Arnaud DOUMANHOUN 24 février 2021
La protection des enfants au Bénin reste une problématique en dépit des efforts des pouvoirs publics et Organisations non gouvernementales (Ong). Dans cet entretien, Ayaba Claire Houngan épse Ayemona, présidente de la Fondation Regard d’Amour, ancienne ministre de la famille, parle de la prise en charge des enfants en situation difficile, du rôle que joue aujourd’hui sa Fondation et de l’épineuse question de l’adoption.
Comment la Fondation Regard d’Amour s’organise-t-elle pour une meilleure protection des enfants en situation vulnérable ?
Quand on parle de protection des enfants, il y a plusieurs volets. Il y a le volet qui concerne tout ce qu’on peut faire pour prévenir les risques auxquels font face les enfants en situation de vulnérabilité, risque de non scolarisation, risque de non suivi, risque de non déclaration, risque de traite. Quand on dit protection, il y a ce volet de développement de tout un mécanisme pour prévenir ces risques auxquels l’enfant est exposé. Il y a également le volet ‘’Prise en charge’’ qui signifie qu’un enfant est menacé et il faut momentanément le récupérer du milieu où il y a la menace, le garder dans le centre et lui assurer la protection nécessaire jusqu’à sa réinsertion soit en famille d’origine, soit en famille d’accueil, disons jusqu’à sa réinsertion familiale et sociale.
La fondation depuis sa création est restée dans tous les compartiments de la protection des enfants. Il s’agit de la prévention, de la prise en charge, de la réinsertion et même du renforcement de capacités des acteurs, de la communication pour la sensibilisation sur les droits de l’enfant. Depuis l’année dernière pour plusieurs raisons, nous avons décidé de nous retirer du volet Accueil et Prise en charge des enfants en situation de vulnérabilité. Comme nous avons un siège déjà pour ce volet Accueil, avec notre retrait, nous avons jugé utile de mettre toujours le siège au profit des enfants à travers une structure crédible capable de poursuivre cette activité. C’est ainsi que nous avions identifié l’Archidiocèse de Cotonou, à qui nous avions cédé pratiquement l’entièreté du patrimoine immobilier et mobilier de la fondation ‘’Regard d’amour’’.
Nous n’avions réservé que le peu qui nous est utile pour continuer avec les activités de sensibilisation, de formation, de plaidoyer et de Lobbying. L’archidiocèse de Cotonou a donc récupéré ce centre qui venait à point nommé. Parce qu’il y a Caritas Cotonou, qui s’occupe des œuvres sociales de l’église catholique, qui avait déjà des centres, qui ne répondaient plus tellement aux normes et avait besoin d’extension. Dès que nous avions échangé sur cette possibilité, ils ont sauté sur cette occasion et nous leur avons passé la main. Ils ont créé au niveau du siège de Regard d’Amour, le Centre d’accueil Saint Joseph de Regard d’Amour.
C’est dire que nous nous sommes retirés, mais Caritas Cotonou est aujourd’hui au siège de la Fondation Regard d’Amour et continue d’accueillir des enfants et adolescents en situation de vulnérabilité. C’est vrai que ce n’est plus la même tranche d’enfants. Nous, nous étions beaucoup plus dans la petite enfance, de la naissance jusqu’à 3 ou 5 ans maximum. Mais eux, ils sont dans la grande enfance et l’adolescence de 5 ans à 18 ans. C’est ça la différence. Sinon vous allez au siège de la Fondation Regard d’Amour, il y a toujours des enfants qui y sont. Nous aussi, nous nous sommes séparés d’une partie de notre patrimoine et mais nous continuons d’exister en tant que personne morale et nous continuons de mener les activités que nous pouvons toujours mener pour la défense et le respect des droits de l’enfant.
En quoi consistent ces activités que vous menez aujourd’hui ?
Vous savez qu’aujourd’hui la question de grossesse en milieu scolaire est un risque important qui hypothèque la vie de l’enfant. D’abord l’adolescent qui va à l’école tombe enceinte. Si elle sort de l’école sans moyen, elle n’est plus protégée. Et l’enfant qui va naître dans ces conditions d’une grossesse précoce et non désirée, n’est pas protégé. Mieux, en voulant se débarrasser d’une grossesse non désirée, elle peut perdre sa vie. Alors nous avons décidé, depuis quelques années en fonction des besoins d’échange de dialogue avec les enfants, de commencer une série d’activités sur la santé sexuelle pour la prévention des grossesses en milieu scolaire.
