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Joël Atayi-Guèdègbé Parle Des Missions D’observation Électorale: « (…) Vous Voyez Aussi Des Déclarations De Complaisance »

Publié le vendredi 16 avril 2021  |  Matin libre
Joël
© Autre presse par DR
Joël Atayi Guèdègbé, acteur de la société civil et président de l’association nouvelle éthique
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« (…) Bon, tout n’est pas d’abord une observation nationale. Son financement reste encore sous la dépendance des Fondations, des chancelleries étrangères pour la plupart. Très peu de nos pays se préoccupent d’appuyer la société civile encore moins des gens qui vont venir les titiller dans le jeu électoral où le flou est parfois permis où tous les coups sont plus ou moins de mise. Donc ça fragilise ce qui aurait dû être un renforcement, une force pour nos systèmes électoraux. Les gens font ce qu’ils peuvent mais être observateur, même être agent électoral, si on n’emprunte pas le chemin de la professionnalisation de la gestion des élections, en cela que j’ai toujours fait partie de ceux qui se sont battus contre des Cena truffées de politiciens et autres qui n’apportent rien d’extraordinaire à la gestion des élections. De la même façon quand on fait œuvre d’être dans l’observation électorale, là je parle au minimum pour les coordinations nationales qui veulent faire un travail sérieux. On n’est pas loin de la déontologie du journaliste. On a des devoirs de recouper l’information, devoir de réserve, de bonne formulation, et puis les lois pour que tout ça soit possible, l’observateur doit être normalement cantonné dans un rôle passif le jour du scrutin ou pendant le processus. Vous ne pouvez pas être un arbitre et toucher à la balle de temps à autre. Vous serez tenté de mettre le but d’un côté ou de l’empêcher de l’autre. L’observateur est quasi un arbitre informel. Et c’est pourquoi on résume souvent l’observation en cette formule « Regarder, regarder scrupuleusement, noter pour témoigner ».

Quand vous ne pouvez pas être un arbitre et toucher à la balle de temps à autre. Vous voulez dire quoi concrètement ?

Alors, ne pas être tenté de prendre parti, de vouloir pencher pour un camp ou un autre. Nous sommes des humains ; donc il faut travailler et élever un haut niveau d’impartialité, avoir les réserve qu’il faut pour ne pas se laisser entraîner par des gens plus malicieux qui ont un agenda bien précis. Donc, vous formez les gens, vous les déployez pour pouvoir rapporter les indicateurs, en tout cas des éléments d’information. Il y a énormément d’indicateurs. Et c’est là qu’on se pose la question des objectifs d’une Mission d’observation. Une Mission d’observation peut constituer à voir : si les gens sont bien formés, point final. Donc, elle n’a rien à dire sur les résultats. Ce n’était pas l’objectif. Mais, à contrario, une autre peut s’intéresser aux résultats, à la manière dont c’est arrivé, dont on a compté, est-ce qu’on est allé faire le dépouillement loin de l’endroit où on a voté. Déjà ça crée des risques de distorsion. C’est pourquoi nous avons une loi électorale au Bénin qui est très transparente mais qui est très mal mise en œuvre, qui est encore très peu exploitée par nos politiciens. Malheureusement…Parce qu’à travers le délégué, le représentant du candidat qu’on voit, vous avez un observateur avec en plus le pouvoir de faire des remarques au président de bureau de vote, exigées séance tenante des corrections, de faire inscrire au procès-verbal, des réclamations. L’observateur lui n’a même pas ce pouvoir-là. Mais d’où nous vient-il puisque nous conférons toujours à l’observateur un pouvoir qu’il ne saurait avoir. Donc l’observation en réalité est un accompagnement du processus électoral pour en voir la conformité avec ses standards. Est-ce qu’il y a assez de bulletins de vote pour tout le monde, est-ce que les gens ont la sécurité qu’il faut pour voter tranquillement, sincérité ; est-ce que ce qu’on a mis dans l’urne c’est ça qui ressort sous forme de résultat. Donc il y a des choses comme ça qui vous permettent de conclure que ça s’est bien passé globalement. Vous pouvez voir la plus grosse faute, sachez qu’en principe si la Cour constitutionnelle fait bien son travail, ce poste de vote sera isolé. Un poste de vote qui fait à peine 500 personnes sur 15000 à 16000 postes de vote et 5 millions d’électeurs. D’où peut-être la formule trop convenue « les irrégularités observées ne sont pas de nature à entacher la transparence et la crédibilité du scrutin ». Peut-être qu’elle est utilisée trop commodément. Mais il faut documenter ce qu’on dit. Si vous venez à vingt observateurs internationaux, vous allez pouvoir observer combien de bureaux dans la journée et dire significativement quoi par rapport aux nationaux qui font l’effort d’être cent, deux cents. L’autre fois, on était à 1400, et là il faut les déployer assez intelligemment statistiquement. Par exemple nous, au niveau de la Plateforme électorale des Osc, on a compris que la violence serait un enjeu. Ce qu’on a anticipé de plus par rapport à 2019 où nous savions que deux partis qui se réclamaient du soutien du chef de l’Etat ne pouvaient pas être significativement concurrents. En tout cas, il n’y avait plus de pluralisme. Donc on a déporté, nous notre objectif sur le taux de participation en 2019. C’était ça. Et on constate que désormais, c’est un enjeu politique. Ce qui paraissait anodin a commencé par prendre une importance : au nom de quoi ils vont dire que c’est faible ; vous avez vu pour les Communales comment la Céna a redressé, peut-être à bon droit. Mais la Cour constitutionnelle, certainement plus, à bon droit parce qu’elle a le pouvoir d’annuler tels résultats. Et on annule toujours du plus petit vers le plus gros. Donc par bureau de vote. Personne n’a envie de recommencer des élections. Vous voyez toute l’énergie qu’on démène là pour arriver à ça. Les internationaux qui sont venus, vous allez les faire revenir quand ? Comment ? Même s’il n’y a pas les internationaux. Le système est tel qu’on essaie toujours de circonscrire et de prendre ce qui est significatif à la marge. Après, certains ont compris l’intérêt d’avoir des gens qui participent d’une manière ou d’une autre à une élection. De la même façon (…) ont compris en Afrique et ce sont dit est-ce qu’on ne peut pas s’entendre avec les observateurs pour des certifications complaisantes. Et ça, ça s’est développé effectivement sur le continent africain.

