Auteur de plusieurs ouvrages sur le Fâ et inventeur des dés divinatoires (fakwin), Dotou J. Sègla aborde dans cette interview l’origine du Fâ au Bénin et explique pourquoi cette pratique ne doit pas être considérée comme diabolique. Chercheur dans le domaine, il démontre aussi comment le Fâ est la mère des sciences et des religions et plaide pour l’introduction de l’enseignement du Fâ dans le système éducatif national.
La Nation : Comment peut-on définir le Fâ ?
Dotou J. Sègla : Si l’on se réfère à Bernard Maupoil, dans son célèbre ouvrage : « La Géomancie à l’ancienne Côte des Esclaves », la question fut posée à Guèdègbé, l’illustre prêtre du Fâ, vénéré mentor des rois Glèlè et Gbèhanzin. Et voici sa réponse : « Tous les bokonon s’efforcent de définir le Fâ avec pompe. Chacun cherche une définition qui intéresse, qui intrigue. Mais moi, quoique bokonon, je ne risquerai pas à le définir ! Seule la nature miraculeuse qui a créé le Fâ pourrait en parler savamment ».
Néanmoins, selon une certaine approche plus ou moins rationnelle et objective, l’on pourrait considérer le Fâ comme l’originel Principe d’union synthétique dynamique (Pusd), l’immanent principe christique, immuable, incompressible et inamissible, qui préside à l’essence existentielle des êtres et des choses. Le principe christique, du point de vue strictement profane, consiste en un principe crucifaïque, déterminatif du temps et de l’espace, évidemment, il pourrait receler une connotation religieuse, si l’on évoque la figure christique du Christ Jésus. En d’autres termes, le Fâ serait le divin plan conceptuel et organisationnel des mondes visible et invisible. Les métaphysiciens et les religieux parlent souvent de verbe créateur de Dieu, l’éternel logos suprême, la plus authentique voie d’accès à l’invisible, l’infaillible chemin de liaison, d’interface entre la création globale et son divin créateur : Dieu, Mahu, Allah, etc.
Peut-on savoir les origines du Fâ au Bénin ?
Permettez que je me contente d’un rapide survol historique de l’introduction du Fâ au Danxomè. Suite à des intrigues politiques, le roi Agadja accéda au trône du Danxomè, en 1715. Survint alors une désastreuse sécheresse. Il tenta d’affronter la calamité ambiante par tous les moyens. Il manda partout des émissaires pour dénicher l’homme providentiel qui aiderait à juguler le mal. On lui ramena d’Oyo, un babalawo, qui réussit, après consultation du Fâ et des sacrifices appropriés, le miracle de faire tomber la pluie. D’où le surnom de djissa attribué à l’illustre babalawo, gratifié et honoré par le roi. Aussi pense-t-on que c’est sous le règne d’Agadja que le Fâ fut introduit au Danxomè.
Pourquoi le Fâ ne doit pas être considéré comme une pratique diabolique ?
Rien qu’à s’en tenir à ce qui précède, diabolique est-il de délivrer tout un peuple des affres délirantes d’une calamité destructrice ? Si donc cela relève d’une pratique diabolique, il faut avouer que le diable peut avoir de beaux jours devant lui. Ceci dit, et plus sérieusement, qui sont ceux qui parlent de pratiques diaboliques, en indexant le Fâ, et pourquoi ? Fondamentalement, il s’agit de ceux qui se prétendent religieux, de ce fait, ils pensent qu’ils ont le droit ou le privilège de conduire à Dieu leurs semblables et de sauver ainsi l’âme de ces derniers. Aucune objection ! Mais lequel de ces zélés serviteurs de Dieu consentirait volontiers à voir leurs ouailles, complètement matures, épanouis et heureux, s’affranchir de leur tutelle spirituelle, morale et matérielle ?
Que deviendraient les religieux, pasteurs et prêtres de tout acabit, sans leurs fidèles, religieusement soumis à leur dogmatique diktat pastoral ? La pandémie du Covid-19 permet d’en entrevoir, sans doute, quelques aspects particulièrement édifiants.