C’est une activité qui a le soutien du ministère de la santé, qui a signé avec nous un accord de partenariat. Et cette activité est financée par l’OOAS (Organisation Ouest Africaine de Santé) qui est une institution de la Cedeao et qui s’occupe des questions de santé. Donc, cela nous amène à identifier un certain nombre d’établissements scolaires pour échanger avec les élèves sur leur avenir, montrer que leur avenir est dans leur main et qu’ils ont besoin de gérer leur sexualité pour ne pas hypothéquer leur avenir. Nous insistons alors beaucoup sur les comportements à adopter pour éviter une grossesse précoce ou non désirée. Nous avions commencé dans le département de l’Alibori à cause des statistiques qu’on avait. Cette année, nous sommes dans le département du Zou, précisément dans les communes de Covè, Zagnanando, Zogbodomey, Zapkota. Si nous continuons l’année prochaine, nous allons peut-être toujours rester dans le département du Zou ou nous irons dans un autre département. Parce que le problème se pose un peu partout.
Des études nationales ont également montré qu’aujourd’hui, les enfants sont de plus en plus précoces en matière de sexualité. Nos curricula de formation dans les écoles ne parlent pas vraiment de ces questions. Il y a peut-être dans les SVT, la question sur l’appareil reproducteur. Mais leur dire que cet appareil reproducteur, ce n’est pas juste pour s’amuser sexuellement mais c’est pour jouer un rôle de reproduction plus tard. Et pour que l’appareil soit conservé dans son intégrité dans une bonne santé pour jouer plus tard ce rôle, ça dépend de comment vous l’entretenez aujourd’hui. Quand on parle de santé et de bien-être, il y a le bien-être physique, mental, psychologique et le bien être sexuelle. La santé, c’est aussi l’absence de maladie. La santé sexuelle, c’est l’absence des maladies sexuellement transmissible, c’est l’absence d’une grossesse précoce et non désirée pouvant conduire à la mort de la fille ou à un avortement qui peut entraîner la stérilité, et empêcher la jeune fille, plus tard, de jouer son rôle de procréation.
Est-ce du fait de la mauvaise de la gestion de la sexualité que nous avons ces enfants en situation vulnérable ?
Il y a plusieurs paramètres. Il y a d’abord le paramètre de la pauvreté et d’une sexualité mal gérée. Tous ces enfants abandonnés sont avant tout des enfants non désirés. Un enfant non désiré est un enfant né d’une grossesse non désiré ou d’une grossesse précoce. Parce que la maman n’a pas encore les moyens de faire face à la prise en charge d’un enfant. Le papa aussi, parce qu’il n’est pas mature ou parce qu’il n’a pas les moyens. D’abord, il ne répond pas à ses responsabilités. Il refuse la grossesse. Il abandonne la grossesse à la fille qui, finalement, ne trouve pas une solution que d’abandonner l’enfant, surtout si la fille elle-même n’a pas dans son entourage, des personnes pour l’écouter, la comprendre, l’aider, et l’accompagner. Donc, la question d’abandon des enfants est tout un ensemble. Il y a la question de la sexualité mal gérée et la pauvreté. Quand on dit pauvreté, elle n’est pas que monétaire. C’est le manque de quelque chose. Quand c’est un manque d’argent, on parle de pauvreté monétaire. Mais si c’est un manque de connaissance, on parle de la pauvreté non monétaire. Il y a tous ces facteurs qui conduisent malheureusement à l’abandon des enfants.
Je ne vais pas occulter le dossier d’accompagnement des structures publiques. Quand on parle du social au niveau gouvernemental, j’ai le sentiment que le social pour le gouvernement s’arrête à trois 03 choses. La santé : Il faut créer les centres de santé, investir dans la santé. L’éducation : Il faut créer les écoles, investir dans l’éducation. Et aujourd’hui, on ajoute un peu le volet Microcrédit aux plus pauvres. Mais il n’existe pas une mise en place de réelles structures de prise en charge et d’encadrement des enfants.