Et quand on certifie une élection, ça apporte quoi au gouvernement ou à l’Etat du pays organisateur ?

Avant ça faisait bien qu’une Mission de l’Union parlementaire internationale du Parlement européen ou des députés américains de la Chambre des représentants vienne dire oui l’élection s’est très bien passée, félicitations et autres. On a quand même la paix de côté-là avec des gens qui ont des moyens de pressions sur vous. Les gouvernements font aussi attention à leur image.

Donc c’est pour paraître aux yeux de la Communauté internationale ?



Oui, c’était d’abord ça. S’ils ne peuvent pas les acheter et qu’ils ont des citoyens qui disent qu’ils font de l’observation, ils essaient de trouver un groupe d’observateurs qu’on présente comme internationaux ; je vais faire vite en disant que c’est de la « racaille » en général, qu’on entretient, qu’on gave dans les hôtels, qu’on promène partout sauf là où ils doivent aller, et puis on a les déclarations préétablies et de complaisance.

Alors, à l’évaluation puisque l’objectif c’est d’améliorer les processus électoraux, est-ce que ces Missions d’observation, que ça soit de la société civile ou des institutions sous régionales, continentales et internationales nous ont permis de gagner quelque chose ?

Oui, on peut gagner. Je ne dis pas tout de go qu’on a gagné à tout prix. Je nuance. Je prends la formation des agents électoraux. Je l’ai toujours dis, moi quand j’étais à la Céna, tout en tant Chargé des résultats, j’ai demandé à prendre la formation, prendre le maillon faible du processus électoral, enfin de l’organisation. Si le président du bureau de vote ne fait pas ce qu’il a affaire, c’est foutu. Comment faire les plis pour que ce qui doit aller à la Cour constitutionnelle y aille et qu’on ne perde pas de temps à chercher des résultats de telle localité, de tel bureau. Donc si vous mettez l’accent sur la formation, vous avez déjà énormément gagné en qualité. Un agent électoral qui ne signe pas, et on a connu ça au Bénin, parfois il ne savait pas. Mais d’autres, sciemment refusaient de signer parce que le résultat n’était pas favorable à leur candidat. Donc ils pensaient qu’en faisant ça, ça allait tout annihiler. Donc il a fallu en tirer des leçons et arriver à dire même si quelqu’un ne signe plus désormais, il va devoir en répondre devant la justice. Ou bien même si on ne signe pas que c’est valable. Un exemple de leçon qu’on peut tirer et d’amélioration qu’on peut essayer de mettre en place. Le bulletin unique de vote est une proposition éminemment issue des Missions d’observation de la société civile, pour la sécurité des électeurs parce que quand on fait les bulletins multiples, vous prenez de l’argent pour voter pour quelqu’un. Et pour en apporter la preuve, vous devez ramener les bulletins non utilisés ou alors même si vous ne le faisiez pas, les bulletins non utilisés traînant par terre on pourrait déjà comprendre ce qui a été majoritairement utilisé dans une localité et ce qui n’a pas été utilisé. Et les représailles se mettaient en place contre ces populations. En 1996, la garde présidentielle a voté massivement voté contre le président Soglo. Ça paraissait bizarre. Pour les militaires, il est dangereux qu’on connaisse leur tendance politique dans un pays. Donc on en a rapidement tiré leçon au Bénin en disant plus de bureau de vote dans les casernes, dans les lieux publics. Et souvent c’est à l’issue des Missions d’observation, dans les recommandations qu’il y a ces choses. Si le législateur veut, il enclenche le processus de correction. S’il ne veut pas on va faire du surplace encore. La Commission électorale, si elle est de longue durée, il y a plus de chance qu’elle rencontre le plus de parties prenantes et arrive aussi à faire son plaidoyer pour dire si vous libeller la loi de telle manière ça nous complique la tâche. Donc les Missions d’observation, à mon avis, quand elles sont bien faites, aident à améliorer le processus, à le corriger, à tirer des leçons. Je prends l’encre indélébile. Je me suis retrouvé dimanche à faire une petite leçon au président du bureau de vote parce qu’il l’appliquait mal. Je dis mais vous allez favoriser la fraude telle que vous le faites. Il le faisait directement sur l’ongle. Ce n’est pas comme ça. Ça doit imbiber entre la chair en dessous de l’ongle et l’ongle ; c’est là qu’on doit loger l’encre si elle est de bonne qualité. Vous avez vu, dans le pré estampillage que les gens ont fabriqué, on a beau mettre le bulletin unique de vote ça règle en partie le problème de la sécurité mais ça n’empêche pas la fraude. On arrive à voler un bulletin authentique, on arrive à faire le cachet, on vote là-dessus, un électeur vient prendre, met ça sous son boubou, il va prendre le bulletin officiel qu’il ne va pas utiliser. Il utilise ce qu’il a amené du siège du parti et il ramène le bulletin vierge, authentique et on continue de pré estampiller pour être sûr que l’électeur acheté ne va pas faire autre chose. Donc tant qu’on n’arrive pas à briser cette chaîne, cette fraude va fonctionner tranquillement toute la journée. Et tant qu’on n’exige pas la pièce d’identité, la signature et autre là, en l’absence des gens, c’est un jeu d’enfant que de mettre le pouce partout pour dire qu’on a voté. Vous venez, on dit quelqu’un est déjà venu même si vous n’avez pas de l’encre vous ne pouvez plus rien. Donc le système reste encore ouvert à la fraude et c’est en principe le rôle des Missions d’observation d’attirer encore plus l’attention sur les verrouillages qu’il faut faire pour en assurer l’intégrité.

