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«Il faudrait éviter que la société politique soit réduite à une société économique arbitraire»

Publié le mercredi 3 fevrier 2021  |  africa.la-croix.com
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© 24 heures au Bénin par DR
Début de la semaine sainte pour les chrétiens de l’église catholique
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Le père Raymond Goudjo, théologien béninois, spécialiste de la doctrine sociale de l’Église vient de publier aux Éditions La Croix du Bénin à Cotonou, l’ouvrage Le bien gouverner et la bonne gouvernance sous-titré Essai épistémologique et théologique sur la liberté personnelle en postmodernité.
Quelles distinctions faites-vous dans votre ouvrage entre bien gouverner et bonne gouvernance ?
Père Raymond Goudjo : La question fondamentale du social que la politique porte comme mission cruciale : la liberté personnelle. Pour éviter toute confusion, à liberté individuelle, je préfère liberté personnelle. En société, tout citoyen est réellement convoqué à l’amitié sociale dans l’exercice plein et total de sa liberté personnelle.
Retirons le qualificatif « bien » des deux mots que sont « gouverner » et « gouvernance ». Faut-il gouverner ou faut-il être en gouvernance ? Le choix des libertés personnelles se portera d’office sur l’acte de gouverner comme sujet, car plus révélateur de la personne agissante. Le fait d’être d’office confiné, cadré et endigué, c’est-à-dire mis en gouvernance, crée un malaise social qui s’accroît au fur et à mesure que les personnes s’aperçoivent qu’il y a confiscation des libertés fondamentales au nom du juridisme.
Le pape Benoît XVI protesta contre ce qu’il appelle « la dictature du relativisme ». Il avait tôt perçu l’impasse néolibérale contenue dans « bonne gouvernance ». En dialogue avec le philosophe français Alain Badiou, Marcel Gauchet, un autre philosophe français, dit quelque chose d’intéressant sur la question : « Jadis on régulait le droit du travail, on protégeait la condition salariale, on nationalisait et on instaurait les mécanismes de l’État providence. Aujourd’hui, on assouplit le droit, on précarise les salariés, on privatise et on désétatise ».

Lequel de ces deux paradigmes (bien gouverner et bonne gouvernance) préconisez-vous pour un essor réel et durable du continent africain ?

P-R-G : Faut-il faire un choix entre la réalité et un leurre ? Ma réflexion et mon analyse aimeraient contribuer plutôt à ce que nous ayons en Afrique un peu plus de courage à rechercher le sens de la Chose. Chose avec grand « C » pour ne pas nous laisser emporter par des courants idéologiques, généralement creux. Je donne dans ma réflexion une définition de saint Thomas d’Aquin sur l’art de gouverner qu’il situe au plus haut niveau de l’intellect de toute personne : c’est la prudence. La prudence signifie intelligence et non pas rouerie encore moins intellectualisme stupide. La prudence est le siège de la sagesse parce que recherche permanente de sagesse. La question du « bien pour autrui et pour soi… » n’est jamais une question résolue, mais plutôt une marche résolue à tâtons pour former une société ayant des citoyens qui sachent s’autoéduquer et accueillir les sacrifices essentiels au développement humain.

Vous avez écrit : « La pensée sociale de l’Église propose aux sphères politiques de faire la politique autrement ». Comment les politiques en Afrique peuvent-ils concrétiser ce vœu de l’Église ?

P-R-G : Comme son nom l’indique, la doctrine sociale de l’Église n’est pas un dogmatisme, ni un programme politique. Elle ne saurait dire de façon pratique ce qu’il faudrait faire dans tel contexte situé au cœur des sociétés. La doctrine sociale de l’Église positionne sa réflexion au niveau le plus élevé des normes humaines et sociales. Sa vocation, c’est d’offrir des normes d’orientation à caractère universel. Dans le contexte relativiste actuel, mes propos sont une hérésie ; pourtant, cette vérité est fondamentale car il s’agit de la dignité de la personne humaine qui n’est pas d’abord une conséquence du droit juridique, mais plutôt un fondement intimement chrétien : Homme créé à l’image et ressemblance de Dieu.
De la façon dont Dieu est entré dans l’histoire de son peuple en créant et instruisant un dialogue intime, profond et perpétuel avec son Peuple et chaque Craignant-Dieu, de même, s’imposent aux personnes humaines un dialogue permanent patient dans la vérité et la créativité pour construire une nation, un pays, une entité ou des entités globales. Saint Thomas d’Aquin parle de l’art architectonique du gouverneur et de l’art manuel d’exécution des citoyens gouvernés, c’est-à-dire que rien ne peut se faire sans créativités, solidarités et justices réciproques. Si l’on veut vraiment qu’il y ait un développement humain intégral, il faudrait éviter que la société politique soit réduite à une société économique arbitraire.

Recueilli par Juste Hlannon (à Cotonou)
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