C’est d’ailleurs cela qui fait que les centres dit Cape (Centre d’Appel et de Protestions des Enfants) rencontrent beaucoup de difficultés sur le terrain. Je me rappelle que le Gouvernement béninois, il y a une quinzaine ou une vingtaine d’années avait sorti un décret qui fixait les conditions pour apporter des aides ou secours aux centres qui acceptent des enfants en situation difficile, à raison d’une enveloppe financière par enfant. Ce décret n’a jamais été appliqué. Ensuite, il a été question de fixer les règles permettant de venir au secours de cette cible. Parce qu’il y avait beaucoup de centres, l’Etat ne maitrisait pas toujours les conditions de création de ces centres et les conditions de vie de des enfants. Alors, il a été dit qu’il faut fixer des règles minima à condition qu’ils accueillent des enfants.
Donc, l’Etat devait agréer des centres qui devaient être des centres partenaires. Comme ça, si on retrouve un enfant abandonné, on se réfère à un délégué de quartier ou à un responsable de promotion sociale ou même à la police, ces structures peuvent s’adresser aux centres agréés pour que l’Etat les accompagne. Mais il se fait que le décret de 2012 qui fixe ces conditions a péché quelque peu. On a mélangé dans ce texte, toutes les structures qui accueillent les enfants, à savoir les crèches, garderies qui sont des structures privées, pas nécessairement à but non lucratif, et les orphelinats. Quelqu’un qui crée une crèche et qui demande aux parents de payer des sommes par mois pour son enfant, des sommes importantes, est en droit d’avoir des exigences par rapport à ce centre-garderie.
Mais vous verrez aussi un enfant qui est abandonné dans la rue, nu, qui aurait pu mourir, mais qui a eu la chance de survivre, qu’un centre accueille. Le centre doit réfléchir à mobiliser les ressources pour donner à manger à ce bébé, à le prendre en charge, à payer les gouvernantes qui vont s’occuper de lui, payer ses frais de santé. Si l’enfant reste jusqu’à l’âge de la scolarisation, c’est ce centre qui doit penser à tendre la main aux bonnes volontés. Et je vous assure, ce n’est pas toujours facile de tendre la main pour demander de l’argent et aider les autres. C’est ce centre qui se bat. Et quand vous demandez à ces centres d’avoir les mêmes exigences comme une crèche-garderie ce n’est pas possible, vous demandez à un orphelinat de respecter le nombre qu’il faut mettre dans une chambre, d’avoir des toilettes en forme, une cuisine alors que nous sommes dans un environnement avec un taux de pauvreté un peu élevé. Vous avez parfois de ces animateurs sociaux qui ne peuvent pas offrir à leurs propres enfants, à leur domicile, les exigences qu’on attend d’un orphelinat. Ce n’est pas tout le monde qui a la possibilité d’envoyer son enfant dans une crèche où il faut payer de l’argent. Quand nous prenons les écoles publiques où il n’y a pas de frais de scolarisation à payer, un enfant ne travaille pas dans les mêmes conditions qu’un autre qui se retrouve dans une école privée où le parent paie cher.
C’est en cela que j’estime que ce texte a péché en mettant sur un même pied les orphelinats, les centres d’accueil, les crèches-garderies qui sont plus des structures à but non lucratif. Heureusement que l’actuel ministre en charge des affaires sociales a reconnu cette insuffisance de ce décret et y travaille déjà pour que ça soit corrigé et je souhaite vivement que ça puisse se faire, sinon qu’est ce qui va se passer quand l’Etat lui-même ne pourra pas créer un seul orphelinat et le gérer ? Parce que vous ne pouvez pas me donner le nom d’un seul orphelinat public au Benin. Ça n’existe pas.
Quand l’Etat lui-même ne pourra pas créer des orphelinats, mais continuera à fermer ces centres qui se battent quotidiennement pour aider les enfants, qu’est ce qui va se passer ?
