“La montagne a accouché d’une souris.” Ainsi m’étais-je exclamé, il y a trente et un ans, et plus précisément à la fin des travaux de l’historique Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation de février 1990. Certes, en ce moment-là, la vingtaine, et fraîchement admis à l’Université Nationale du Bénin, actuelle Université d’Abomey-Calavi (UAC), je n’avais pas voix au chapitre au plan national dans la République. J’avais tout de même quelque maturité qui me permettait de faire la part des choses, d’user de discernement et de savoir ce que c’est, qu’avoir le sens critique.
À cette époque, tous les Béninois ne pouvant accéder à la salle de conférence de l’hôtel PLM ALEDJO (par ailleurs, mythique centre de détention et de torture de détenus politiques sous la révolution) où se tenaient ces assises, l’étudiant – que j’étais – faisait aussi partie de ces millions d’auditeurs accrochés à leurs transistors ou à leurs téléviseurs, pour suivre au quotidien, ce qui s’y passait. Qu’il s’agisse des huis clos, des travaux en commissions ou des plénières, je tenais à tout savoir presque ou tout au moins la quintessence des grandes et importantes décisions prises chaque jour.
Et quel ne fut l’espoir, le grand espoir placé en ces historiques assises qui devaient nous soustraire définitivement du joug de la dictature militaro-marxiste et de ses oripeaux incarnés par un régime pseudo-révolutionnaire qui, visiblement essoufflé, dut se résoudre à se trouver, plus qu’une bouffée d’oxygène, une porte de sortie. Le fameux et marquant discours de la Baule en France l’y a indubitablement aidé. Un discours du double septennat (1981-1995) du président français, François MITTERRAND, qui conditionnait l’aide de la France aux seuls États engagés sur la voie de la démocratie. En ces temps-là, la situation socio-économique du Bénin était telle que, ne pas céder, face aux exigences et à la pression de la Baule, serait suicidaire pour le président KEREKOU et son gouvernement, dont les jours étaient bien comptés. À en juger par la déconfiture et la banqueroute qui se sont emparées du pays. Aussi, en mai 1985 le redoutable mouvement de grève de grande envergure des étudiants et élèves, sous l’impulsion des communistes, qui a fait trembler le régime révolutionnaire et son parti Etat: – le PRPB – n’était-il pas déjà mauvais signe !
Casting et mauvaise option !
La convocation des assises du PLM ALEDJO était donc une bouée de sauvetage pour le pouvoir pseudo-révolutionnaire moribond. Alors, j’avais espéré qu’au cours des travaux de cette Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation, les réels problèmes posés et les vrais diagnostics connus nous feraient sortir de l’impasse. Hélas !
Au terme de cette historique Conférence Nationale (!?),
j’étais resté sur ma faim. Il en était de même, pour nombre de mes compatriotes. Prenant le contre-pied de la formule consacrée selon laquelle nous avons vaincu la fatalité (!?), je veux bien poser la question de savoir, si de quinquennat en quinquennat, des faits et situations ne prouvent pas le contraire ? Quelle fatalité avons-nous donc vaincue au juste ? Peut-être celle de ce moment-là ; oubliant la véritable fatalité qu’est la paupérisation poussée des populations. Le manque d’eau potable, de pistes de desserte rurale, de centres de santé et de plateaux techniques appropriés, d’infrastructures scolaires et d’enseignants de qualité en effectifs suffisants et d’opportunités économiques, ne nous interpelle-t-il pas toujours, pour que nous cessions de nous bomber le torse d’avoir vaincu quelle fatalité je ne sais ! La prise en charge réelle de la jeunesse déboussolée, par la création d’emplois et de richesse qui la rassure et lui donne d’espérer un mieux-être, avec en point de mire un avenir radieux, ne demeure-t-elle pas une préoccupation majeure, pour ne pas dire un casse-tête ? Au départ, un problème de mauvais casting, de mauvaise appréciation et de prise d’option dans la précipitation avant, pendant, voire après la conférence.
