Je ne crois pas à un mouvement de foule spontané en politique. Et donc je n’ai pas du tout cru à la spontanéité des foules qui se sont levées à Missérété, Porto-Novo et Cotonou pour accueillir Patrice Talon à son retour d’Adjohoun. En politique, ces choses sont toujours organisées et les connaisseurs savent même qui est derrière toute cette orchestration. Mais il y a une évidence : une fois de plus, l’opposition béninoise s’est laissé prendre à son propre piège.
Quand je disais ici en 2017 et 2018 que les opposants béninois se trompent constamment de combat, certains (qui sont passés depuis de l’autre côté de la barrière), m’ont traité de tous les noms. J’y ai perdu des amis. Mais la réalité est là, têtue : face à Talon, l’opposition béninoise a le génie de la déroute. Dès 2017, lors de la première tentative de révision de la constitution, j’avais fait le pari que le Chef de l’Etat était vraiment sincère dans sa volonté de réviser la Constitution, non seulement pour diminuer les pouvoirs (énormes) du Président de la République, mais surtout pour instaurer le mandat unique, à commencer par lui-même. La minorité a bloqué par deux fois cette initiative en faisant croire même aux médias français que le nouveau dictateur béninois voulait se tailler une présidence à vie en tripatouillant la Constitution. Malgré les dénégations de Talon lui-même et de toute la mouvance, ils n’ont pas réussi à faire changer de cap à cette campagne aveugle. Et il n’y avait personne pour convaincre l’opposition de tenter au moins de prendre le Chef de l’Etat au mot, c’est-à-dire d’accepter le principe de la révision. Une fois Talon parti en 2021 grâce au mandat unique, il sera loisible à celui qui prendrait le pouvoir de revenir aux deux mandats, si nécessaire.
Je continue de soutenir que dans le contexte politique africain et surtout béninois actuel, il faut être Soglo pour échouer à se faire réélire. Parce qu’au stade actuel des mentalités dans nos pays, le Chef de l’Etat en exercice est toujours auréolé d’un spectre de puissance dans le cœur de chaque citoyen. Surtout, lorsqu’il a une certaine dose de lucidité et de tempérance, pour résister à l’arrogance et à la suffisance qui perdent les hommes de pouvoir. Mais il n’y a pas que cet élément fondamental. Il y a aussi que la Constitution béninoise donne au Chef de l’Etat en exercice une surpuissance dont il est toujours tentant d’utiliser tous les ressorts. Le régime présidentiel donne en effet au Chef de l’Etat des pouvoirs presque illimités sur l’administration publique.
Lorsque certains observateurs se sont plu il y a quelques jours à souhaiter l’indépendance des institutions démocratiques béninoises, en les comparant à celles des Etats-Unis, j’ai compris que beaucoup de nos élites sont loin d’imaginer l’étendue des pouvoirs que détient le Président de la République à lui tout seul. Aux Etats-Unis, les ministres prêtent serment devant le Congrès et deviennent presque indépendants dès lors qu’ils sont installés. Le ministre de la justice par exemple peut tout à fait s’opposer au Président de la République, et cela s’est vu il y a quelques semaines sous l’administration Trump. Parce que la Constitution lui donne les pleins pouvoirs et le somme d’obéir à la loi plutôt qu’à un homme. Ici au Bénin, le Chef de l’Etat peut légalement, et sans que personne n’y trouve rien à dire, nommer le ministre, le directeur de cabinet du ministre, son adjoint, le directeur administratif et financier, etc. Dans certains cas, s’il le désire, un mot de la présidence suffit pour placer tel chef service, sans coup férir. Il a ainsi la haute main sur l’administration, y compris sur la justice. Et même lorsque des décisions de justice ne l’arrangent pas, il a la possibilité de ne pas les appliquer, sans que rien ne puisse l’en empêcher.
Résultats, l’opposition béninoise a cru naïvement qu’en 2021, elle pouvait battre Talon par le jeu des élections démocratiques. Si même elle décide de participer au scrutin (ce dont je doute), elle a en face des obstacles rédhibitoires : elle ne maitrise aucune des institutions électorales, ni la CENA, ni le COS-LEPI, ni la Cour Constitutionnelle. Par quel miracle voulez-vous gagner une élection dans un pays comme le Bénin sans contrôler aucune de ces institutions ?
Cette opposition s’est assise dans un coussin de naïveté qui a rendu inévitables la candidature et le KO retentissant de Patrice Talon. Ce n’est pas un débat !