Il y aura simplement plus d’enfant dans la rue et nous avons lu à travers la presse, qu’il a eu des centres qui sont fermés et les enfants se sont retrouvés à l’étoile rouge. Qu’est-ce que nous voulons ? Qu’est-ce que nous refusons ? C’est pour ça que je voudrais lancer un appel à l’Etat. C’est vrai l’Etat s’est engagé pour assurer la protection de l’enfant mais là où l’Etat n’est pas capable d’agir et qu’il y a des structures privées qui se battent, il faut les accompagner, il ne faut pas constituer un handicap pour le développement de ces structures mais il faut être un élément d’accompagnement de ces structures et c’est dans ce rôle que je voudrais voir l’Etat béninois.
Dans tous les autres pays, c’est difficile pour l’Etat de gérer par lui-même des orphelins. Ce sont des structures non gouvernementales, confessionnelles et laïques beaucoup plus, qui sont dans la mobilisation de fonds et l’Etat les accompagne. C’est cet accompagnement que je sollicite pour les centres d’accueil. C’est vrai qu’il y a quelques-uns qui exagèrent, je ne vais pas mentir. Il y a certains centres qui pensent que c’est facile de regrouper les enfants misérables pour toucher la sensibilisation des cœurs et collecter de l’argent au nom des enfants. Je ne défends pas ces structures, je crois qu’il faut faire preuve d’honnêteté mais ne profitons pas de la misère des enfants pour nous faire un nom ou une place.
Aujourd’hui, il y a des orphelinats du fait des difficultés qu’ils rencontrent, font du trafic sous couvert de l’adoption. Qu’en dites-vous ?
En matière d’adoption, il y a effectivement aussi de la traite, c’est-à-dire, il y a des traites d’enfants voilées sous le couvert de l’adoption et c’est parce qu’il y a ce que j’appelle le non accompagnement de l’Etat. Vous savez, pour bien faire une adoption, il faut connaître les conditions de fond et de forme. Combien de centres ont le personnel qualifié compétent pour bien connaître la loi ? Si c’est qu’il y avait l’accompagnement de l’Etat, les Centres de promotion sociale doivent travailler constamment avec ces structures. Cela leur permettra de savoir le nombre d’enfant au niveau de tel centre, de connaître les enfants qui doivent déjà bénéficier d’une adoption dans ces centres, et ceux qui ne peuvent pas en bénéficier, d’aider aux enquêtes sociales qui permettent de dire que tel enfant n’a pas une famille dans laquelle il peut retourner, mais qu’on peut lui trouver une famille d’accueil, d’adoption.
Aujourd’hui, quand vous êtes un centre d’accueil d’enfants, ce qu’on vous demande ce n’est pas pour que l’assistante sociale vous aide, mais vous demande vous-même d’avoir le personnel pour faire tout le travail à savoir : le psychologue, l’assistante sociale. Je disais tantôt qu’il ne faut pas profiter de la misère des enfants et se faire de l’argent. L’adoption obéit à des règles très simples. D’abord, un enfant ne peut pas être adopté s’il n’est pas déclaré abandonné par le tribunal et s’il n’est pas un orphelin pour lequel les parents ont consenti à l’adoption. Mais généralement quand les enfants sont des orphelins, c’est qu’il y a toujours un parent survivant. Souvent, ce sont les mères qui décèdent et les enfants sont placés dans les centres.
Il y a parfois le père qui a abandonné. Il y a une tante ou les grands parents. Et qu’est ce qui se passe ? Tous ceux-là se désintéressent de l’enfant, les grands parents et autres sous prétexte de la misère. Le centre qui accueille l’enfant en principe doit passer par la procédure de déclaration d’abandon puisque la loi dit que si vous accueillez un enfant, soit l’enfant est trouvé en situation d’abandon délaissé dans la rue, soit c’est un orphelin que vous amenez. Si pendant un an, tout le monde se désintéresse de cet enfant, vous avez la possibilité d’écrire au tribunal pour dire depuis plus d’un an que j’ai accueilli cet enfant, personne n’est venu me rencontrer, donc il faut constater ce désintérêt à l’enfant et le déclarer judiciairement abandonné.
