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Entretien avec Joël Atayi Guèdègbé: « La Cour des comptes est un gendarme financier »

Publié le mardi 11 mai 2021  |  La Nation
Joël
© Autre presse par DR
Joël Atayi Guèdègbé, acteur de la société civil et président de l’association nouvelle éthique
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Par Isidore Alexis GOZO (gozoalexis6@gmail.com),

Nommée présidente de la Cour des comptes lors du conseil des ministres du mercredi 28 avril dernier, Ismath Bio Tchané Mamadou a la lourde mission de rendre visible et utile son institution. Et ce défi passe par la lutte contre la corruption. A travers cet entretien, Joël Atayi Guèdègbé, politologue et expert en bonne gouvernance, souligne qu’il n’y a pas de démocratie sans reddition de comptes, notamment des comptes financiers et que le rôle de la Cour des comptes est de veiller au bon emploi des fonds publics.

La Nation: Pourquoi une Cour des comptes ?

L’idée d’une Cour des comptes n’est pas nouvelle. A tout le moins, le Bénin disposait déjà d’une Chambre des comptes qui était prévue par la Constitution. A partir de 1994, vu l’adoption du traité de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) avec l’addition du volet économique et suite à la dévaluation de janvier 1994, il était devenu important pour les Etats d’adopter les moyens qui permettent de mieux assurer la convergence des économies des huit pays membres et de se surveiller mutuellement, parce qu’on ne peut pas mener des politiques économiques sans un instrument de contrôle fondamental qu’est la Cour des comptes. Premièrement, on a la mise à niveau réclamée au niveau communautaire. Secundo, on a la recherche de l’efficacité et d’une meilleure gouvernance dans la gestion et le contrôle des finances publiques. Cela n’est pas allé de soi si bien qu’en 2000, à travers la directive 2, l’Uemoa a rappelé encore à ses Etats membres l’exigence d’une Cour des comptes. L’un dans l’autre, avec la nécessité de la modernisation ou de l’amélioration de l’efficacité, il est apparu nécessaire d’élever la Chambre des comptes au niveau d’une Cour des comptes qui a des pouvoirs et des moyens plus conséquents par rapport à sa mission. Il faut se souvenir que la Cour constitutionnelle actuelle existait également sous forme de Chambre constitutionnelle de la Cour suprême depuis les années 60. Et pour tout dire, elle n’a jamais eu de rayonnement, de rendement encore moins de visibilité tant qu’elle n’était pas sortie de la Cour suprême. Chacun aura noté l’importance qu’a prise la Cour constitutionnelle dans notre dispositif institutionnel depuis 1994 qu’elle a été effectivement installée. C’est un peu avec les mêmes attentes que l’idée d’une Cour des comptes s’est progressivement diffusée et imposée jusqu’à l’avènement de la révision de la Constitution de novembre 2019 qui a consacré, à travers l’article 134, la création de la Cour des comptes et la définition de ses missions.
Quelles sont donc les missions dévolues à la Cour des comptes ?

Je vais vous renvoyer à la Constitution en ses articles 134-3 qui disposent que la Cour des comptes est la plus haute juridiction de l’Etat en matière de contrôle des comptes publics. Elle vérifie les comptes et contrôle la gestion des entreprises publiques et organismes à participation financière ou bénéficiant des fonds publics. Elle est l’institution supérieure de contrôle des finances publiques.
En plus, la Cour des comptes veille au bon emploi des fonds publics. Les décisions de la Cour des comptes ne sont susceptibles d’aucun recours. On voit une analogie avec la Cour suprême et la Cour constitutionnelle. Ses décisions s’imposent aux pouvoirs exécutif, législatif ainsi qu’à toutes les institutions. Il est aussi précisé que la compétence, la composition, l’organisation et le fonctionnement de la Cour des comptes sont déterminés par une loi organique. La loi organique qui a été évoquée à ce niveau a été également adoptée par l’Assemblée nationale, le 31 décembre dernier, et a fait l’objet d’une promulgation. A la vérité, ce texte n’est pas encore disponible mais la Cour constitutionnelle en a fait l’examen de contrôle de constitutionnalité et on attend qu’un numéro lui soit attribué en tant que loi organique. Elle marque que c’est une institution comme les autres institutions de la République.
L’actualité a remis tout ça au goût du jour avec la nomination de la présidente de la Cour des comptes lors du dernier conseil des ministres. L’article 134-4 stipule que le président de la Cour des comptes est nommé pour une durée de cinq ans par le président de la République après avis du président de l’Assemblée nationale et parmi les magistrats, les juristes de haut niveau, les inspecteurs des finances, les administrateurs du trésor ou des impôts, les administrateurs des services financiers, les économistes, les experts comptables ayant au moins quinze ans d’expérience professionnelle par décret pris en conseil des ministres. Il est aussi dit que le président est inamovible pendant la durée de son mandat qui est renouvelable une seule fois. Ses fonctions sont incompatibles avec la qualité de membre du gouvernement et l’exercice de tout mandat électif, de tout emploi public, civil ou militaire ou de toute autre activité professionnelle ainsi que toute fonction de représentation nationale.

