Dr Raphael Totongnon est Médecin épidémiologiste. A travers l’entretien ci-dessous, il s’est prononcé sur l’autorisation de l’Interruption volontaire de la grossesse (Ivg) en République du Bénin. Selon lui, les bénéficiaires de l’IVG sont les femmes qui remplissent des conditions définies par la loi au Bénin.
Qu’est-ce qu’un avortement ?
L’avortement est l’expulsion du produit de conception (fœtus ou embryon) aux environs de 22 semaines d’aménorrhée selon l’OMS et dans le contexte béninois autour de la 28 e semaine d’aménorrhée. L’expulsion du mobile foeto embryonnaire peut être involontaire ou volontaire. L’avortement peut être spontané comme il peut être provoqué, c’est donc quand il est provoqué qu’on parle de l’IVG (interruption volontaire de grossesse).
Dans quelles conditions peut-on autoriser l’IVG en période de Covid-19 ?
Dans le contexte international, le cadre juridique dans lequel l’IVG se pratique diffère d’un pays à un autre. Dans le monde entier en Europe, il existe 4 pays dans lesquels l’IVG est interdite. Il s’agit entre autres de la Pologne, de l’Iran du nord, Endor et Saint martin. L’avortement est libéralisé dans la plupart des pays de l’Asie, en plus des Etats-Unis et du Canada. Il est formellement interdit dans certains pays de l’Amérique du Sud, de l’Asie du Sud quel que soit le motif. En Afrique nous avons plusieurs pays dans lesquels l’avortement est interdit pendant qu’il est autorisé dans 4 autres pays africains que sont : le Mozambique, l’Afrique du Sud, le Cap vert et la Tunisie. Il y a en outre près de 26 pays en Afrique dans lesquels l’interruption volontaire de Grossesse est autorisée sous certaines conditions. C’est le cas du Bénin où selon la loi n* 2003-04 du 03 mars 2003 en son article 17, l’interruption volontaire peut être indiquée devant les trois conditions suivantes : lorsque la grossesse est issue d’une relation incestueuse ou en cas d’agression sexuelle et lorsque la poursuite de la grossesse mettra en danger la santé mentale et physique de la mère, ou la gestante est porteuse d’un fœtus frappé de malformations graves révélées à l’Echographie au 1er trimestre, à la demande de la gestante ou du couple.
Le dernier paragraphe de l’article 17 dit qu’un décret d’application sera pris en conseil des Ministres pour définir les conditions pratiques de réalisation de cette interruption volontaire de grossesse. Depuis 2003 comme nous le constatons à la date d’aujourd’hui, ce décret n’a pas été pris. Mais les dernières nouvelles sont bonnes et nous permettent d’espérer que les mois à venir ce décret pourra être signé pour permettre aux femmes remplissant les conditions, d’accéder aux services de santés de droits sexuels et reproductifs conformément aux dispositions des textes en vigueur. L’IVG peut être autorisée sous conditions. Le code de l’enfant du Bénin, c’est-à-dire la loi n°08 du 08 décembre 2015 en son article 142 parle de la protection du fœtus en conception comme quoi en aucun moment pour aucune raison volontaire la femme ne peut se débarrasser d’un fœtus qu’elle porte. L’article 145 du code de l’enfant en vigueur quant à lui définit aussi les conditions dans lesquelles on ne peut pas pratiquer l’avortement. L’article 146 parle des conditions thérapeutiques qui devaient s’imposer au praticien. Donc il y a la loi 2003-04 du 03 mars 2003 et la loi n°8 du 08 décembre 2015 qui se complètent et qui constituent l’arsenal juridique en République du Bénin régissant la pratique de L’IVG. Sinon l’avortement tout court volontaire est interdit en République du Bénin à la date d’aujourd’hui.
Ne serait-il pas contre nature de se faire avorter ?
Je dis bien l’avortement ne peut -être indiqué que dans les conditions prévues par la loi. Et là encore, nous n’avons pas encore notre décret d’application. En cas de nécessité, pour les viols par exemple ou relations incestueuses, le médecin à lui seul ne peut pas s’autoriser à faire l’IVG malgré la fortune de la femme. Il faut que le Procureur de la République établisse la preuve de viol et qu’il donne l’autorisation en cas de menace de la vie de la femme si la grossesse devrait se poursuivre. Un seul médecin ne peut pas décider de pratiquer l’IVG sur une femme. Il faut un collège de médecins pour apprécier la gravité, le risque vital pris pour la femme lorsqu’elle décide de garder la grossesse et le lui expliquer. Donc ce n’est pas aujourd’hui une chose aisée. La loi a prévu qu’il faut qu’il y ait des conditions pour que l’IVG s’effectue.
Qui sont les personnes qui peuvent pratiquer l’IVG ?
Cela doit être dans le secret du comité qui a proposé le projet du décret d’application qui sera sur la table du gouvernement. Ceux qui doivent être indiqués doivent être des personnes qualifiées pour tout le moins. Ils doivent être des gynécologues, des médecins ou sages-femmes formés pour, qui ont l’aptitude pour ces genres d’actes lorsque les conditions prévues par la loi l’autorisent.