Le comité préparatoire, présidé par maître Robert DOSSOU, n’a pas réussi à faire inviter à ces historiques assises tous ceux qui devraient y être véritablement. On a plus fait appel à ceux qui, ayant maille à partir avec le régime autocratique d’alors, s’étaient exilés et à quelques personnalités en vue, à l’extérieur et à l’intérieur du pays, à des membres d’organisations et de structures socioprofessionnelles, qu’à de vrais représentants de toutes les couches sociales importantes du pays. Sans prétexter du boycott – justifié à maints égards – des communistes qui ont décliné l’invitation à y participer, parce que ne voulant pas cautionner des assises qui conforteraient leurs bourreaux dans leurs positions, on pouvait mieux faire, s’agissant des personnalités et personnes devant prendre part à ladite Conférence. Conscient également des incohérences et des failles de la Constitution du 11 décembre 1990, l’ex- président de la République, Mathieu KEREKOU, a laissé échapper que : celle-ci a été “taillée à sa mesure.” C’est alors qu’il martela, non sans insinuation, qu’ayant fui durant la période révolutionnaire, “les apatrides” ne sachant pas ce qui a été fait en leur absence, tenaient sans discernement aucun, à tout remettre en cause, lors de cette Conférence !
Compromission ou manque de sincérité et d’objectivité de la part des participants et des constituants ?
Illusion d’optique !
À ceux qui continuent de croire en cette phrase magique “Nous avons vaincu la fatalité (!?)”, une formule consacrée et déjà trentenaire, qui malheureusement va se galvaudant, une seule question: de quels acquis parle-t-on encore et toujours ? Du consensus sur la corruption, la concussion et l’exclusion de la grande et laborieuse masse, dont les justes aspirations et nobles revendications n’ont réellement pas été prises en compte ? De la collusion entre quelques privilégiés de cet instant-là, pour s’arroger la redistribution de la richesse nationale entre eux, avec la mise en place de structures, de mécanismes et d’institutions pour veiller sur des intérêts partisans, sectaires et égoïstes aux dépens de notre pays ? Du consensus sur l’impunité, par l’amnistie gracieusement offerte au général-président, pour l’amener ou l’obliger à accepter les conclusions, recommandations et résolutions issues des travaux ? De la précipitation avec laquelle on a rejeté tout ce qui “puait” la révolution, alors que tout n’était pas si mauvais que ça, de 1972 à 1989 ?
Au même moment quelle décision salutaire a-t-on prise, pour réparer les torts et préjudices graves causés à ceux qui ont été victimes des exactions et autres abus du régime pseudo-révolutionnaire, dont le premier responsable était l’amnistié ? « Pour qu’il y ait démocratie ou un Etat de droit, il ne suffit pas que des droits et des libertés soient prévus dans des textes ; il faut encore que les bénéficiaires de cette loi aient le courage de les exercer effectivement, de les prendre, sans attendre qu’on veuille bien les leur octroyer », insistait le célèbre professeur de philosophie, Paulin J. HOUNTONDJI – qui fit partie de ceux qui tenaient à la souveraineté de cette Conférence, le 25 février 1990. – Soit ! N’est-ce pas cette souveraineté qui conféra aux participants une sorte de plein pouvoir de décider et d’agir dans l’intérêt supérieur de la Nation, en faisant rédiger une Constitution qui plus tard, se révèlera être un poison lent !
Faut-il justement évoquer certaines dispositions de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990 pratiquement importées, en certains points ? Une Constitution qui, outre les incohérences et lacunes graves, pour n’avoir pas tenu compte de nos réalités sociopolitiques, offrait sans précaution aucune, la possibilité à des souverains délégués par le peuple (des députés), à une majorité dite qualifiée, de la réviser, sans retourner forcément devant le même peuple, pourtant seul souverain.
