La 46e Session du Conseil des droits de l’homme a débuté le 22 février par la première partie du segment de haut-niveau durant lequel 50 dignitaires, dont près d’une dizaine de chefs d’Etat ou de gouvernement, ont pris la parole pour surtout mettre en avant les défis découlant de la crise sanitaire. Mais c’est l’intervention du Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, qui a marqué les esprits par sa gravité.
Il est maintenant évident que la Covid-19 a non seulement aggravé les vulnérabilités et renforcé les inégalités, mais qu’elle a aussi ouvert la voie à de nouvelles attaques des droits humains. Dans son discours d’ouverture, le chef de l’Onu a rappelé que « les droits humains font partie d’un héritage commun », qu’ils «nous unissent les uns aux autres, d’égal à égal» et qu’ils « constituent la clé pour mettre fin aux tensions et bâtir une paix durable ». Inquiet, Antonio Guterres a souligné « qu’il ne se passe pas un jour sans qu’ils soient attaqués ».
Le Conseil des droits de l’homme occupe une place centrale dans les efforts déployés à travers le monde pour régler les nombreuses questions ayant trait aux droits humains. Le contexte actuel exige « une vigilance constante ».
La pandémie a mis en évidence les liens qui unissent notre grande famille humaine, mais aussi ceux qui relient les droits humains dans toute leur diversité, qu’ils soient civils, culturels, économiques, politiques ou sociaux.
« Le Covid-19 a non seulement creusé les fossés qui nous séparent, aggravé les vulnérabilités et renforcé les inégalités, mais aussi ouvert de nouvelles lignes de faille, y compris en termes de droits humains. Les violations se multiplient pour former un cercle vicieux. Pour la première fois depuis des décennies, l’extrême pauvreté gagne du terrain », a déclaré le Secrétaire général. La pandémie a affecté de manière disproportionnée les femmes, les minorités, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap, les réfugiés, les migrants et les peuples autochtones. Des années de progrès en matière d’égalité des genres ont été réduites à néant. La jeunesse souffre: leur éducation a été interrompue et nombre d’entre eux n’ont qu’un accès limité aux nouvelles technologies ».
L’incapacité d’assurer un accès équitable aux vaccins représente une nouvelle faillite morale. À eux seuls, dix pays se sont partagés plus de trois-quarts des doses de vaccins contre le Covid-19 administrées à ce jour. L’équité en matière de vaccins représente une étape décisive dans la réalisation des droits humains. Le nationalisme vaccinal nous renvoie en arrière. Les vaccins doivent être un bien public mondial, accessibles et abordables pour tous.
Le virus s’attaque aussi aux droits politiques et civils et réduit davantage les espaces civiques d’expression. Des défenseurs des droits humains, des journalistes, des avocats, des militants, et même des professionnels de la santé, ont fait l’objet d’arrestations, de poursuites et de mesures d’intimidation et de surveillance pour avoir critiqué les mesures – ou le manque de mesures – prises pour faire face à la pandémie.
Brandissant la pandémie comme prétexte, les autorités de certains pays ont pris des mesures de sécurité sévères et adopté des mesures d’urgence pour réprimer les voix dissonantes, abolir les libertés les plus fondamentales, faire taire les médias indépendants et entraver le travail des organisations non gouvernementales.
Plus généralement, la pandémie a suscité des inquiétudes liées à l’utilisation abusive des données. En ce moment même, une vaste bibliothèque d’informations est constituée sur chacun et chacune d’entre nous. Pourtant, nous n’en possédons pas réellement les clés. Ces données sont utilisées à des fins commerciales, notamment de publicité et de marketing, et servent à augmenter les revenus de ces entreprises. Nos données sont également utilisées pour façonner et manipuler nos perceptions, sans que nous ne nous en rendions compte. Le monde a besoin d’un avenir numérique sûr, équitable et ouvert afin de veiller à ce qu’il ne soit pas porté atteinte à la vie privée ou à la dignité.
Antonio Guterres a dit qu’il est urgent de redoubler d’efforts pour lutter contre « le fléau du racisme, de la discrimination et de la xénophobie » alimentés par « l’héritage de siècles de colonialisme et la persistance du patriarcat à travers les millénaires ». Il constate que « le racisme gangrène les institutions, les structures sociales et notre quotidien – parfois de manière invisible et insidieuse ». Selon lui, « la lutte contre la résurgence du néonazisme, de la suprématie blanche et du terrorisme à motivation raciale et ethnique, doit être intensifiée ».
Le chef des Nations Unies a exprimé son inquiétude face aux « mouvements de suprémacistes blancs et les mouvements néonazis qui sont plus qu’une menace terroriste intérieure ». « Ils sont en train de devenir une menace transnationale. La menace que représentent ces mouvements de haine grandit de jour en jour. Aujourd’hui, ces mouvements extrémistes représentent la plus grande menace pour la sécurité intérieure de plusieurs pays ». Il constate que « bien trop souvent, ces groupes haineux sont encouragés par des personnes occupant des postes de responsabilité, ce qui semblait encore inimaginable il n’y a pas si longtemps». D’après lui, seule « une action concertée à l’échelle mondiale, pourra mettre fin à cette menace sérieuse et croissante ».
Le Secrétaire général des Nations Unies a rappelé que la pandémie a encore exacerbé la discrimination à l’égard des femmes et des filles. En effet, la plupart des travailleurs en première ligne sont des femmes, dont beaucoup appartiennent à des groupes ethniques et raciaux marginalisés et se situent au bas de l’échelle économique. « La violence à l’égard des femmes et des filles a explosé sous toutes ses formes, des agressions en ligne à la violence domestique, en passant par la traite, l’exploitation sexuelle et le mariage d’enfants », a constaté Antonio Guterres.
Le Chef de l’Onu a terminé son intervention en disant que « les problèmes qui ont été créés par les hommes ne pourront être réglés que par l’humanité tout entière. Mais ces solutions ne pourront être trouvées que dans le cadre d’un partage du pouvoir et de la prise des décisions et du respect du droit de chacune et de chacun d’y participer sur un pied d’égalité. Le moment est venu de remettre les pendules à zéro, de refaçonner, de reconstruire, de mieux redresser, dans le respect des droits humains et de la dignité de toutes et tous ». Il est convaincu que c’est par la détermination et la collaboration que l’objectif pourra être atteint.
Par Catherine Fiankan-Bokonga, correspondante accréditée auprès de l’Office des Nations Unies à Genève (Suisse)