Le tribunal prend un jugement de déclaration d’abandon qui vous autorise désormais à rechercher une famille pour l’enfant. Il s’est fait que tout le monde ne connaît pas cette procédure. Souvent vous avez des centres qui accueillent les enfants sans aucun papier à la base. C’est parce que les structures ont de plus en plus des difficultés qu’aujourd’hui elles savent qu’elles doivent exiger le papier du tribunal qui les autorise à prendre l’enfant et quand on va au tribunal, ce n’est pas évident que le même jour, vous ayez le papier que vous voulez et ça crée des difficultés pratiques sur le terrain. Quand on trouve maintenant un enfant, il faut d’abord le papier du juge et pendant ce temps, l’enfant est peut-être laissé à un particulier ou un délégué qui lui ne remplit pas les conditions pour l’adoption. Il garde l’enfant pour un temps et s’il y a quelqu’un qui dit qu’il est à la recherche d’un enfant à adopter, il le place. C’est comme ça que le trafic se crée autour des enfants.
Si vous trouvez un bébé, que vous deviez confier à un particulier, quelle est la procédure à suivre ?
L’assistant social dans ce cas doit d’abord faire une enquête rapide pour voir si le particulier qui demande à accueillir l’enfant vit dans de bonnes conditions, est-ce qu’il a des enfants. Si oui pourquoi veut-il avoir un autre enfant parce qu’il y a aussi des questions de trafics d’organes autour de ces enfants que ce soit un béninois ou un étranger. Il fait alors son rapport avec avis technique et dit non. Une enquête avec rapport peut se faire en 48h, si l’enfant rentre dans un centre, l’enquête est bien faite en 48h.
La collaboration se fait bien entre les diverses structures. L’assistance sociale doit pouvoir facilement accéder au bureau du juge des enfants et faire comprendre la situation d’une famille qui remplit les formalités et qui veut bien prendre l’enfant en adoption. Mais dans le cas contraire, on retire l’enfant, car dans d’autres pays, il y a ce qu’on appelle les mères nourricières. J’ai appris que le Benin aussi essaie l’expérience des mères nourricières, mais je ne les connais pas encore. Même jusqu’aujourd’hui où le ministère s’est engagé dans le processus d’agrément de centre d’accueil, je n’ai pas la liste. Donc, je ne connais pas les centres déjà agréés par le gouvernement susceptible de recevoir des enfants en difficultés. Le travail reste entier. Le chemin est encore long. Il y a encore de la matière.
Les enfants adoptés peuvent-ils facilement revenir chez leurs parents plus tard ?
Dans les années 1990-1995, il y avait eu un scandale dont je tais le nom. C’était une Ong qui prétendait faire de l’adoption au Bénin. Mais on a constaté que ce n’était pas des enfants adoptables. Ce n’était pas des enfants déclarés abandonnés. C’était parfois des orphelins, mais on ne dit pas très clairement aux parents qu’il s’agit d’adoption. Et c’est là que se retrouve la difficulté. On fait comprendre aux parents qu’ils veulent les aider et qu’ils ont une culture d’attente d’aide qui encourage l’irresponsabilité au lieu de faire face à ses responsabilités. On pense qu’il y aura toujours des gens qui vont venir aider alors que cela n’existe même pas. Donc, ils disent aux parents qui sont en difficulté qu’ils peuvent leur apporter de l’aide. Qu’ils ont des gens qui sont prêts à garder les enfants. Et quand ils vont grandir, ils peuvent revenir à eux. Alors que ce n’est pas en cela que consiste l’adoption.