Qui peuvent être les bénéficiaires de ces pratiques-là ? Est-ce les jeunes filles, les mères, les personnes âgées ?
Ce sont les femmes en âge de procréer. Et en matière de procréation même à l’âge de 50 ans chez certaines femmes il peut y avoir grossesse. Tout est relatif, il n’y a pas de standard ou limite. Tout varie d’un organisme à l’autre, des habitudes alimentaires, de l’héritage génétique. Les bénéficiaires de l’IVG sont les femmes qui remplissent d’abord les conditions définies par la loi au Bénin et qui ont la chance d’avoir le décret d’application pris. Quand on dit la femme en âge de procréer, peu importe l’âge tant que la femme peut tomber enceinte c’est possible dans le respect des conditions prévues par la loi.
Une fois l’avortement exécuté même dans les conditions prévues par la loi, ne court-on pas de risque en pratiquant l’IVG ? Si oui, quels sont ces risques
Vous dites bien l’IVG : pratiquée par qui ? La question est là. L’interruption volontaire de grossesse, si elle est faite par la femme enceinte qui veut se débarrasser de la grossesse, les risques sont nombreux et connus de tous. Ces risques peuvent même conduire au décès. Mais lorsque c’est une interruption volontaire de grossesse, pratiquée dans les conditions prévues par la loi, par le personnel qualifié, les risques sont très minimes. Donc l’IVG ne veut pas dire que l’avortement est sécurisé. C’est là qu’intervient la notion d’avortement sécurisé. L’avortement sécurisé, c’est celui qui est pratiqué dans les conditions prévues par la loi, par des personnes qualifiées, avec le plateau technique adéquat et qui respecte les standards internationaux et le contexte béninois. C’est un peu de cela qu’il s’agit. Si l’IVG est pratiquée par des tueurs d’arrière-cour avec des matériaux inadéquats ou par des aide-soignants ou des infirmiers qui ne sont pas qualifiés pour, les risques sont nombreux. On ne dira pas que c’est un avortement sécurisé. C’est plutôt un avortement avec beaucoup de complications. Les conséquences sont nombreuses et peuvent être les suivantes : l’hémorragie ou saignement abondant, les infections pouvant aller jusqu’à la gangrène de l’utérus ou au décès pouvant survenir à la suite des avortements clandestins.
Un avortement clandestin est un avortement exécuté en dehors des conditions prévues par la loi par des personnes non qualifiées avec du matériel inadéquat. Même pratiqué par du personnel qualifié avec du matériel approprié en dehors des conditions prévues par la loi, c’est un avortement illégal donc clandestin. Le risque d’hémorragie est fréquent et si jamais, elle n’est pas contrôlée, peut entraîner l’anémie qui si elle n’est pas identifiée et soignée peut aboutir à la mort. Il y a aussi les infections qui peuvent survenir suite à la pratique clandestine de l’IVG. Nous avons la septicémie qui est une infection généralisée de tout l’organisme pouvant aboutir aussi au décès si rien n’est fait en urgence. Il y a parfois même des perforations de l’utérus ou des anses intestinales. Les gens envoient n’importe quoi à travers le col de l’utérus en perforant le fond de l’utérus, ou les organes voisins tels que la vessie ou les intestins créant ainsi un tableau de péritonite rapidement mortelle en l’absence de prise en charge adéquate. Parfois tout semble bien se passer et à long terme il y a des complications comme la stérilité. Figurez-vous une jeune fille qui à l’âge de 18ans ou 22ans tombe enceinte et pratique l’IVG de façon clandestine et 10 ans après, elle trouve un bon mari, elle a un mariage grandiose entourée de tout le bonheur qu’il faut et c’est quand elle fait des années sans tomber enceinte qu’elle court partout pour avoir un enfant. Une fois à l’hôpital on découvre dans ses antécédents une grossesse avortée qui apparemment s’est bien passée ou avec une petite complication immédiate mal gérée. Une grossesse dont elle s’est débarrassée dans de mauvaises conditions et qui peut la rendre définitivement stérile. Cela peut même être irréversible dans le cas où elle est de rhésus négatif et que le fœtus dont elle s’est débarrassée est de rhésus positif. Etant une opération clandestine aucun check up sanguin n’avait été fait pour s’en rendre compte et lui administrer le sérum anti D dans les 48heures qui ont suivi l’avortement clandestin. Voilà des complications redoutables. Mariage pompant, très bon mari et qui l’a mis dans une maison de bonheur et qu’un enfant ne soit pas venu parachever ce bonheur. Cela serait dû à un avortement clandestin qu’elle aurait fait des années plus tôt alors qu’elle était encore à l’école ou en apprentissage. C’est dire que les IVG clandestines sont porteuses de nombreuses complications pouvant aller de la simple hémorragie à la mort en passant par les incapacités comme la stérilité, la fermeture des deux trompes. C’est une catastrophe pour le ménage lorsque la femme survit à tout ça. Lorsqu’elle n’est pas décédée suite à un IVG clandestin, elle peut être victime de complications comme les synéchies (fermeture des deux trompes ou mauvaises cicatrisations endocavitaires utérines) qui ne lui permettraient pas de concevoir plus tard. C’est dramatique.