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Et ceci, quelles que soient les dispositions à toucher. Le multipartisme intégral était-il vraiment la panacée ? En lieu et place, ne fallait-il pas qu’on mît l’accent prioritairement sur quelques grands partis politiques de gauche, de droite et du centre, avec des idéologies claires et précises ? Malheureusement, les participants à la Conférence Nationale prirent simplement l’option de passer d’un extrême – parti unique – à l’autre – multipartisme intégral –. Dès lors, en conférant à une Cour Constitutionnelle, le pouvoir des décisions sans recours, ne fallait-il pas au départ limiter la portée de ce pouvoir ?
Il eut fallu une disposition de notre Constitution qui obligeât ses membres à se rendre à l’évidence, qu’en outrepassant leurs attributions, rôles et prérogatives, ils pourraient être désapprouvés par une plus Haute Instance : véritable norme supérieure, dont la composition échapperait à tout pouvoir politique – forcément partisan !
– Car on a fini par se rendre compte que cette juridiction est plus politique que technique. Il ne suffit que de voir le mode de désignation de ses membres, pour s’en convaincre. Tel ne devrait pas être le cas, à faire dire que, de par des décisions rendues, ses membres réécrivent à leur guise ou à leur façon, la Constitution à laquelle ils doivent aussi se soumettre !
En un mot, il fallait limiter les pouvoirs de cette institution de contre-pouvoir qu’est la Cour Constitutionnelle ; en vue d’une crédibilité réelle qui ne fasse l’objet d’aucun doute et d’aucune suspicion, quel que soit le camp politique auquel on appartient.
Une institution forte et non des hommes forts !
Arguant que ses décisions sont sans recours, ne serait-il pas tentant et suicidaire que, suite à un simple recours de citoyen demandant à la Cour, par lubie, de se prononcer sur la dissolution du parlement par exemple, pour un oui ou pour un non, ses membres s’en saisissent et statuent pour aller dans le sens du requérant !
Qu’est ce qui obnubilait les constituants ou les pressait pour autant, au point qu’ils n’aient pas pu mettre de véritables verrous ou des garde-fous conséquents dans la Constitution du 11 décembre 1990, que seul le peuple souverain pouvait faire sauter à bon escient, en se prononçant, par le biais d’un référendum, sur des dispositions et articles très sensibles de notre loi fondamentale ?
Anachronisme et incohérence !
N’est-ce pas le lieu ou l’occasion de dénoncer une fois encore l’anachronisme et l’incohérence que mettent en exergue les réactions et prises de positions de ceux qui soutiennent mordicus qu’il ne fallait pas du tout opérer certaines réformes !
Il y a visiblement un problème de mauvaise foi et de lecture erronée de nombre d’initiatives et d’actions concrètes visant le développement socio-économique du pays.
Autant de questionnements qui amènent à dire qu’il ne sert à rien de fustiger de fond en comble les réformes politiques et économiques majeures actuelles. En ce sens qu’il ne faut nullement s’en prendre à ceux qui, exploitant les dispositions de cette Constitution, ne sont que dans leur rôle de politiques, avec des objectifs précis salutaires pour d’aucuns et inopportuns peut-être pour d’autres. N’est-ce pas qu’il faut plutôt condamner le manque de vision claire et nette, de flair et d’anticipation des participants aux historiques assises du PLM ALEDJO qui ont consciemment ou inconsciemment permis que les compromissions prennent le dessus sur des décisions courageuses et des compromis réalistes et salutaires pour le pays ? Les constituants étaient-ils obligés de mettre dans la Constitution, l’option économique devant être celle du pays – allusion faite au libéralisme économique !?
– Ne devraient-ils pas en laisser l’option, l’opportunité ou l’initiative aux gouvernements qui auront à se succéder ? C’est à croire qu’à dessein, les participants et surtout les constituants ont conclu et entretenu un marché de dupes sur le dos du peuple qu’ils étaient appelés, mieux, convoqués à sauver des affres du sous-développement et de la misère. Sinon, en plus de ces légèretés, décisions, recommandations et options suicidaires dans maints domaines de la vie socioéconomique et politique, comment permettre et accepter que le président de la République et le premier ministre investis, pour conduire la transition (1990-1991), en attendant l’élection présidentielle de 1991, s’y soient encore portés candidats ? Ce qui ne devrait pas être le cas ! Un principe de loyauté et de la parole donnée violé par les deux hommes forts de l’exécutif de l’époque, au nez et à la barbe des membres du Haut Conseil de la République qui eurent manqué de fermeté, de courage et de logique.