Quand on dit cela à la pauvre dame, elle accepte espérant que son enfant va revenir un jour. On lui donne un peu d’argent pour détourner son attention. On les extorque. Ensuite, ils signent un papier sans vraiment comprendre ce que c’est que l’adoption, et les enfants partent. C’est ce qui a fait qu’au niveau international, il y a eu une convention pour stopper un peu la traite de l’enfant. De ce fait, la convention relative à l’adoption international est intervenue. Une convention communément appelée convention de l’AIER oblige les Etats qui l’ont ratifié à mettre en place un mécanisme de suivi des adoptions internationales. Le Bénin a ratifié la convention et a mis en place une structure qui est celui de l’adoption internationale. Là encore, je dirai malheureusement, cette autorité n’est pas encore entièrement fonctionnelle. Ce qui fait que, depuis près de 3 ans, il y a comme une sorte de blocage au niveau de l’adoption internationale. Connaissant les Béninois, lorsqu’il y a blocage, il cherche des moyens de contournement. Donc, face à ce blocage, il y a aussi des trafics qui s’organisent autour de la traite des enfants. Et là, c’est souvent en complicité avec les centres d’état civil. Surtout quand c’est des noirs, on va vers les centres pour directement faire transcrire l’enfant au nom des familles. Et ça, c’est plus pour l’adoption nationale, que celle internationale. C’est très compliqué, car il faut respecter les nouvelles normes. C’est maintenant que le Benin est en train de mettre en place la nouvelle procédure. Il faut créer la structure, mais il faut également définir les nouvelles procédures. C’est seulement vers 2020 qu’il y a eu un décret qui a été adopté, mais les associations agréées ne sont pas encore connues parce que, avec la mise en place de ces nouvelles mesures, aucun étranger ne peut adopter un enfant sans passer par une structure agréée par l’Etat dans son pays. Ce ne sont pas les associations béninoises qui vont s’occuper de cela. Mais c’est le pays d’origine de ses parents adoptifs qui s’organise et si quelqu’un veut adopter un enfant, eux ils rassemblent les dossiers avec les agréments et s’adressent au ministère en charge de la protection de l’enfant au Benin qui étudie également le dossier, s’assure que le pays remplit les formalités, qu’ils ont l’autorisation d’adopter un enfant et de s’assurer que, au regard de la loi béninoise, ils remplissent les conditions pour adopter un enfant. A partir de ce moment, la suite doit intervenir légalement. Je dis que les choses ne sont pas encore claires. La suite peut se faire de deux manières. Soit l’autorité nationale qui reçoit le dossier d’adoption dit que le dossier est bon. Vous pouvez adopter un enfant. Donc, il faut vraiment vous rapprocher à un centre d’accueil d’enfant dès que vous identifiez l’enfant adoptable, vous passez au tribunal pour le reste. Donc, l’autorité donne son opinion favorable et c’est tout.
Le deuxième, désormais si vous avez des enfants à faire adopter au plan international, vous le signifiez et c’est à nous de rechercher des parents pour vos enfants. Donc, ça fait deux situations. Certains pays ont adopté la première formule et c’est plus simple. C’est-à-dire qu’ils vérifient les dossiers par rapport au pays d’origine et par rapport au Benin. Ils s’assurent que tout est bien et laissent les gens s’adresser aux structures. D’autres pays ont adopté la deuxième formule mais avec l’exigence d’accompagnement de ses centres. Ses pays ont agréé des orphelinats, apportent régulièrement une subvention annuelle à ces orphelinats et la prise en charge des enfants. Dès lors, ces orphelinats savent que l’Etat les accompagne. Si j’ai des enfants qui ont besoin d’être adoptés, je communique la liste à l’Etat c’est-à-dire à la structure d’adoption qui recherche maintenant les familles. Si l’Etat Béninois choisit la deuxième formule, il faut nécessairement l’accompagnement parce que si vous ne demandez pas ce qu’un enfant mange, comment un enfant dort, pourquoi vous allez l’arracher pour faire l’adoption quand on sait que parfois quand les dossiers arrivent, les gens payent de frais d’étude des dossiers. L’autorité centrale pour l’adoption ne doit pas être mise en place pour vivre sur le dos des enfants vulnérables. Prendre de l’argent pour étudier les dossiers des enfants, il faut qu’en amont, on ait des structures qui accueillent les enfants. S’il n’y a pas d’enfant à adopter, l’autorité n’aura pas de mal à s’en sortir. Pourtant l’Etat va les doter d’un budget de fonctionnement et chaque année, ils vont bénéficier de ce budget alors que les enfants même à adopter ne bénéficient de rien et vivent dans la misère au niveau des centres qu’on aide.
Pourquoi attendre que l’enfant traîne un an dans un orphelinat avant de rentrer dans une famille ?
