le peuple de Cotonou est massivement sorti pour lapider Mathieu Kérékou alors au pouvoir.
Du reste, le parti n’a jamais cessé de le marteler. Ce 10 décembre 2020, le PCB a encore publié un communiqué pour réitérer ses critiques, affirmant entre autres que « la Constitution du 11 décembre a consacré non seulement le règne de l’impunité, mais encore et surtout le règne de l’argent et de la corruption généralisée en rejetant tout contrôle populaire et citoyen sur la gestion du bien public. »
Non ! En démocratie, tout consensus est le signe d’une conspiration. Et la CADHP ne réussira pas à nous faire croire que notre Loi fondamentale échappe à cette vérité basique.