Quelle imprécation !
Le droit est l’art du juste et du bien ! Signe imprécatoire s’il en fut, pour faire remarquer que cette complaisance et le manque de justice, de la part de ceux qui pouvaient et devraient dire non à cette farce et à cette imposture, ne leur ont pas permis de rentrer véritablement dans l’histoire. Ce faisant, ils ne sont pas moins complices, auteurs et coauteurs des déviances, des tares et avatars que nous continuons de trainer dans notre pays, tel un boulet. Malheureusement, le travail de salubrité morale et de changement de mentalité qui consacrerait notre renaissance pour un bond qualitatif en avant a été bâclé. L’une des fâcheuses conséquences est qu’il fallait se faire proche des gouvernants ou de leurs cercles restreints ou immédiats, pour espérer avoir le droit d’exister. Dès lors, pour des “cadres” et autres agents qui tenaient à des promotions à tout va et intéressées, il n’y avait qu’une seule solution : intégrer le parti du chef, pour se croire à l’abri de toutes déconvenues.
L’une des preuves tangibles est qu’ils n’ont pu résister à l’appel de Goho où, empruntant l’allégorie de la biche et de la rivière contre laquelle l’animal ne saurait se fâcher, Nicéphore Dieudonné SOGLO les invitait à intégrer son parti politique d’alors : la Renaissance du Bénin dirigée par son épouse. De là à en déduire que l’ex- premier ministre devenu président de la République eut une conception de jouissance du pouvoir – qui devrait être plutôt perçu comme service –, c’est un pas qu’il faut bel et bien franchir. Ainsi, la promotion et le positionnement des “cadres” et agents à des postes de responsabilité, comme s’il s’agissait de distribuer des “gâteaux” sans scrupule, n’ont fait que révéler davantage notre pauvre état d’esprit. Ainsi, des pratiques peu recommandables et des condescendances se sont perpétuées, même après le départ du pouvoir du président SOGLO en avril 1996. Qui a bu boira, dit-on. Avec le retour au palais de la Marina du général Mathieu KEREKOU (1996-2006), dont il faut reconnaitre cependant quelques mérites, nonobstant le bilan économique pas trop reluisant, les mêmes pratiques, méthodes, vices et appâts ont rendu méconnaissables des intellectuels et personnalités qui étaient obligés de s’aplatir pour peu.
S’ils ne créaient pas eux-mêmes, des partis politiques soutenant le Chef de l’État, ils devraient saisir la moindre occasion, pour lui faire allégeance. Au fait, la création des partis politiques ne répondait pas forcément aux critères idéologiques, pour convaincre les populations de nos villes et campagnes, dans l’optique de conquérir le pouvoir d’État. À l’occasion des élections législatives, en vue de l’installation des députés de la deuxième législature de l’ère du renouveau démocratique, l’achat de conscience des populations, moyennant des espèces sonnantes et trébuchantes, des vivres et des biens matériels, a été érigé en mode de séduction de l’électorat. Dans ce sillage, un partisan intéressé d’une personnalité influente, qui plus est premier haut responsable d’un grand parti politique jusqu’à une certaine époque, n’a-t-il pas lancé une sorte de boutade au professeur Albert TEVOEDJRE – président du parti NCC de l’époque –, pour lui faire savoir que « sa politique était lente ! » Comme pour dire que l’argent à distribuer en période électorale devrait être déterminant pour des votes en faveur de l’homme politique et surtout de tout candidat ! Quelle aberration ! Autant dire que la vie politique est devenue le siège par excellence de la fatalité, avec son corollaire de vie partisane hyper-fragmentée, de personnel politique végétant dans le clientélisme, le mercenariat et les captations opportunistes de toutes sortes.
