Devenue il y a quelques jours la première femme à diriger la Tanzanie, Samia Suluhu Hassan, colistière du défunt John Magufuli lors des dernières élections, semble pourtant vouloir se départir de son image et de sa gestion. Le problème, c’est que le premier cercle de l’ancien président, encore bien installé dans l’administration, ne l’entend pas forcément de cette oreille.
A Dodoma, si la vie ne semble pas avoir énormément changé depuis la mort de John Magufuli, l’atmosphère pesante irradiée par le pouvoir du « bulldozer » a laissé place à une certaine appréhension. Depuis quelques jours, la présidente Samia Suluhu Hassan suscite des interrogations.
L’ex-vice-présidente de Magufuli gèrera-t-elle le pays comme lui ? A cette question, les premières décisions de la nouvelle femme forte de Dodoma semblent répondre un non retentissant. Pourtant quelques sceptiques appellent à la prudence.
L’ascension de « Mama Samia »
Samia Suluhu Hassan est née le 27 janvier 1960 dans le protectorat de Zanzibar d’un père instituteur et d’une mère au foyer. Elle termine ses études secondaires en 1977 et rejoint en tant que commis le ministère de la Planification et du Développement. En 1986, elle sort de l’Institut de la gestion du développement, devenue depuis université Mzumbe, avec un diplôme en administration publique. Elle travaille ensuite sur une initiative financée par le Programme alimentaire mondial comme cheffe de projet, avant de diriger pendant deux ans l’Angoza, l’association des ONG de l’archipel de Zanzibar. Elle reprend ses études entre 1992 et 1994 et obtient, à l’université de Manchester au Royaume-Uni, un diplôme de troisième cycle en économie.
Débutée il y a quelques années, son ascension dans l’arène politique commence aux yeux du grand public en 2000, lorsqu’elle est élue au Parlement de Zanzibar pour le compte du parti au pouvoir, le Chama cha Mapinduzi (CCM).
Débutée il y a quelques années, son ascension dans l’arène politique commence aux yeux du grand public en 2000, lorsqu’elle est élue au Parlement de Zanzibar pour le compte du parti au pouvoir, le Chama cha Mapinduzi (CCM).
Quelques années plus tard, elle fera son entrée à l’Assemblée nationale tanzanienne. Samia Suluhu Hassan occupera également plusieurs postes de ministre à Zanzibar entre 2000 et 2010.
Elle gèrera notamment les portefeuilles des Femmes et de la Jeunesse, puis ceux du Tourisme et du Commerce. Ayant fait ses preuves à Zanzibar, elle sera ensuite ministre au niveau national à partir de 2014, année où elle est choisie pour diriger le département ministériel des Affaires de l’Union auprès de l’ancien président Jakaya Kikwete. Parallèlement, elle obtient durant cette période un master en développement économique communautaire grâce à un programme conjoint entre l’université libre de Tanzanie et l’université américaine du sud du New Hampshire.
En juillet 2015, le candidat du CCM, John Magufuli, la choisit comme colistière pour l’élection présidentielle faisant de Samia Suluhu Hassan la première femme à jouer ce rôle. Ils sont élus et elle deviendra la première femme vice-présidente de l’histoire de la Tanzanie.
Destinée à travailler dans l’ombre du président, celle que les Tanzaniens surnomment affectueusement « Mama Samia » deviendra le visage du pays à l’extérieur. En effet, elle représentait fréquemment John Magufuli à l’étranger et est donc bien connue de la communauté internationale.
Celle que les Tanzaniens surnomment affectueusement « Mama Samia » deviendra le visage du pays à l’extérieur. En effet, elle représentait fréquemment John Magufuli à l’étranger et est donc bien connue de la communauté internationale.
Lorsque le président décède, quelques semaines après avoir été réélu haut la main, et qu’elle le remplace en mars 2021, les chancelleries n’ont pas affaire à une inconnue. Ils ont plus collaboré avec celle qui est désormais la première femme présidente de l’histoire de la Tanzanie qu’avec son prédécesseur.
Rupture avec la méthode Magufuli ?
Dans un discours public, elle avait évoqué une certaine incompréhension de l’action du chef de l’Etat avant de saluer son projet de développement du pays. « Lorsque vous avez commencé à œuvrer en tant que président, beaucoup d’entre nous ne comprenaient pas ce que vous vouliez réellement. Nous ne savions pas où vous vouliez aller. Mais aujourd’hui, nous connaissons tous vos ambitions pour le développement de la Tanzanie », avait-elle déclaré. Les médias ne tardent pas à faire le lien entre ces déclarations et une rumeur de 2016, démentie par communiqué officiel, qui avait annoncé la démission de Samia Suluhu Hassan pour opposition à la méthode Magufuli. Pourtant, après la mort de ce dernier, la nouvelle présidente semble engagée à offrir un visage différent.
Exit les interdictions d’opérer pour les médias privés et les sanctions en cours. La presse locale salue alors cette main tendue tout en restant sur ses gardes. Mais le plus étonnant reste quand même le revirement à 180° concernant la gestion de la Covid-19. Alors que John Magufuli préconisait les prières et mettait en garde contre les vaccins, Samia Suluhu Hassan veut gérer la pandémie d’une manière plus scientifique. « Il n’est pas bon d’ignorer la pandémie. Nous ne pouvons la rejeter ou l’accepter sans les conclusions de la recherche scientifique. Elle nous en dira plus sur la pandémie et nous conseillera sur ce que le monde propose. Nous ne pouvons pas tout accepter les yeux fermés, mais nous ne pouvons pas non plus nous isoler comme si nous étions une île, tandis que le monde avance dans une tout autre direction », a déclaré la présidente tanzanienne. Assez pour croire en une rupture avec la gouvernance Magufuli ? Certains restent sceptiques.
« Nous ne pouvons pas tout accepter les yeux fermés, mais nous ne pouvons pas non plus nous isoler comme si nous étions une île, tandis que le monde avance dans une tout autre direction »
« A ceux qui s’attendent à une rupture avec le style Magufuli, je vous dirais de retenir votre souffle pour le moment. Avec une base beaucoup plus faible dans l’administration qui sera au final toujours contrôlée par le clan Magufuli et les services de renseignements, la présidente aura du mal à construire sa propre base et des rivalités entre factions vont émerger », avertit l’analyste tanzanien Thabit Jacob, chercheur à l’université de Roskilde, au Danemark.
Qu’à cela ne tienne, la nouvelle femme forte de Dodoma n’est pas de nature à se laisser marcher sur les pieds. « J’ai peut-être l’air polie et je ne crie pas quand je parle, mais la chose la plus importante, c’est que tout le monde comprenne ce que je dis et que les choses soient faites comme je le dis », avait-elle rappelé en 2020.