La voyance peut-elle remplacer le Fâ en matière de prédiction ?
Qu’entend-on par prédiction et c’est quoi la voyance ? Prédire, littéralement, c’est dire, annoncer à l’avance un fait susceptible de se produire dans un futur proche ou lointain. De ce point de vue, il est coutumier d’assimiler le Fâ à un simple oracle qui prédit l’avenir. Voilà une perception suffisamment tronquée de la nature, des rôles et fonctions caractéristiques du Fâ. L’on ne se rend pas chez un bokonon, juste pour savoir ce qui peut advenir dans sa vie, mais aussi et surtout pour trouver les solutions idoines aux problèmes que l’on rencontre. Un vrai bokonon n’est pas un vulgaire diseur de bonne aventure, bien au contraire, il est à la fois un sage et un thérapeute, nanti de science et de savoir-faire, prêt à offrir son expertise à tous ceux qui ont recours à lui. C’est pour cette raison que la voyance, une certaine aptitude à pressentir et anticiper sur les événements, ne saurait remplacer le Fâ. Celui-ci, en effet, s’avère non seulement un art divinatoire, mais davantage la matrice principale des arts, sciences, religions et architecture du monde. Il représente donc la quintessence des lois et principes régulateurs qui maintiennent en équilibre harmonieux la fonction architecturale de tout l’univers global.
Pourquoi dites-vous que le Fâ est la mère des sciences et des religions ?
Le Fâ, mère des sciences et des religions : en doute-t-on ?
Quelques petits exemples suffisent pour illustrer le propos.
Tous les systèmes conventionnels de numération (décimal, binaire, octal, hexadécimal…) tirent leur source du symbolisme numérique du Fâ.
C’est dans la base sept (07) du compendium formé par les modules syllabo-numériques: Trukpin-Ka, Abla-Aklan, que s’est retranché le fameux nombre Pi (p), un « monstre » logé entre les suites numériques 21/7 et 22/7. Soit : 21,9912/7 = 21,9912×104/7×104 = 219912/70000 = 3,1416 (Cqfd). Il s’agit d’un nombre ambigramme, lisible de gauche vers la droite et de droite vers la gauche. En clair, il est impossible d’évoquer les concepts de : cercle, rayon, diamètre, circonférence, surface, etc., sans s’intéresser au symbolisme numérique du Fâ. À l’heure actuelle où la pointe du progrès se décline en termes de digitalisation et du numérique, concevable serait-il de faire abstraction du Fâ ? Qu’on en juge : les dûgans (vikando) ou symboliques modules majeurs du Fâ ne sont rien d’autre que le dédoublement d’un même module, érigé ainsi en cardinale maison géomantique. En outre, tous les modules syllabo-numériques du Fâ se retrouvent au bout des doigts de la main et des orteils du pied.
Au plan religieux, la foi catholique enseigne, sous forme de dogme, l’existence d’un Dieu unique en trois personnes : le mystère de la Sainte Trinité. Curieusement, avec la mise en évidence du Pusd, corroboré et matérialisé par la découverte du fakwin, un grand pan dudit mystère semble largement levé, car le fakwin s’objective comme la preuve par neuf de l’existence nodale d’un Dieu unique en trois personnes tridimensionnelles et bifaciales, constituant le modèle d’une entité familiale exemplaire.
Sait-on que les modules syllabo-numériques : tula-trukpin, ka-lètè mettent en lumière la conception virginale d’une jeune-fille qui enfanta un nouveau-né promis à un destin exceptionnel ? Sait-on que le concept de résurrection trois jours après l’inhumation n’est pas si étranger au symbolisme numérique du Fâ ? Au total, est-il impertinent de soutenir que le Fâ est la mère des sciences et des religions ? A chacun d’en juger et de se faire justement sa propre religion ! En réalité, ce qui est tradition, aujourd’hui conspuée, méprisée, fut progrès hier, et ce qui est progrès triomphateur de nos jours ne sera, demain, ironie du sort, rien d’autre que piteuse tradition obsolète, apparemment étrange, primitive, sauvage ! Tout est en effet énergie, vibration et perpétuelle transformation dynamique, évolutive, irrépressible. Telle est la véritable loi motrice, inhérente à toute chose, toute entité existentielle des mondes tant visible qu’invisible. L’Occident, d’essence judéo-chrétienne, se targue d’être à l’avant-garde du progrès civilisateur. Quel drôle de progrès qui se décline et se répand en carnage et destruction massive de la vie sous toutes ses formes ?!
