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La politisation de la justice béninoise fait réfléchir le le Dr du droit publique Stanic Adjacotan

Publié le jeudi 8 avril 2021  |  aCotonou.com
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© Autre presse par DR
Stanic ADJACOTAN,Dr en droit public et Chargé d’enseignement à l’Université Sorbonne Paris Nord
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Le Docteur en Droit public et avocat au Barreau de Paris Stanic Adjacotan, a publié une tribune sur l’actualité qui agite la Cour de Répression des Infractions Economiques et du Terrorisme (CRIET) au Bénin.


Lire-ci dessous l’intégralité de sa réflexion



Justice politique et justice de droit commun, dans quelle case mettre la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (CRIET) ?
Au détour du visionnage d’une interview de la célèbre avocate Gisèle HALIMI diffusée par le média en ligne Brut, j’ai été particulièrement touché par la froide distinction que fait cette figure emblématique des prétoires entre une justice politique d’une part et une justice de droit commun d’autre part. Pendant mes années à la faculté de droit et de science politique de l’Université d’Abomey-Calavi et plus tard à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, je n’ai jamais entendu de la bouche d’un enseignant de procédure pénale ou civile l’idée que la justice puisse faire l’objet d’un détournement politique. Est-ce par pure pudeur que ces enseignants se réservent-ils de nous dire que la justice pouvait être politisée au point d’être un instrument aux mains de politiciens sans scrupule et peu soucieux des procédures et des libertés individuelles des citoyens ? Pourtant, l’histoire de l’humanité regorge de tant d’exemples de tribunaux d’exception dont la mission fut de liquider les vaincus d’une guerre !
En somme, l’idée d’une justice politique n’est absolument pas une chimère. Entre l’immense majorité des magistrats des cours et tribunaux qui triment pour dire le Droit d’un côté et la constitution d’une petite troupe de magistrats chargée de traquer des cibles nommément désignées par les pouvoirs politiques de l’autre, la remarque de Maître HALIMI remet en lumière l’actualité judiciaire de la Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme.
Mais avant tout, qu’est-ce qui peut être regardé comme une justice politique ? La question est aussi récurrente que les usages de cette notion sont contrastés. Le recul de l’histoire peut être un point d’appui pour tenter une rapide clarification. À y voir de plus près, tout début de réponse est conditionné par le régime politique où l’évocation d’une justice politique apparaît. Selon que le pouvoir politique est monolithique ou pluraliste, l’apparition du phénomène de politisation de la justice peut être appréhendée. Otto Kirscheimer, juriste et homme politique allemand qui a fui le nazisme hitlérien rappelait bien que dans l’œuvre de la justice politique, il s’agira d’un « procès criminel d’un adversaire politique pour des raisons politiques » (Political Justice. The use of legal procedure for political ends, Princeton (N.J.), Princeton University press, 1961, XIV, 452p.).
Je suis tenté de dresser ici le portrait suivant d’une justice qui devient politique. Primo, le pouvoir politique s’assurera de recruter certains magistrats qu’il garde sous son contrôle. Secundo, à leur tour, ces magistrats instaureront des procédures proprement arbitraires en assurant aux prévenus, des condamnations défiant toute logique humaine. In fine, la justice qui n’en est plus une devient le bras armé d’un système d’élimination des rivaux politiques. Au demeurant, la justice politique emploie ce qu’on peut appeler la pédagogie de la peur : qui s’y frotte, s’y pique.
La CRIET n’échappe pas à cette lecture. Sans réserve, elle est un instrument qui vient conforter la toute-puissance du régime qui l’a mise en place. Au regard de ses clients de luxe, elle est une force d’élimination et de dissuasion de certains adversaires politiques. Faire croire qu’elle condamne des prévenus du camp de ses fondateurs ne tiendra pas longtemps à un raisonnement logique.
Allons un peu plus loin ! Depuis la création de la CRIET par le législateur béninois, deux choses m’ont particulièrement marqué. Tout d’abord, les récriminations du Barreau béninois quant à l’échafaudage imaginé par le Parlement. Ensuite, le procès de la CRIET devant la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qui a fini par convaincre qu’il s’agissait d’une réforme judiciaire mortifère. Au final, l’instauration du double degré de juridiction par la révision de la loi créant la Cour montre bien que les fondateurs de cette juridiction d’exception n’ont pas mesuré la portée de leur acte.

En armant la CRIET de véritables ‘’guérilleros’’ dont la mission est d’expédier sommairement et punitivement certains citoyens dont le seul tort est de s’opposer à sa vision politique, le gouvernement béninois a fait un choix qui coûtera tôt ou tard cher aux futurs gestionnaires des affaires de l’Etat.
Je doute fort que ces magistrats qui mènent cette ‘’guérilla judiciaire’’ dorment à points fermés quand ils savent qu’ils ont peut-être trahi le précieux serment qu’ils ont prêté de rendre indistinctement la justice au nom du Peuple béninois. La CRIET rend-t-elle dans certains dossiers la Justice au Nom du Peuple béninois ou au nom du Gouvernement béninois ?
A titre de rappel :
Le DOUTE, un maître mot dans le procès pénal habite-il encore les magistrats qui officient à la CRIET ?
La PREUVE, un instrument fondamental dans l’établissement de la culpabilité d’un citoyen retenu dans les liens de la justice a-t-elle encore sa place dans l’office du juge de la CRIET ?
L’AVOCAT, une figure centrale dans l’accompagnement aussi bien des victimes que des prévenus est-il encore utile dans les différentes instances devant la CRIET ?
Grosso modo, si pour certaines catégories spécifiques de citoyens, une convocation à la CRIET signifie dans l’opinion publique une condamnation certaine, alors toutes mes questions ont déjà une réponse. Les condamnations qui ont visé Sébastien Germain Ajavon, Komi Koutché, Valentin Agossou Djènontin, Laurent Metongnon, Reckya Madougou pour ne citer que ceux là portent le germe d’un conflit éthique et moral pour les juges qui ont conduit tambour battant ces procédures à la fois expéditives punitives.
Aucun (e) magistrat (e) ne devrait trouver un sommeil tranquille aux côtés de son épouse ou époux lorsqu’il sait qu’il a potentiellement contribué à condamner un innocent à une peine commandée depuis les hautes sphères gouvernementales. Aucun confort matériel ne devrait justifier la présence de cette petite troupe de magistrats chargée de mener une guérilla judiciaire contre les citoyens.
La matière pénale est une matière éminemment inflammable en ce sens qu’il s’agit de la liberté individuelle des citoyens.
La démission spectaculaire du juge Essowè BATAMOUSSI conforte la thèse de la justice politique. Dans l’interview qu’il a accordée à Radio France internationale ce lundi 5 avril 2021, ce juge officiant à la Chambre des Libertés et de la détention expose clairement la doctrine caractéristique de la CRIET : la commande sur mesure des peines nécessaires à tous les hommes et femmes qui osent avoir une voix politique dissonante dans le pays. Monsieur BATAMOUSSI a été pendant quelques temps, un redoutable soldat d’une juridiction devant laquelle mêmes les plus convaincantes plaidoiries ont toutes les chances d’échouer. Il faut avoir le courage de dire à nos magistrats recrutés pour la traque des opposants politiques que se soumettre à un ordre manifestement injuste et inique fait d’eux des complices d’injustices dont ils ne se remettraient peut-être pas.

Maître Stanic Adjacotan
Docteur en droit public
Avocat au Barreau de Paris


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