Peut-on s’assurer réellement de l’indépendance des membres de la Cour des comptes ?

L’indépendance est une garantie formelle. Un magistrat qui a quinze ou vingt ans d’expérience en a plus vu manifestement et a, a priori, plus d’assurance pour toucher du doigt ce qui ne va pas que quelqu’un qui est en début de carrière. Nul n’est au-dessus de la loi. C’est le rôle de la Cour d’interpeller tout gestionnaire des finances publiques. Les différentes dispositions qui figurent dans la loi font en sorte qu’il y a des garanties d’indépendance pour le président, voire les autres conseillers.
Par rapport à la mission, il y a une indication importante des prérogatives. C’est dans l’idée de l’indépendance de cette Cour que son budget est appelé à être adopté selon les moyens dont dispose notre pays. Il n’est pas question qu’elle vienne réclamer des moyens que notre pays n’aurait pas. Pour assurer l’indépendance de la Cour des comptes, il est crucial qu’elle n’attende pas le bon vouloir du ministère des Finances pour disposer des moyens nécessaires à sa mission. C’est à l’œuvre que l’opinion publique saura si l’institution viendra à bout des attentes et si elle est suffisamment indépendante de l’ensemble des pouvoirs y compris du gouvernement. L’indépendance ne veut pas dire hostilité des institutions mais cela implique une nécessaire collaboration. La séparation des pouvoirs ne peut être absolue mais c’est une manière de s’assurer qu’il n’y ait pas collusion sur le dos du peuple qui est souverain. D’ailleurs, il est dit que la Cour des comptes, à l’instar des tribunaux, rend ses arrêts au nom du peuple. L’accès à la Cour des comptes doit intervenir dans les conditions de qualité, d’excellence et d’intégrité et c’est à travers le mérite qu’on doit se retrouver au sein de cette institution comme dans les corps de l’Etat. Il faut espérer que les nouvelles lois qui seront prises pour compléter les dispositions de la Constitution la renforcent afin que nous puissions avoir un système assez solide, intègre et performant.

Dans l’optique d’avoir un système solide, intègre et performant, quels sont les défis que doit relever la nouvelle présidente de la Cour des comptes ?

