Dans la partie méridionale du Bénin, entre l’océan et la lagune côtière, les écosystèmes de mangroves gagnent de l’espace, après deux décennies de dégradation. Au cœur de la bataille des chercheurs, défenseurs de l’environnement et populations autochtones, l’écotourisme, la protection de la biodiversité et la lutte contre le réchauffement climatique.
Togbin, à quelques kilomètres de Cotonou en direction de Ouidah. Aux abords de la route des pêches qui sépare l’océan de la lagune côtière, des ilots de forêts, pas comme les autres, accrochent. Cependant, la plupart des usagers ne savent pas grand-chose de cette végétation sombre et touffue avec une allure forestière. Gédéon Amouley, la trentaine prend le temps de mieux découvrir les échasses de palétuviers et la ronde des oiseaux au-dessus. « C’est vraiment exceptionnel », confie-t-il.
Pourtant, pour les autochtones de cette localité de la commune d’Abomey-Calavi, la plus peuplée du Bénin, ces écosystèmes valent plus qu’une simple végétation. Ils se battent pour sa conservation dans l’espoir d’en faire un fleuron de l’écotourisme.
Dans l’aire communautaire de conservation de la biodiversité (ACCB) de Togbin-Adounko, nous avons rendez-vous avec Gérald Djikpessé. Gérant de l’aire communautaire, il veille au moindre détail. « Vous ne devez pas normalement venir jusqu’ici avec votre barque motorisée. Le bruit repousse certains animaux qui nous sont précieux », nous reproche-t-il d’un ton amical mais sérieux avant de continuer. « Nous avons beaucoup d’espèces rares dont le singe à ventre rouge et beaucoup d’autres richesses de la biodiversité. Nous avons maintenant compris que les mangroves sont des formations végétales très importantes pour nous, qu’elles peuvent nous aider à développer l’écotourisme. Ça permet aux poissons de se reproduire, de grandir sans être pêchés par certains oiseaux. En plus de tout ceci, ça purifie l’air », explique notre guide.
La ballade, à coups de pagaie, permet de mieux découvrir le cœur de l’île d’Adounko et de ses mangroves. En plus de vendre sa culture, ses traditions et son histoire aux visiteurs, Adounko veut miser sur ces forêts côtières qui lui servent de rempart. « On espère gagner beaucoup avec le développement du tourisme », espère Gérald Djikpessé.
De profonds attachements
Ici, l’attachement est si profond qu’à Abomey-Calavi l’espace que couvrent ces forêts côtières a augmenté de 22,15 ha en 2005 à 159,3 ha en 2015, selon le rapport d’inventaire des écosystèmes de mangroves et des zones humides côtières du Bénin publié en 2018. Mais à Grand-Popo, à moins de 100 km de Cotonou, vers la frontière Bénin-Togo, l’attachement est encore plus singulier. Cette commune prisée pour l’écotourisme a aussi gagné des points faisant passer la superficie de 5.808 ha à 7.882 ha en une décennie.
La gestion participative et la sacralité en sont pour quelque chose. Nous en saurons plus quand notre barque échoua au cœur de la réserve de la Bouche du Roy, du nom de l’embouchure située à quelques kilomètres de Grand-Popo. C’est un site mythique de 9678 ha dont les mangroves constituent l’une des principales attractions. Jadis menacée par les coupes sauvages, l’île aux oiseaux, située dans le village d’Allongo sur une superficie de 2 ha, est très animée. On assiste à une ronde incessante de différentes espèces d’oiseaux migrateurs, les uns au plumage noirâtre et les autres blanchâtres.
Pour Sylvain Davo de l’Ong Eco-Bénin, c’est le fruit de la sacralisation de cette réserve. « Il n’y avait presque plus d’oiseaux. Aujourd’hui, avec la sacralisation vous constatez avec moi qu’ils signent leur retour. Si vous venez ici en hiver, je suis sûr que vous allez vivre un magnifique spectacle », se réjouit-il. Ici, les acteurs de la protection de la mangrove n’ont pas forcément besoin des forces de sécurité publique pour lutter contre les coupes sauvages. Divinité de nuit, seul le symbole du Zangbéto suffit à dissuader les indélicats.
Réduire les pressions, sauver des vies
En réalité, au Bénin malgré leur fragilité les mangroves sont comme les forêts en général sous pressions. La saliculture, les coupes sauvages de palétuviers, l’occupation anarchique des zones humides sont très souvent indexées. Les études par les chercheurs du Laboratoire de Biogéographie et Expertise Environnementale (LABEE) de l’Université d’Abomey-Calavi, le certifient encore plus. Sur la base d’images satellitaires et des vérifications de terrains, le Professeur Vincent Orékan et ses collègues sont arrivés à la conclusion que « la mangrove qui occupait 16,31 % de la superficie du littoral béninois en 2005 est passée à 13,82 % de cette superficie en 2015 ».
De même, le suivi satellitaire de la dynamique spatio-temporelle de la réserve de biosphère transfrontalière du Mono entre le Togo et le Bénin de 1986 à 2015 réalisé par d’autres chercheurs béninois confirme les pressions : un taux de régression des zones humides (23%). Dans la cité historique de Ouidah par exemple, du fait de la saliculture, l’espace que couvrait la mangrove a régressé de 491,53 ha en 2005 à 430,12 ha en 2015, soit une perte de 12%. « A cette allure, nous allons tout perdre, c’est-à-dire les espèces conservées par cette formation. Pire, on aura une pénurie des espèces de poissons qu’abritent les mangroves. De même, les plans d’eau, une fois débarrassés des mangroves, constituent un danger », prévient Professeur Brice Tente, Biogéographe.
Cinq ans après l’interdiction par le Gouvernement de la destruction des palétuviers dans les écosystèmes humides, la pression diminue mais les Ong ne baissent pas les bras au regard des enjeux. « Ce sont des arbres qui de par leurs fonctions aident les ressources halieutiques à pouvoir se reproduire aisément puisque ça sert de zone de frayeur pour leur développement. De par leur attrait, ces plantes accueillent les oiseaux et facilitent l’hivernage entre plusieurs régions », insiste Maixent Ogou, Directeur Exécutif de l’Ong Actions Plus.
En plus d’être des réservoirs de la biodiversité, ces écosystèmes sont de véritables remparts contre l’érosion côtière et constituent selon les études des puits de carbone très prisés. « Au Bénin, nous avons fait des études qui ont montré qu’un hectare de mangroves capte par jour 100 kg de dioxyde de carbone. Cette donnée importante montre que les mangroves sont capitales pour la régulation de l’Environnement », précise Maixent Ogou. Populations et acteurs de la protection de l’environnement l’ont compris. Les campagnes plantation de palétuviers se multiplient le long de la côte béninoise.