Le premier réflexe de beaucoup de Béninois pour faire face à la moindre pathologie, c’est le recours aux plantes médicinales. Cependant, dans un contexte où les sols sont de plus en plus pollués par des métaux lourds dont le cadmium, faut-il s’inquiéter des revers sur la santé ? Dr Yvette Déguénon, Écotoxicologue démontre les risques et met en garde.
Dr Déguénon, vous êtes une passionnée des plantes médicinales. Pourquoi cet engouement ?
Non seulement que je suis passionnée des plantes médicinales mais de tout ce qui est végétal et apporte un élément dans le bien-être des êtres vivants que nous sommes. Les plantes ont beaucoup de vertus nutritionnelles et thérapeutiques. Beaucoup de travaux scientifiques démontrent les valeurs des plantes médicinales, mais l’environnement de culture de nos jours garantit-il une prévention ou une guérison à travers nos plantes ? C’est une préoccupation qui mérite qu’on y accorde beaucoup d’attention, beaucoup de recherches et surtout la sensibilisation.
Vous avez beaucoup travaillé sur une plante bien connue des populations, le Vernonia ou le « Amanvivè » Quelles sont les richesses que renferme cette espèce ?
Nous avions choisi Vernonia non pas pour infirmer ou confirmer ses valeurs nutritionnelles et thérapeutiques. Car ceci a été démontré par de nombreux chercheurs. Néanmoins, nous sommes intéressés au screening phytochimique des feuilles de Vernonia, parce qu’elle est très riche en antioxydants, flavonones, polyphenols, tanins, saponines, les alcaloïdes etc. Ce sont ces éléments chimiques qui lui confèrent le potentiel thérapeutique.
Les parents attiraient déjà notre attention sur ça indirectement. On ne devrait pas chercher les plantes médicinales n’importe où et n’importe quand. Les faits nous donnent progressivement raisons. Des études que vous avez menées en disent long à cet effet. Que pouvons-nous en retenir ?
Par rapport aux valeurs des plantes, les lieux de culture posent un problème de santé publique à cause du déséquilibre dans le transfert des éléments minéraux du sol vers la plante. Ce déséquilibre est dû aux activités anthropogeniques (usage intense d’intrants chimiques, les composts issus de déchets ménagers non triés, les boues d’épuration et autres, nos champs lointains ne sont plus épargnés avec l’ampleur de l’utilisation des produits phytosanitaires). Nous assistons à la biodisponibilité des éléments non indispensables à la vie des plantes et légumes. Parmi eux nous avions choisi deux le plomb (Pb) et le cadmium (Cd) qui n’interviennent dans aucune activité biologique de la plante ni de l’homme. Leur présence dans l’organisme humain est hautement toxique.
Y a-t-il d’interactions entre le principe actif de Vernonia et ces deux métaux Pb et Cd dans la prévention d’une pathologie ?
L’extrait de la plante contenant ces deux métaux plomb et cadmium présente les mêmes résultats que les extraits de plantes non contaminées. Une satisfaction est donnée du fait que l’objectif visé en utilisant l’extrait est atteint. L’inquiétude demeure par rapport au devenir de nos éléments plomb et cadmium.
Quels sont les organes qui sont les plus exposés à cette contamination au cadmium ?
Nous avions ciblé deux organes dans notre étude. D’autres peuvent y compléter pour des études ultérieures. L’analyse à la spectrophotométrie à flamme montre la présence du Pb et Cd dans le foie et dans les reins des animaux exposés aux extraits contenant ces deux éléments. Il existe une corrélation entre les concentrations des éléments contenus dans les extraits et dans les organes ciblés. L’exposition étant chronique sur une durée de 14 jours, faudrait-il s’attendre à une élimination les jours à venir ? Sous quelle forme se présentent-ils dans les organes ciblés ? La forme chimique (spéciation) définit la toxicité de l’élément. Ce sont des questions auxquelles nous essayerons d’apporter de réponses dans des études ultérieures.
Le Cadmium, cet élément dangereux que vous évoquiez, d’où provient-il ?
Le Cadmium est un élément chimique qui existe dans la nature. Il provient de la roche mère. Il est très mobile comparativement au plomb. La plupart des matériaux électroniques en contiennent. Ce qu’il faut retenir c’est de ne pas contribuer à sa biodisponibilité. Car il peut être présent sans être biodisponible : le pH du sol, contenance en matière organique du sol, la texture du sol. Les apports à travers la technologie et notre participation à la satisfaction d’une de ces conditions font que nous retrouvons des traces de ces éléments dans nos plats, nos macérations, infusions et autres préparations. Il est notifié que le cadmium est cancérigène, mais de nos jours nous nous intéressons plus au traitement qu’aux causes de nouvelles pathologies. Par conséquent, ces éléments sont présents dans nos plats à travers les plantes et légumes. Il faut donc accorder une attention sur comment les éviter.
Que conseillez-vous à nos lecteurs ?
Il n’y a pas une différence physique entre Vernonia contaminé et non. Pareil pour la plupart des plantes médicinales et légumes. Il faudrait qu’il y ait un changement de comportement. Évitons de récolter nos plantes sur des tas d’ordures, les agglomérations polluées, les bordures des voies....Évitons de cultiver tous produits vivriers sur des espaces réservés aux cultures de rentes (cultures de coton et autres qui nécessitent assez de produits phytosanitaires). Apprenons à nous intéresser aux origines de nos produits consommables. Savoir les vertus d’une plante n’est plus suffisante de nos jours. En plus des vertus de la plante, il faut l’étude toxicologique de la plante et l’environnement dans lequel il faut la récolter.
Propos recueillis par Fulbert ADJIMEHOSSOU