Dette de reconnaissance !
La grosse interrogation qui nous taraude l’esprit, et nous interpelle également, c’est le sort qui est toujours fait au parti communiste du Bénin. Un parti, dont les fondateurs et les valeureux membres ont, depuis 1975, mené les luttes les plus farouches et rudes, en s’opposant et en donnant du fil à retordre aux régimes successifs dans notre pays. Au terme des grands et décisifs combats, une fois la victoire obtenue, les membres du PCB sont mis à l’écart, et considérés comme des pestiférés politiques. Même sur le plan de la défense des droits des travailleurs où la plus influente Centrale ou Confédération syndicale, – aux options parfois proches de celles des communistes –, a toujours gagné haut la main les élections professionnelles, quels stratagèmes ne se conçoivent pas pour empêcher ses membres de siéger dans des institutions, commissions et organes sectoriels de prise de décisions au plan national !
Ce qui est dommage et regrettable ! Autant dire que c’est d’une dette morale qu’il doit s’agir vis-à-vis du Parti Communiste du Bénin. Ne pas la reconnaître et la payer, c’est comme se faire hanter par un malheur qu’il faudra coûte que coûte exorciser, pour avoir la paix sur bien des plans dans la République. Car à se rappeler qu’au moment où les communistes combattaient la pseudo-révolution et ses méthodes dictatoriales dans notre pays, ceux qui n’eurent pas le courage de le faire ou de se joindre à eux, à visage découvert, s’étaient mis à l’abri dans d’autres pays africains, en Europe et ailleurs dans le monde.
Et ce serait pure diversion que de croire que, ce sont les exilés qui ont fait tomber le régime de Mathieu KEREKOU. L’une des preuves qui convainquent à ce sujet est que, ceux qui eurent pris l’initiative de mettre un terme à la pseudo-révolution marxiste-léniniste, le 16 janvier 1977, n’eurent pas gain de cause. Le peuple béninois, qu’on croyait rejeter le pouvoir révolutionnaire, était resté mobilisé derrière “le grand camarade de lutte”, pour faire échec à l’agression armée impérialiste, dont les opérations ont été conduites par le mercenaire français Bob DENARD. Comble d’injustice, après la Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation, ce sont ceux qui n’avaient pris aucun risque (y compris ceux qui eurent suscité et commandité cette agression) qui sont rentrés au pays, pour jouir. Certains pour récupérer leurs différents biens dont ils avaient été dépossédés par la révolution ; d’autres pour être positionnés et nommés dans les institutions, ministères et structures très importants.
Cette perception et cette conviction peuvent paraître insoutenables et incompréhensibles pour certains, mais elles doivent être des cas de conscience, pour nos dirigeants successifs à la tête du pays. Il en est de même des réparations des torts et préjudices subis par ceux de nos compatriotes victimes d’arbitraires, de tortures aux séquelles graves ayant conduit parfois à la mort sous la révolution, et bien après. Car ces communistes-là font partie de ceux qui, sans fourberie aucune, ont lutté jusqu’au sacrifice suprême, pour que nous nous pavanions aujourd’hui d’être en démocratie. Continuerons-nous de faire fi de tout cela, jouissant seuls et impunément des fruits des luttes auxquelles ils ont pris une part très active ? Je crains que des faits nous rattrapent et nous condamnent. « Toute fausseté est un masque ;
et si bien fait que soit le masque, on arrive toujours à le distinguer du vrai visage. Un voleur ne rit pas de la même façon qu’un honnête homme et un hypocrite ne pleure pas les mêmes larmes qu’un homme de bonne foi. » Ce postulat, du célèbre romancier français du 19e siècle, Alexandre DUMAS, dans la distinction entre le vrai et le faux, vaut méditation pour tous. Que les resquilleurs et autres usurpateurs en prennent conscience, avant qu’il ne soit trop tard.
Poison lent ?
