Dans des moments de tension, il nous est rappelé très rapidement la limite des corpus de lois qui ne parviennent pas à stabiliser nos processus sociaux—les soumettant à une réinvention perpétuelle à moins qu’ils se flanquent de tradition. Avec la récession démocratique globale, la force des lois dans leur application pourrait ne pas être forcément la solution à nombre de problèmes. Un sage de la république nous manque en ces instants.
Les lois sont sujettes à interprétations et ne peuvent à elles seules garantir les avantages de tous en même temps et en tous contextes. Même dans une sophistication optimale, elles peuvent échouer à consolider et stabiliser nos processus notamment lorsque les excès humains ne sont pas endigués par le contour législatif ou par les volontés tues des populations. Mieux, le légalisme, aussi vertueux qu’il puisse paraître, n’offre pas de garantie de justice, car une loi injuste n’est pas une loi du tout, comme le disait St Augustin.
L’existence de mécanismes internes pouvant servir de soupapes pour régler les conflits dus au fossé qui naît entre les pourfendeurs et les défenseurs du légalisme—qui chacun dans leurs repères peuvent se munir d’arguments pour vaincre sans convaincre—est nécessaire. Dans cette dynamique, souvent un jeu à somme nulle, le gagnant d’une époque devient le perdant d’une autre époque, alternant une suite de victoires et vengeances. C’est sûrement une option, pas la meilleure certainement. Heureusement nous avons une seconde option, celle qui abrège ces cycles douloureux et installe un mécanisme interne qui prévient et règle les distorsions des postures légalistes, le tout aboutissant à un jeu dans lequel tous sommes gagnants. Car on peut être légaliste mais pas légitime, légitime mais pas juste.
Pour cela, la tradition est nécessaire. Construction délibérée des Hommes, renforcée par une observance tacite sous le principe accepté de sa sacralité, la tradition avant qu’elle ne heurte le cours normal des sociétés est une diguette au légalisme. Notamment, lorsqu’elle n’entre pas en contradiction avec une loi juste, au sens de St Thomas D’Aquin, qui est de rehausser la condition de l’homme, la tradition peut faire des miracles avant qu’une loi ne la coule dans les textes.
Tenez par exemple, la tradition de la limite des mandats présidentiels aux États-Unis. Avant qu’elle ne cède à l’exception du Président Roosevelt, alias FDR qui en propulse le moulage dans le vingt-deuxième amendement de la constitution américaine ratifiée en 1951, cette discipline a résisté au temps pendant 175 ans après avoir été banalement, mais gravement initiée par Washington lui-même.
Eu égard à la relative harmonie que nous avons connue au Bénin durant les vingt premières années post-Conférence Nationale, j’ai le sentiment que la sagesse de la république reposait quelque part, qui une fois disparue ne s’est pas reconstituée. La relative accalmie de nos vingts premières années de processus démocratique paisible ne serait certainement pas quelque chose qui va de soi, sinon huilée par le ministère de sages de la république que furent Monseigneur de Souza et le Cardinal Gantin. Avec la mort du Cardinal Gantin en mai 2008, le dernier refuge de ce mécanisme est parti, et depuis cherche preneur. Lorsque le Bénin a fait la une de la presse étrangère avec l’affaire d’empoisonnement du Président Boni Yayi, nous avons dû nous exporter vers des conseils de bons offices.
Les potentiels candidats de cet office sont affectés par le biais du présent. Ce ministère de bons offices d’utilité future entre en compétition avec les offres de recyclage actuelles au profit des forces émergentes, soit pour les coacher ou les piloter ou même les diriger. Un tel positionnement peut assurer la continuité des avantages, soit sous forme d’influence, soit monétisés, aux valeureux candidats à ces offices. Il est absolument raisonnable de prendre ce raccourci.
Tous les anciens chefs d’État, qui avec une relative clarté, savent qu’ils ne seraient plus candidats à diriger le pays sont des candidats naturels à ces utilisations meilleures et valorisantes de leur capital social. Pour les autres, cet office requiert à la fois d’être stoïque et engagé pour un altruisme au moins partiel sinon total, tout en dévouant son capital social à construire la confiance, la réputation de relative impartialité et une disposition à exercer l’office.
Dans notre contexte de culture ténue de charité et de manque de donations spontanées, il me paraît que pour le bien commun la puissance publique devrait prendre une part réelle et décisive à inciter les potentiels candidats à assumer l’office. Pour le degré de bonne volonté que cela requiert, il est peut-être incitatif que la puissance publique dote les anciens chefs d’État de fonds, prenant la forme "Endowment" pour créer une académie de leadership ou centres présidentiels dédiés à les inscrire dans un rôle de sages de la république, pouvant servir de soupapes pour les crises que nos lois ne peuvent régler sans laisser des blessures. Devenez sages de la république, les autres postes sont déjà pris !
Boris Houenou, PhD
Économiste