Docteur en sciences politiques, président de l’Association béninoise d’études stratégiques et de sécurité (Abess), Oswald Padonou livre ici son appréciation sur l’actualité qui défraie la chronique au Tchad. La mort du maréchal Idriss Déby au front et les conséquences de cet événement tragique sur son pays et dans la région sont évoquées à travers le prisme du spécialiste des questions de défense et de sécurité.
Êtes-vous surpris par le décès subit de Idriss Deby Itno ?
On est toujours surpris par la mort d’un être humain. A 68 ans, le président Déby n’était pas assez vieux pour mourir même s’il a dépassé la moyenne d’espérance de vie à la naissance au Tchad qui est de 54 ans en 2019.
Comment appréciez-vous les conditions de la disparition du maréchal Tchadien ?
Comme souvent en Afrique, les circonstances d’une mort et celle d’un Chef en particulier donnent lieu à des controverses et à toutes sortes de versions alimentées parfois par les thèses complotistes et de plus en plus par les fake news et les deepfake.
Je m’en tiens à la version officielle. Surtout que chacun sait que le président Déby est un soldat et un président habitué à commander près de ses hommes. Sous le feu, la mort est une hypothèse de travail pour les militaires ; pas un banal accident de travail.
Le 6ème mandat déjà dans la poche du maréchal et qu’il n’a pas pu entamer était-il le mandat de trop ?
Sans doute, un mandat de trop. L’alternance est indispensable à la vitalité démocratique. Le renouvellement des dirigeants est aussi le marqueur d’une société en mouvement. Ce qui n’est pas le cas du Tchad dirigé depuis 30 ans par le président Déby dans un contexte où la violence est la régulatrice majeure des contradictions politiques et sociales.
La thèse d’un coup d’Etat à l’interne vous paraît-elle plus plausible que celle d’une blessure fatale provoquée par les tirs des rebelles ?
Le coup d’État est patent. Les mécanismes de succession prévus en cas de vacance de pouvoir n’ont pas été respectés. La constitution et les institutions sont suspendues. Formellement, c’est un coup d’État militaire. Ceci dit le pouvoir réel était déjà aux mains des militaires qui le conservent. Faut-il le rappeler, le Tchad est le pays les plus militarisé d’Afrique avec un tiers de son budget consacré aux dépenses de sécurité.
D’aucuns imputent ce décès à la France qui aurait lâché un de ses plus fidèles alliés donnant ainsi le feu vert aux rebelles...
Une simple vue de l’esprit. La complexité de la configuration politique et militaire n’admet pas de type d’analyse simpliste et paresseuse qui reste fragile à l’épreuve des faits et de l’histoire quand bien même la France est l’acteur extérieur majeur au Tchad avec notamment le QG de la force Barkhane qui se trouve à Ndjamena.
Comment entrevoyez-vous sa succession ? Sera-t-elle identique aux cas congolais et togolais ?
La succession a déjà consacré la désignation du Général Mahamat Idriss Déby à la tête du Conseil Militaire de Transition (CMT) dont la légitimité est contestée par les partis politiques et la société civile. Reste à voir de quels leviers ils disposent pour inverser le rapport de forces sachant que les enjeux sécuritaires relatifs à la lutte anti-terroriste restent la priorité des puissances étrangères telles que la France et les Etats-Unis.
Mahamat Mahdi Ali, le rebelle qui tient les rênes du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact) va-t-il se rétracter ou au contraire poursuivre son offensive sur N’djamena ?
Les rebelles disent ne pas fermer la porte à une initiative de dialogue mais il n’y a pas de perspective de renonciation sans condition à la poursuite de l’offensive militaire. C’est davantage l’attitude de Paris qu’il faut scruter. Va-t-elle continuer à s’abstenir d’intervenir directement ? Je pense que c’est improbable. La mort de Déby change la donne.
D’un autre côté, la disparition tragique de Idriss Deby n’ouvre-t-elle pas un boulevard pour les groupes terroristes de la région qui pourront désormais s’emanciper au grand dam des populations ?
Le président Déby laisse un pays économiquement faible, politiquement instable et socialement divisé mais une armée aguerrie et relativement bien équipée et entraînée. Même si la gouvernance du secteur de la sécurité n’est pas des plus modernes.
La relève est assurée et les groupes armés terroristes qui croisent le fer avec cette armée savent de quoi elle est capable.
Le gouvernement de transition composé uniquement d’officiers supérieurs de l’armée qui du reste a été formé dans la précipitation a-t-il des chances de prospérer ?
Je pense que les choses ne resteront pas en l’état. Il y aura des évolutions. Une transition a commencé mais ses contours seront davantage définis dans les prochaines semaines.
Cette fin de règne tragique aura-t-elle des incidences en Afrique centrale et au-delà ?
Oui. Le Président Déby et son pays jouent un rôle majeur dans la stabilité du bassin du lac Tchad, au Sahel et en Afrique centrale. On ne remplace pas un tel allié du jour au lendemain. L’échiquier sera recomposé. Espérons pour le meilleur ! Pour la paix, la stabilité et le progrès économique et social.