La présidente de la Cour des comptes n’est pas toute nouvelle à la tâche. Il y a une forme de continuité dans la mesure où elle était présidente de la Chambre des comptes depuis trois ans. Mais elle arrive à la tête de la Cour, avec de nouveaux pouvoirs et de nouveaux moyens. Elle a la redoutable mission de rendre visible et utile la Cour des comptes. Il est urgent qu’au-delà de sa nomination, la Cour des comptes se trouve rapidement un siège. La loi organique a fixé le siège à Porto-Novo et il faut pouvoir identifier les locaux et qu’il soit assez fonctionnel pour la mission attendue. Les anciens membres de la Chambre des comptes devraient être reversés à l’effectif de la nouvelle Cour des comptes. Aussi, la question de recrutement va se poser. Il y a un certain nombre de décrets à prendre qui touchent notamment à la carrière des magistrats ainsi que le vote d’un collectif budgétaire pour insérer les moyens dont pourrait avoir besoin la Cour des comptes pour le restant de l’année qui vient de commencer. On espère qu’elle pourra se mettre au travail pour le semestre qui vient et aider au vote de la loi du budget de l’Etat. La Chambre des comptes, depuis 1999, a peu ou prou contribué à l’apurement des comptes de l’Etat par les déclarations de conformité, les examens qu’elle fait pour permettre au gouvernement de solliciter l’adoption du budget. Et ce défi attend aussi la nouvelle Cour des comptes. Une Cour des comptes n’est pas qu’un père fouettard auprès des comptables publics mais elle tiendra désormais responsables ces comptables publics. Le public a besoin de savoir ce qui a été fait comme contrôle au sommet de l’Etat et ceux qui les gèrent ont aussi besoin d’accompagnement. Une Cour des comptes a en réalité une mission d’audit.
Il est aussi indispensable qu’une Cour des comptes s’organise pour penser à la question de l’archivage des documents. Non seulement, cela assure la possibilité d’avoir, à nouveau, accès aux documents à la suite des contrôles mais aussi de faire le meilleur suivi possible. Il faut aller vers la modernisation et l’utilisation des moyens informatiques. Ça fait partie des critères qui évaluent la bonne organisation d’une Cour des comptes. A tous les niveaux, la Cour des comptes doit nous donner l’image d’une institution avec des normes élevées de travail. D’ailleurs, on ne risque pas d’avoir suffisamment de conseillers et d’auditeurs pour le travail qui attend une Cour des comptes. A l’occasion, elle est appelée à s’appuyer sur des auditeurs externes ou sur l’audit privé, mais cela ne peut se faire qu’en référence à des normes spécifiques. La Cour des comptes doit être en mesure de garantir que le travail qu’elle fait faire pour rendre compte de la gestion de l’Etat réponde à des normes supérieures de contrôle.
Elle a besoin vraiment que le gouvernement l’accompagne et que l’Assemblée lui accorde les moyens pour que la démocratie aboutisse un tant soit peu à ce niveau de reddition de comptes. Le contrôle a été souvent le maillon faible de notre démocratie. C’est à travers l’installation d’une juridiction supérieure comme la Cour des comptes que notre pays pourra, enfin, commencer à se doter des moyens techniques et institutionnels appropriés à une véritable lutte contre la corruption. Le président de la République doit être félicité pour son courage à mettre en place une institution indépendante comme la Cour des comptes qui rassure les citoyens de ce qu’au sommet de l’Etat et dans les administrations publiques, il y ait une bonne gestion des finances publiques.

N’y a-t-il pas une sorte de concurrence entre la Cour des comptes et la Cour de répression des infractions économique et du terrorisme (Criet)?

La Cour de répression des infractions économiques et du terrorisme (Criet) n’est pas en concurrence avec la Cour des comptes. Elle n’est pas explicitement prévue par la Constitution comme une institution judiciaire, mais elle relève de l’organisation judiciaire en vigueur au Bénin et est instituée par une loi.
C’est une juridiction spéciale et non un tribunal ordinaire et elle prélève son personnel sur les tribunaux ordinaires. La Criet connaît des infractions alors que la Cour des comptes contrôle, fait l’audit, relève les dysfonctionnements et a l’obligation de dénonciation. Pendant les contrôles, la Cour des comptes peut tomber sur des situations de détournement. Il va sans dire que les conseillers de la Cour ont l’obligation de dénoncer ces situations et d’aller vers la demande de sanction. La Cour des comptes prononce quelques sanctions pécuniaires mais transfère aux autres Cours de l’ordre judiciaire ce qui est d’ordre pénal et, selon le cas, cela peut être orienté vers la Criet.
Qui a qualité pour saisir la Cour des comptes ?

La Cour des comptes n’est pas saisissable comme un tribunal ordinaire mais à travers la loi organique, il y a quelques possibilités.
Fondamentalement, c’est elle-même qui définit son programme d’intervention. Au niveau institutionnel, malgré la séparation des pouvoirs, le gouvernement peut saisir la Cour des comptes pour le conseiller en matière de règlementation financière et pour aller plus loin dans certains contrôles.
De l’autre côté, l’Assemblée nationale qui dispose de moins de moyens techniques pour connaître des comptes des sociétés des finances peut aussi actionner la Cour des comptes. Pendant qu’une commission d’enquête est en cours, elle peut demander le contrôle technique de la Cour des comptes. Egalement, elle peut demander conseil à la Cour des comptes sur le plan de la règlementation des lois. En France, aux Etats-Unis et au Canada, les gens tremblent devant le contrôle de la Cour des comptes. Or les contrôles ne sont pas faits seulement pour couper la tête des sujets. En moyenne au Bénin, il y a trois cents comptes à contrôler et il faut un effectif d’une soixantaine d’auditeurs pour faire un travail de qualité. Si nous avons une chambre des comptes squelettique, ça veut dire qu’on aurait une institution vidée de sa substance. C’est vraiment un gros gendarme financier qu’on est en train de mettre en place au Bénin et qui sera beaucoup mieux que les institutions spectaculaires
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