Donc vous n’êtes pas ceux qui pensent que vos rapports, vos recommandations ne sont pas prises en compte et qu’il faut arrêter.

Ah non, vous pouvez les faire et on peut ne jamais les prendre en compte. Entendons-nous bien. Mais vous voyez aussi des déclarations de complaisance. Vous avez écouté un peu tous ces pays-là qui ont fait leur élection récemment. Donc les gens qui viennent, ne se battent plus outre mesure pour rappeler aux Etats qu’ils viennent visiter les standards qu’il faudrait pour des élections correctes. Il y a parfois un renoncement parce que les gens ont décidé d’être des mercenaires, de prendre des valises d’argent ou d’espérer que de retour chez eux leur gouvernement qui les a envoyés….pour la Cedeao, c’est le gouvernement qui pourvoit en partie. Déjà, c’est un peu mal partie. Si les gens oublient qu’ils viennent pour aider un pays à se regarder dans le miroir et à essayer de s’améliorer ; c’est pourquoi il faut faire des séminaires, des ateliers post électoraux pour essayer de comprendre qu’est-ce qui n’a pas marché. Quand on dit transport par les militaires, jusqu’à quel point le militaire assure la sécurité ? Moi, j’étais dans la Céna où on a voulu imposer le transport militaire pour des raisons soient disant économiques. A l’arrivée, on a vu que les camions consommaient plus parce que c’était de vieux camions. Politiquement, le militaire n’obéit qu’à son chef. Nous avons demandé au Général Boni de nous laisser les camions et les chauffeurs vont conduire. Il a dit non, vous n’avez encore rien compris. Le camion même est une arme pour le militaire et pour l’armée. Donc quand vous êtes avec ces gens, priez pour qu’ils ne reçoivent pas l’ordre de détourner les camions vers les camps militaires. Et quand on va là-bas, il n’y a plus de tranquillité, il n’y a plus de liberté. Ça suffit déjà pour déclarer que le scrutin a été entaché sérieusement dans les principes fondamentaux. Quand les gens n’ont pas eu d’isoloirs corrects qui les protégeaient, quand sciemment on a un peu ouvert pour voir ce que faisait l’électeur, dans cette zone-là, il ne faut plus accorder du crédit à ce qui en est sorti. Donc quand courageusement, méthodiquement surtout, on arrive à établir ces faits, ceux qui savent, savent qu’on les a vus à l’œuvre.

Nous, en 95-96, tout en étant observateurs, on était les supplétifs de la Céna. On ne demandait même plus notre avis, on nous prenait d’autorité pour aller former les gens, les accompagner. Même arrêter les résultats. Quand on demandait à partir, le représentant de la Céna disait : ils vont me foutre du n’importe quoi, pardon restez. Voilà. Presque de l’engagement citoyen. Pour moi, ça doit être de l’engagement citoyen. »



Propos recueillis par Jacques BOCO
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