Et dire que cette conférence-là a fini par se révéler être un poison lent pour la vie socio-économique et politique de notre pays, n’est qu’un euphémisme. Et loin de moi, l’idée de jeter à la poubelle de l’histoire, l’initiative de ladite Conférence et son organisation concrète, c’est de la pertinence ou non de certains faits et décisions majeurs issus de ses travaux qu’il doit s’agir. Car, ce serait faire preuve de myopie intellectuelle et politique que de ne pas reconnaître, qu’avec ces assises historiques, nous avons rompu avec un système politique qui comprimait et embrigadait les libertés individuelles et d’expression, la libre association ou appartenance à des groupes, regroupements et partis politiques. Et tutti quanti ! L’option démocratique, qui sonna bel et bien le glas de la dictature imposant un système de parti unique militaro- marxiste, n’est-elle pas d’une évidence !
Aussi, les Béninois, à partir des élections organisées depuis 1991, ne choisissent et n’élisent-ils pas les candidats de leur choix, lors de différentes élections, même si l’achat-vente des consciences devient inquiétant ! Et c’est justement à ce niveau qu’il faut davantage s’apercevoir de quelques éléments constitutifs du poison lent dont je parle. En cela justement que les élections n’ont jamais cessé d’être des sources de tensions sociales ou sociopolitiques. Je n’en veux pour preuve que la contestation des résultats de l’élection présidentielle de 1996, par le président sortant Nicéphore Dieudonné SOGLO.
En effet, mécontent de n’avoir pas été réélu, suite à l’annulation de suffrages en sa faveur, n’a-t-il pas permis que des membres de son parti politique – la Renaissance du Bénin – marchent sur la Cour Constitutionnelle ?
Ce même président n’a-t-il pas refusé d’obtempérer, suite à une décision de la haute juridiction demandant de libérer purement et simplement le président et colonel à la retraite Maurice KOUANDETE, qu’il soupçonna de conspirer contre son régime ? Faut-il oublier les tirs de roquettes sur la résidence du professeur Maurice AHANHANZO-GLELE alors membre de la Cour Constitutionnelle (1993-1998), en pleine délibération ? Au cours de son quinquennat, en tant que président de la République, que de fois le président Nicéphore Dieudonné SOGLO n’a-t-il pas refusé d’aller délivrer devant la représentation nationale à Porto Novo, le discours sur l’état de la nation ! Les violations de la Constitution étaient si répétées et des remises en cause des rares acquis de la Conférence Nationale étaient telles que, Monseigneur Isidore de SOUZA, de vénérée mémoire, ne put s’empêcher de couler des larmes publiquement à la télévision nationale ! Il y a eu également des cas et situations où ses successeurs sont passés, eux aussi, outre des décisions et recommandations de cette même haute juridiction.
Avec Mathieu KEREKOU (1996-2006), des dénonciations de violation de la Constitution n’ont pas manqué. Sous le régime du président Boni YAYI (2006-2016), c’était la totale. Pourtant, il a été dit dans la Constitution que « les décisions de la Cour sont sans recours. » En ce sens que, qui que vous soyez dans la République, vous devez vous y soumettre et les exécuter, même si l’on pouvait bouder, trouver à redire, à commenter, voire critiquer ces décisions. Ne doit-on pas y voir des germes et des éléments de poison lent pouvant faire basculer un pays dans le chaos ;
surtout lorsqu’on a conscience de ce que ces décisions doivent toujours viser à maintenir la paix, la stabilité et la cohésion sociale ?
Les doutes et suspicions à l’encontre de certains juges qui ne seraient pas impartiaux, dans la prise de quelques décisions, ne sont-ils pas aussi constitutifs des éléments de ce poison lent dont je parle ?