D’abord pour le délai de déclaration d’abandon. Un an, je trouve que c’est parfois trop. Ça fait partie des dispositions du goût des personnes, des familles, du goût de l’enfant qui peuvent être révisées. Un enfant qu’on a retrouvé dans la rue, il n’y a aucun parent pour s’en occuper, on a aucun indice pour rechercher sa famille. Donc, tôt ou tard, cet enfant sera adopté. Pourquoi attendre que l’enfant traîne un an dans un orphelinat avant de rentrer dans une famille. Le délai de déclaration peut être raccourci à 6 ou à 3 mois dans d’autre pays. Quand je prends la France, le seuil de référence n’est pas un an, c’est 3 mois. On peut, pour les enfants abandonnés, revoir le délai de déclaration.
L’intérêt, c’est que cela raccourcit le temps de séjour de l’enfant dans un centre d’accueil. Cela réduit les charges de cet enfant dans cet orphelinat. Cela permet à la famille qui est apte à recevoir l’enfant de l’accueillir très tôt et de l’éduquer à sa manière. Parce que l’autre inquiétude de la famille est d’avoir un enfant d’un an, deux ou de trois ans qui n’a pas des habitudes difficiles à changer. On dit que l’éducation commence dès le bas-âge. Je trouve que le délai est trop. Le deuxième facteur qui fait que la procédure est longue, je crois que c’est dû à la non implication suffisante des travailleurs sociaux parce qu’il faut faire une enquête sociale, psychologique pour s’assurer que les parents ont une bonne santé mentale et beaucoup d’autres analyses. Si les agents de l’Etat chargé de la sécurité de l’enfant travaillent en lien étroite avec les juridictions et les centres d’accueil, cela faciliterait cette collaboration. Il y a des efforts, mais je crois qu’elles peuvent être améliorées. Pour le reste, cela dépend de la sensibilité du juge qui a le dossier. Ce n’est pas parce qu’on est magistrat qu’automatiquement, on a une certaine sensibilité pour les questions d’enfants. Il y en a qui traitent des dossiers d’adoption, des dossiers de terrain et autres. Le dossier vient le premier jour, il n’est pas en état d’être jugé. On le renvoie à 3 ou 6 mois juste pour une pièce manquante. Ce sont ces éléments qui font traîner le dossier. Un autre facteur qui fait retarder le dossier est l’intervention de l’autorité centrale pour l’adoption qui n’a pas encore fixé toutes les règles. Quand on ne sait pas ce qu’il faut faire, on traîne sur ce qu’il faut faire, parce que les procédures ne sont pas encore bien définies pour dire qu’on ne connaît pas et non que ça n’existe pas et ça attend le temps qu’il faut. Pendant ce temps, l’enfant est là. Il a envie de rentrer dans une famille mais on ne le lui permet pas donc il est à en attendant que quelqu’un l’accueille.
Un mot pour conclure cet entretien
Pour conclure, je voudrais simplement lancer un appel à la sensibilité des uns et des autres. Ce n’est pas une chose facile pour les orphelinats. Je sais que ce n’est pas facile, mais rester dans la limite de ce que vous pouvez. Fixez des règles, des conditions pour l’accueil de chaque enfant qui doit être réinséré dans une famille. L’orphelinat ne peut pas remplacer la famille. L’orphelinat ne peut pas se substituer à la famille. Je suis entièrement contre les orphelinats ou les centres d’accueil qui pensent qu’ils peuvent se substituer à la famille et tout faire à la place de la famille pour l’enfant. Ce n’est pas possible. Même dans une famille, si vous aviez 5 voire 10 enfants, ce n’est pas facile. Mon deuxième appel, c’est en direction de la ministre en charge des affaires sociales pour qui j’ai beaucoup d’admiration, que je félicite déjà pour avoir perçu qu’il y a des choses à corriger. Je l’encourage vivement de continuer d’avancer et de rectifier le tir. Enfin, aux personnels sociaux, je sais qu’ils travaillent dans des conditions difficiles comme beaucoup de fonctionnaires. Il faut qu’ils comprennent qu’ils œuvrent pour les enfants et que les mauvaises conditions de travail ne doivent pas être un alibi très facile pour ne pas faire l’essentiel de ce qui doit être fait dans le cadre de la protection des enfants. J’encourage ceux qui persévèrent dans ce sens. Je les exhorte à plus de professionnalisme.