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Ni légalité, ni légitimité

Publié le vendredi 21 mai 2021  |  aCotonou.com
Présidentielle
© aCotonou.com par Didier ASSOGBA
Présidentielle 2021: Ambiance dans quelques centres de votes à Cotonou
Cotonou, 11 avril 2021: quelques images du déroulement de vote dans quelques centres de votes sillonnés dans la capitale économique du Bénin
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La guerre a envahi le pays où Dossou-le-Lépreux seul était resté. Il s’indigna : « Ne pas apparaître à ces ennemis leur ferait croire qu’il n’y a pas âme qui vive ici ! » (Paul Hazoumè, Doguicimi, Paris, G-P. Maisonneuve et Larose, 1978, p. 11). L’élection présidentielle organisée le 11 avril 2021 au Bénin continue de faire couler beaucoup d’encres et de salives. Un monologue se déroule depuis quelques jours sur les plateaux de télévision et dans les studios de radios sur la situation politique du Bénin. Quand l’intelligence déserte le forum, la médiocrité s’installe et tout finit en dictature (Albert Tévoèdjrè). Les intellectuels sont-ils hors jeu ? Et comment libérer les intellectuels libres ? (Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Minuit, 2002). En effet, les arrestations arbitraires d’opposants ou de supposés opposants ne cessent d’être annoncées chaque jour pour les mêmes motifs : manifestations, atteinte à la sûreté de l’Etat, terrorisme, blanchiment de capitaux etc. Le marteau courroucé passe sa colère sur le fer. Il s’agit des accusations mues par la peur d’une contestation pacifique légitime susceptible de contraindre le président de la République à la table de négociation. Or, la mort qui doit frapper plusieurs personnes à la fois est infiniment moins odieuse que celle qui n’abattrait que vous seul. La dynamique actuelle est qu’il faut d’abord couper les têtes qui ont inspiré le crime avant de songer à abattre les bras qui l’ont perpétré. Ces bras sont la masse de foule descendue dans les rues dans plusieurs villes du Bénin après le 5 avril 2021 et étouffée par une répression digne des années du Parti de la Révolution Populaire du Bénin.
Mais, dans la réalité, cette élection a-t-elle conféré au président sortant une légalité et une légitimité au point où sa contestation constituerait une atteinte à la sûreté de l’Etat ? Du moins, les manifestations pacifiques qui avaient commencé le 6 avril 2021 pouvaient-elles être considérées comme illégales au point de réprimer les manifestants et d’arrêter les auteurs ? Quelle est la situation actuelle des institutions issues de ladite élection du point de vue du droit interne et du droit international ? Il s’agit là d’une préoccupation technique et juridique et non politique. Les sachants de la République doivent s’y essayer pour ne pas donner raison à Aimé Césaire dans son œuvre « Et les chiens se taisaient ». Il ne s’agit pas d’une position politique mais juridico-technique qui peut susciter de contradictions.
En effet, le Bénin est en crise. Cette crise s’est aggravée avec l’organisation de l’élection présidentielle. Le parlement monocolore engendré par les élections législatives de 2019 a produit une série de réformes dont la révision de la constitution du 11 décembre 1990 par la loi 2019-40 du 7 novembre 2019. Cette loi de révision constitutionnelle est le sous-bassement de la crise. Parmi les nombreux articles touchés qui ont désorganisé l’architecture constitutionnelle figure le dernier tiret de l’article 44 « n’est dûment parrainé par des élus dans les conditions et suivant les modalités prévues par la loi » et complété par l’article 132 du code électoral « … n’est dûment parrainé par un nombre de députés et/ou de maires correspondant à au moins 10% de l’ensemble des députés et des maires ». Cet alinéa a engendré une élection gagnée d’avance. Mais cette victoire serait célébrée si l’élection se déroulait dans une ferveur démocratique telle instituée par le consensus obtenu comme mode de gouvernance politique au lendemain de l’historique conférence de 1990. Après avoir verrouillé l’Assemblée Nationale pour les élus députés, les élections municipales et communales n’ont pas donné le résultat contraire. Le changement des règles du jeu pendant le jeu (loi n° 2020-13 portant interprétation et complétant la loi n° 2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral au Bénin) et le mode d’attribution des sièges ont renforcé la stratégie du chef de l’Etat sortant. Même si selon Machiavel (Le prince, Paris, Garnier-Flammarion, 1992), « la force ou la ruse, la guerre ou la diplomatie ne sont que des moyens au service de la politique, que le Prince utilisera en fonction des circonstances », au XXIe siècle, leur utilisation est codifiée. Cette codification a pour objectif de préserver la paix sociale. C’est la raison d’être des instruments nationaux et internationaux de protection des droits humains.