Avec du recul, les participants à la Conférence Nationale, et surtout les constituants ne se rendent-ils pas compte des erreurs commises, des options et décisions prises dans la précipitation, et de certaines incongruités qui sont sources de tensions, pour ne pas dire de poison lent pour le peuple qu’ils croyaient délivrer en février 1990 ! Fallait-il s’exclamer vraiment que nous avons vaincu la fatalité ? Je comprends la joie et l’enthousiasme de ceux qui, enivrés peut-être par le fait que, ne s’attendant pas à voir les révolutionnaires marxistes de l’époque lâcher du lest, même au détour d’une conférence nationale, aient pu par surcroît, en proclamer la souveraineté ! Une souveraineté qui leur permit de décider non seulement du sort de la révolution marxiste-léniniste, mais aussi de faire recouvrer aux citoyens, leurs droits élémentaires et fondamentaux.
Toutes choses devant être des facteurs déterminants qui promeuvent le développement socio-économique au centre duquel se trouve l’homme et tout l’Homme. Mais cela ne suffit pas. Devrait-on alors se contenter seulement de quelques acquis, petits pas et progrès voilant des dangers et risques, pour n’y voir aucun poison lent pour un système de démocratie, dont la forme ne nous sied peut-être ou certainement pas !
Avons-nous mal taillé le modèle sociopolitique qui devrait être le nôtre, afin d’éviter que, quels que soient les dirigeants qui se succèderont à la tête du pays, nous ne tombions pas ou plus dans les pièges de certains revers et situations conflictuelles suicidaires pour tous ? N’est-ce pas venu le moment pour nous, de nous mirer dans la glace, pour bien apprécier les images et autres reflets qui nous sont renvoyés ! Et s’ils sont sincères, les participants, et tout particulièrement les constituants encore en vie devraient alors se reprocher des choses. Et je suis certain qu’ils ont une conscience qui ne les absoudrait pas forcément, par rapport à leur manque de sagacité, de vision convaincante et d’anticipation, en rédigeant la toute première Constitution de l’ère du renouveau démocratique.
Ils auraient été bien éclairés et inspirés que cette Constitution ne recèlerait pas des dispositions qui soient sources de tension et de poison lent pour tout un peuple ! L’arsenal juridico politique devrait être tel que, face à certaines dérives pouvant déstabiliser ou faire écrouler le système sociopolitique servant de soubassement à la République, mieux au pays, tous les citoyens, – dans leur grande majorité – demeurent de véritables républicains et patriotes pour qui, c’est d’abord la nation, c’est le pays avant tout. Le cas récent des États-Unis d’Amérique où des Républicains ont désapprouvé ouvertement leur candidat contestataire, – Donald TRUMP battu par Joe BIDEN, lors de l’élection présidentielle de novembre 2020 –, est très édifiant. Et plus qu’édifiant, salutaire et réconfortant, c’est un symbole. Un symbole lourd de sens qui interpelle et vaut leçon de patriotisme.
Autant dire que, face à l’amer constat de la perte des valeurs, du sens du symbole et du patriotisme, n’est-il pas temps que nous nous arrêtions, pour nous poser des questions sur les véritables causes de ces remises en cause perpétuelles et récurrentes auxquelles nous assistons dans notre pays ?
Le chanteur béninois Vovo Vilaup n’a-t-il pas raison de déplorer dans l’une de ses chansons célèbres que “quels que soient les régimes et les dirigeants, nous ne sommes jamais satisfaits !”
Car ce n’est pas parce que certaines gens évoquent, répètent et chantent à tue-tête donc de quinquennat en quinquennat “les acquis de la conférence nationale”, qu’il faut leur donner le bon Dieu sans confession. Ce ne doit nullement être le “Magister dixit”. De sorte que leurs pensées et points de vue soient nos références par rapport aux réels acquis que nous devrions avoir, au terme de l’historique Conférence Nationale des Forces Vives de la Nation (!?). Et conclure que sur bien des plans, les participants à cette Conférence-là sont passés à côté de la plaque, c’est peu dire. Ne prenons donc pas des vessies pour des lanternes. C’est mon point de vue. C’est ma conviction !
Par Jacques O.H.S. AYADJI
Ingénieur des Travaux Publics, spécialiste en contrôle des travaux routiers ;
DESS en Génie Sanitaire, certifié en Leadership et Habileté de Direction ;
Chevalier de l’Ordre National du Mérite du Bénin.