De plus en plus, l’on assiste à l’émergence de faux prêtres du Fâ et des religions étrangères. Conséquence, beaucoup de Béninois ne considèrent plus le Fâ. À cette allure, le Fâ ne finira-t-il pas par disparaître ?
L’existence de faux prêtres du Fâ ne doit nullement inquiéter. Bien au contraire, cela prouve la vitalité du Fâ, dont on peut se servir à des fins, hélas ! malhonnêtes. Les brebis galeuses pullulent partout, dans tous les milieux et secteurs socioprofessionnels. Rassurez-vous, personne n’arrivera jamais à dévoyer la substance foncière de la réelle nature transcendantale du Fâ. Les faux prêtres du Fâ finiront par se faire démasquer dans leur sale besogne d’escroquerie des masses naïves et crédules.
Quant à la prolifération tous azimuts des religions étrangères, cela participe du cours normal de l’évolution historique. Un dicton du Fâ le stipule du reste très clairement : la vie est comme une palme d’eau, tantôt, elle se balance à gauche, tantôt, elle se balance à droite. Juste pour signifier que la bonne nouvelle du salut qu’on prétend nous apporter de l’extérieur ne fait que revenir à sa véritable source originelle. Nulle inquiétude donc !
Le Fâ, d’essence divine, ne disparaîtra qu’avec la disparition du Dieu Tout-puissant, suprême auteur-créateur de l’univers, dont il est la vibrante émanation authentique ! Une certitude : ce qui est, fut et sera éternellement. C’est l’essence principielle de l’existence de Dieu et ainsi en est-il également du Fâ. La découverte du fakwin a le mérite de mettre en lumière la christicité ou crucificité du Fâ. Aussi, traitant du Fâ béninois, est-on fondé à insister sur sa spécificité originale par la dénomination distinctive :
Fâ du Bénin, Fâ christique, appelé sans doute à devenir le phare du monde. L’humanité actuelle semble s’acheminer vers un stade de perfectionnement qualitatif : celui de sa divinisation. Et le Bénin y pourrait jouer un rôle de premier plan.
Quel parcours faut-il suivre pour devenir prêtre du Fâ ?
Pour devenir prêtre du Fâ, naturellement, il faut suivre un initiatique parcours d’apprentissage, qui se déroule dans des couvents destinés à cette fin. Les prêtres catholiques en savent bien quelque chose, puisqu’ils passent de longues années de formation dans des séminaires avant d’être ordonnés. La similitude des deux parcours n’a d’ailleurs rien d’étonnant. L’on devrait plutôt chercher à savoir lequel s’est inspiré de l’autre !
Au demeurant, monsieur le journaliste, vous m’offrez une providentielle opportunité pour lancer un pathétique appel invocatoire à l’endroit des décideurs de notre cher pays, le Bénin, pour qu’ils s’engagent enfin à poser l’acte salutaire consistant à opter pour l’introduction et l’enseignement du Fâ dans le système éducatif formel. Il s’agit d’un indispensable acte salutaire qui devrait garantir un avenir radieux aux générations présente et futures. En effet, la mise en évidence de l’infaillible logique indiscutable du Fâ (la falogique), corroborée et matérialisée concrètement par le fakwin, doit pouvoir convaincre de la nécessité inconditionnelle, absolue, des mesures idoines à prendre pour valoriser et promouvoir nos réalités culturelles et fondamentales richesses endogènes. Nous ne pouvons prétendre à un ascendant progrès, un harmonieux développement libérateur, en continuant à nous repaitre d’herbes provenant du pâturage d’autrui.