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Apocalypse de la démocratie béninoise: « Ce qui ne va pas… », selon Richard Boni Ouorou

Publié le lundi 26 avril 2021  |  Matin libre
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© Autre presse par DR
Lutte contre la pandémie du coronavirus au Bénin : Richard Ouorou Boni offre du matériel à la presse
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Lire sa lettre ouverte à Patrice Talon

Montréal, QC, Canada,



26 avril 2021

Monsieur Patrice TALON

Président de la République

Chef du Gouvernement

Chef de l’État, Chef suprême des Armées

Présidence de la République du Bénin

Gouvernement du Bénin



Objet: Apocalypse de la démocratie béninoise

Monsieur le Président,

En écoutant le petit discours que vous avez prononcé de votre castel personnel le 15 avril dernier — une allocution décontractée devant votre cour et vos sous-fifres —, je n’ai pas tant été surpris par votre aisance à dire (…) (« une victoire si belle », par ex.) qu’impressionné par votre calme alors que la démocratie béninoise venait sous votre conduite d’être sordidement violée.



En fait, Monsieur le Président, vous respiriez la satisfaction coupable de celui qui a vu son coup réussir et qui feint la spontanéité pour suggérer qu’il a fait preuve de fair-play dans sa course vers la victoire. La réalité de la campagne électorale, on le sait, montre le contraire (parrainage d’élus), mais, bon, il était presque charmant de vous entendre manier l’euphémisme et les appels conciliants, tout comme on pouvait être porté, face à tant d’assurance de votre part, à conclure à un sacre mérité. D’ailleurs, en la jouant modeste et convenue, sans grandiloquence, flattant les forces de sécurité au passage et usant juste (…), vous avez été bien près de paraître magnanime en cette belle soirée mondaine. Votre sortie aurait donc pu être crédible, l’illusion d’être parfaite; elle aurait pu clore de la manière prévue cette grande pièce de théâtre écrite d’avance qu’ont été ces deux dernières années politiques au Bénin (incluant la Présidentielle d’avril), pour rependre l’image de Me Robert Dossou.

Or, Monsieur le Président — j’hésite maintenant à vous appeler ainsi, si je le fais, c’est uniquement par égard à l’institution —, jouer devant le peuple est une chose, se jouer de ce dernier en est une autre. En démocratie représentative, il y a des bornes à ne pas dépasser. S’il est possible de s’y moquer des règles, se moquer du peuple reste plus hasardeux, et c’est justement ce que vous n’avez pu vous empêcher de faire lors de votre allocution.

Même ceux et celles qui on voulu y croire jusqu’à la fin, les naïvement optimistes comme les intéressés, même ceux et celles qui ont partagé votre vision hallucinée d’un Bénin en voie de devenir sous vos ordres le « pays de la concorde et de l’unité, de la paix et de la sécurité », n’ont pu faire autrement que de ressentir de la gêne en vous entendant réduire le drame national qu’est la régression démocratique actuelle à un petit jeu auquel s’amuseraient une poignée de fauteurs de troubles. De la gène aussi après que vous nous ayez prévenus à mots couverts que vous ne laisseriez plus s’exprimer les voix critiques, que vous aboliriez la liberté de conscience au pays : « les tergiversations sont terminées. […] C’est bien de vivre ensemble, mais on devra mettre le doigt sur ce qui ne va pas et agir ».


Mais ces petits malaises et les rires forcés face à votre (…) , Monsieur le Président, ne sont rien, bien sûr, en comparaison de ce qu’a enduré les travailleurs et citoyens du Bénin depuis cinq ans et de ce que vous prévoyez pour eux à l’avenir, soit une pure dictocratie. Voilà le drame national qui se déroule réellement! Voilà où ce n’est plus drôle du tout pour le peuple béninois, que vous remerciez au demeurant et dont vous vous jouez à l’excès en l’invitant candidement à subir en silence (…)

Car ce qui ne va pas, Monsieur le Président, je vais vous le dire. Ce sont tous ces opposants légitimes à votre gouvernement que vous faites ficher comme « terroristes » ou comme « trafiquants de drogue » (sic); tous ces citoyens normaux et engagés qui deviennent subitement des « criminels » aux yeux du système de justice parce qu’ils critiquent votre régime dans ce qu’ Alioune Tine a à juste titre appelé le « naufrage des institutions judiciaires béninoises ».

Ce qui ne va pas, Monsieur le Président, ce sont tous ces acteurs politiques et ces professionnels libéraux que vous forcez à l’exil au seul motif qu’ils ne se plient pas à vos dictats idéologiques ou à vos manœuvres (…) comme ce fut le cas par exemple de Sadikou Alao, menacé d’assassinat et obligé de se cacher pour ne pas être arrêté arbitrairement, ou comme pour le juge Batamoussi, ayant dû fuir à l’étranger où il a révélé à la presse avoir subi des pressions de votre gouvernement (afin d’incriminer sommairement des politiciens qui vous dérangeaient).

Ce qui ne va pas, Monsieur le Président, c’est l’égarement autoritaire de l’État béninois sous votre gouverne sécuritariste et répressive; c’est la dérive liberticide, pour reprendre le terme de Kemi Seba, de toute l’organisation politique et électorale du pays où, fait gravissime, il a été permis à l’armée de tirer sur le peuple lorsqu’il votait… mal.