Lorsque l’IVG est pratiquée dans des conditions normales, n’y a-t-il pas des conséquences ?
Vous savez dans la pratique médicale courante, le risque zéro n’existe point. Même s’il s’agit de la prise d’un simple comprimé de paracétamol ou de chloroquine, il y a toujours un risque. Mais lorsque l’avortement est sécurisé, dans les conditions prévues par la loi, les risques sont vraiment minimes et négligeables. C’est lorsque c’est fait dans des conditions non sécurisées et clandestines que les risques sont nombreux.
Quelle est la part de responsabilité des hommes, dans la pratique de l’IVG ?
La part de responsabilités des hommes est importante. C’est d’abord depuis la maison que l’éducation familiale ou sexuelle devrait être enracinée. Nous devons aujourd’hui, intensifier les stratégies pour ouvrir le dialogue intergénérationnel à la maison avec nos jeunes filles et garçons à partir déjà de l’adolescence. Nous devons lever les tabous et obstacles autour de la sexualité parce que si nous n’engageons pas ce dialogue avec les enfants, ils vont l’apprendre à travers les réseaux sociaux, à travers les camarades dans la rue ou à l’école et quelle information ? La mauvaise information. Ils en feront le mauvais usage et bonjour les dégâts. Et qui financera la gestion des dégâts ? C’est vous qui faites de la sexualité un sujet tabou. C’est d’abord au niveau des ménages, nous parents d’élèves, devons engager le dialogue avec les enfants. Ce n’est pas pour les inciter à la débauche mais c’est pour les amener à adopter un comportement responsable pour une sexualité responsable. Quand l’enfant connaît les risques, il n’aura pas le courage de s’approcher. Ça c’est le premier niveau de responsabilité. Le second niveau de responsabilité c’est la formation. Il faut généraliser les cours sur la sexualité à toutes les classes du collège. Au niveau de la communauté, il y a aussi les préjugés que les gens ont sur la planification familiale. Vous savez, les IGV clandestines ne sont que la conséquence d’une volonté de se débarrasser d’une grossesse non désirée. Mais pourquoi ne pas prévenir la survenue de la grossesse ? Une étude a été faite au Bénin et a révélé que sur 10 béninoises qui ne veulent pas tomber enceinte, elles sont à peine 4 à adopter une méthode contraceptive. Il faut convaincre les femmes qui ne veulent pas tomber enceinte à utiliser des méthodes contraceptives. C’est de cela qu’il s’agit.
Le ministère de la santé est en passe de rendre gratuite l’utilisation des méthodes contraceptives modernes sur l’ensemble du territoire national. Vous en tant que vecteur de l’information, vous devez nous aider à lever les préjugés que la population a sur les méthodes contraceptives. Tel que si l’on utilise les méthodes contraceptives on prend du poids, on commence à développer de problèmes de tensions artérielles et puis quand on arrête après on ne tombe plus enceinte. Ce sont des idées fausses, des idées préconçues qui sont colportées de bouche à oreille et qui découragent les femmes qui ont la volonté d’aller vers la planification familiale. Vous savez, tous les pays du monde sont tenus par les standards des ODD d’ici 2030. Les objectifs de développement durable qui sont au nombre de 17. L’ODD 3 est le seul objectif qui parle du bien-être de tous à tout âge et de la bonne santé. Cet ODD a 09 cibles. La 3.7 demande à tous les Etats de porter le taux de prévalence contraceptive moderne entre 55 et 65% d’ici 2030. C’est-à-dire que d’ici 2030, il faudrait que cinq à six femmes sur 10 dans les pays membres des nations unies aient adopté une méthode contraceptive. Si nous ne faisons rien pour multiplier le taux d’adhésion des femmes à l’usage des méthodes contraceptives modernes, nous serons absents au rendez-vous en 2030 par rapport à cet indicateur. Nous sommes à 17% en fin 2020. Regardez le vide qui nous reste à combler. Vous devez nous aider à faire comprendre aux populations en âge de procréer que la planification familiale ne rend pas stérile une fois qu’on arrête la méthode choisie, dans les trois mois qui suivent l’arrêt on doit pouvoir tomber enceinte et ce n’est pas la peine de décourager les autres en cas d’effets indésirables pour lesquels la femme devrait retourner au centre de santé dans lequel elle a été placée sous cette méthode pour l’aider à résoudre son problème. Au besoin, elle sera aidée à arrêter cette méthode et en choisir une autre plus supportable pour elle.
Propos recueillis par Aicha RIKPOSSOU (Stag.)