Ce qui ne va pas, Monsieur le Président, c’est la violence que vous ordonnez d’utiliser sur le terrain contre des manifestants pacifiques, et même contre ceux et celles qui simplement remettent en question vos projets, ne reconnaissent plus votre légitimité présidentielle ou ne font que se présenter légalement et en toute légitimité comme vos concurrents politiques. Pour plusieurs d’entre eux, cela s’est traduit par des arrestations grossières suivies de mises en détention provisoire automatiques ou par un emprisonnement en accéléré. Simulacre d’ordre et de justice, donc, sans raisons valables d’interpellation ni convocations à comparaître pour des personnalités politiques et des militants prodémocratie comme Joseph Tamegnon, Jean Alexandre Hountondji, Ali Houdou, Jean Kpoton, Leopold Glin, Garya Saka, Reckya Madougou, Joel Aivo et bien d’autres, y compris cette jeune opposante pacifiste, Nadine Okoumassoun, « placée sous mandat de dépôt pour des faits d’actes de terrorisme » (sic) alors qu’elle réclamait des élections inclusives et qu’elle vous rappelait pertinemment, Monsieur le Président, que votre premier mandat se terminait le 5 avril 2021 à minuit et non le 11 avril suivant.

Ce qui ne va pas, Monsieur le Président, c’est que vous soyez fier de cette élection de 2021, un exercice où le suffrage a été bafoué par la fraude électorale, l’achat des consciences, le vote multiple, le bourrage d’urnes et l’intimidation sous le crépitement des mitraillettes. C’est que vous croyiez en être sorti gagnant alors que l’immense majorité des citoyens ont refusé de se prévaloir de leur droit de vote en signe de protestation à votre orientation idéologique et à vos méthodes pour conserver le pouvoir, mais aussi parce qu’ils étaient terrorisés. On est le vainqueur de quoi, Monsieur le Président, quand les électeurs boycottent ce sur quoi toute la partie repose?

Ce qui ne va pas, Monsieur le Président, c’est que vous ne comprenez rien à la démocratie alors que c’est vers elle que s’est collectivement tourné le Bénin il y a plus de trente ans. Au lieu de reconnaître la nullité du scrutin et l’illégitimité de votre reconduction au pouvoir puisque la volonté du peuple que vous devez représenter ne s’est pas librement et suffisamment exprimée, vous proposez « d’aller encore plus loin » et mettez le Bénin dans une situation proprement absurde et oppressante.

Où voulez-vous d’ailleurs aller, Monsieur le Président, avec votre programme qui inverse la logique la plus élémentaire lorsqu’il s’agit de faire accéder un pays à la croissance globale et partagée? Un programme sous forme de chantage et selon lequel il faut d’abord développer le pays — les colonisateurs disaient la même chose — pour que l’État puisse ensuite se permettre d’être démocratique. (…) Et le pragmatisme sauce néolibérale n’y change rien : partout l’histoire a montré que sans assises fortement démocratiques les pays pauvres ne progressent pas, ils se clivent et s’enfoncent dans la pauvreté, se font exploiter, augmentent les inégalités socio-économiques, s’exposent à la violence et détruisent leur environnement. Pour quelqu’un qui dit se soucier de l’unité et de l’intégrité du pays, le moins qu’on puisse dire c’est que vous êtes (…)

Ceux et celles « qui vous regardent de loin » ne s’offusquent pas de la dignité du peuple béninois, mais bien de votre (…) à son endroit. La presse internationale et les observateurs extérieurs, dont moi-même, comprenons très bien ce qui est en train de basculer au Bénin. Nous comprenons ce que vous avez fait et ce que vous projetez de faire, Monsieur le Président, et, contrairement aux médias locaux indépendants que vous menacez et châtiez, nous pouvons nous exprimer librement et dire haut et fort quels sont vos manœuvres et vos desseins. Et d’expliquer à tous, y compris aux populations béninoises que vous tentez d’infantiliser, comment vous faites diffuser une propagande complotiste qui travestit l’enchaînement des choses.

Car voici ce qui se passe : en concentrant la richesse, en érodant les droits et libertés, en faussant le jeu démocratique, en paupérisant des régions, en favorisant vos amis, en vous enrichissant personnellement grâce à vos fonctions, en muselant la presse libre, en limogeant des enseignants, en ignorant les revendications syndicales, en emprisonnant vos adversaires, en affamant les travailleurs, etc., vous rendez le peuple mécontent. D’autant plus mécontent que vous choisissez de dénigrer sa volonté de vous faire entendre raison. En réaction, le peuple s’organise, de bonne foi et en toute légitimité, suivant ses leaders populaires et ses porte-parole, lesquels sont alors pris pour cible afin de mettre le feu aux poudres et permettre à votre bras armé de bastonner un maximum de manifestants et d’emprisonner activistes et opposants, taxés du coup d’être « terroristes ». Un scénario classique de l’ère stalinienne où les autorités gouvernementales qui terrorisaient la population accusaient cette dernière de déviance et d’être manipulée par des insurgés terroristes.

Je le vous le redis, Monsieur le Président, il est toujours hasardeux de se jouer du peuple, surtout quand une nation a goûté à la démocratie, en a profité et s’en est attachée. Ce n’est pas à coups de projets d’infrastructure, d’obscurs deals financiers, de réformes despotiques et de records de production cotonnière, encore moins en emprisonnant des hommes et des femmes ne faisant que critiquer votre gouvernance, que vous effacerez de la mémoire collective les rêves et les aspirations nés de 1990, que vous exciserez de l’âme béninoise le désir de justice, de liberté et d’égalité.

S’il y a bien eu une rupture depuis votre arrivée au pouvoir, c’est celle de l’élan démocratique du Bénin, lequel s’est brisé sous le joug de votre autoritarisme et de vos ambitions (…), mais qui peut se requinquer à tout moment grâce à la résistance de ses honnêtes citoyens et des militants des droits de l’Homme.

Seules les brutes épaisses vivent le présent sans le concours d’une mémoire. (Denis Tillinac)

(…)



Richard Boni OUOROU

Politologue et consultant
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