Ainsi, le coup de tonnerre inattendu produit par la décision de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples sur la loi de révision constitutionnelle remettait tout à plat. Il est utile à cet effet de rappeler que selon la décision, « …la Cour a conclu que la révision constitutionnelle a été adoptée en violation du principe du consensus national…la Cour a conclu que l’Etat défendeur a violé le droit à l’information protégé par l’article 9(1) de la Charte…La Cour a conclu à la violation de ces droits protégés par les articles 22 (1) et 23 (1) de la Charte, la révision non consensuelle de la loi fondamentale rompt le pacte social et fait craindre une menace réelle sur la paix au Bénin… ». Le refus d’appliquer cette décision crée une illégalité de l’élection du 11 avril 2021 et par voie de conséquence l’illégitimité des institutions qui en sont issues.
I- L’illégalité de l’élection
Dans le préambule de la constitution du 11 décembre 1990, on lit : « Nous peuples béninois…Réaffirmons notre attachement aux principes de la démocratie et des Droits de l’Homme, tels qu’ils ont été définis par la Charte des Nations Unies de 1945 et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’Unité Africaine, ratifiée par le Bénin le 20 janvier 1986, et dont les dispositions font partie intégrante de la présente Constitution et du droit béninois et ont une valeur supérieure à la loi interne… ». Il ressort de cette disposition que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples fait partie intégrante des normes de référence de contrôle de constitutionnalité et ont une autorité supérieure à celle des lois (article 154 de la constitution). Conformément à l’article 3 de la Constitution « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte administratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus ». La décision rendue par la Cour africaine fait disparaître de droit la loi 2019-40 du 7 novembre 2019 et la loi n° 2019-43 du 15 novembre 2019 portant code électoral au Bénin. Il ne s’agit pas d’une rivalité entre internationaliste et souverainiste (Jean Bodin, Les six Livres de la République, Jacques Du Puys, Paris, 1576). Il s’agit des conséquences de l’option faite par le Bénin dans la Constitution du 11 décembre 1990.
Par ailleurs, le grand principe coutumier pacta sunt servanda a été consacré par la convention de Vienne (art 26). Ainsi, les parties sont tenues d’exécuter un traité de bonne foi et raisonnablement (CIJ., affaire des ressortissants américains du Maroc, 1952). Un Etat ne peut invoquer le droit interne pour ne pas appliquer un traité (art 27, Conv de Vienne-CIJ., affaire de l’accord de siège Etats-Unis/ONU à propos du bureau de l’OLP à New York, avis consultatif 1988). Un traité s’impose aux différents organes de l’Etat : autorités législatives, exécutives et juridictionnelles (CIJ, affaire de la tutelle des mineurs, 1958). Un Etat est tenu de se donner une législation permettant d’assurer l’exécution d’un traité, sous peine de voir sa responsabilité internationale engagée. Celle-ci serait également mise en jeu si une autorité refusait d’appliquer un traité, même pour un motif légitime au regard du droit interne (David Ruzié, Droit international public, Paris, Dalloz, 2000, p. 47). En conséquence de ce développement, la décision DCC n° 21-011 du 7 janvier 2021 par laquelle la Cour Constitutionnelle s’est déclarée incompétente aux motifs « le pouvoir constituant détenu par le peuple par voie référendaire et par l’Assemblée nationale est souverain dans les conditions et sous le respect des procédures fixées par la Constitution et ne peut faire, quand au contenu de cette volonté, l’objet de contrôle de constitutionnalité a priori ou à postériori par la Cour Constitutionnelle » viole le droit interne (art 3 de la Constitution) mais aussi le droit international. En déclarant par le biais de son porte parole « la révision de notre constitution est une initiative parlementaire approuvée par l’unanimité des représentants du peuple. C’est cette constitution renforçant notre démocratie que l’on voudrait remettre en cause par une décision qui frise l’hérésie et à laquelle le peuple béninois souverain, ne peut prêter le flanc. Autant d’avancées qui permettent le renforcement de notre démocratie, dont on ne peut considérer que les acquis ont été remis en cause ou qu’ils aient même reculé » sur RFI le 3 décembre 2020 après avoir convoqué le corps électoral le 25 novembre, le gouvernement se trouve dans la même logique que la Cour Constitutionnelle et viole aussi l’article 59 de la Constitution « Le président de la République assure l’exécution des lois et garantit celle des décisions de justice ». Il ne peut même pas invoquer sur la base de la convocation du corps électoral le 25 novembre 2020, les limites de l’obligation conventionnelle : principes généraux du droit (exception de force majeure, exception de légitime défense), l’exercice de représailles et la théorie de nécessité (CIJ. Affaire Hongrie/Slovaquie) pour se soustraire de ses obligations. Il s’agit finalement d’un comportement qualifié de « théorie du chiffon de papier » qui ne remet pas en cause la validité des décisions de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. Les forces politiques de l’opposition étaient alors fondées à demander la fin du mandat le 5 avril 2021 à minuit et à rejeter la prorogation du mandat par la loi 2019-40 du 7 novembre 2019 pour l’ouverture d’un dialogue. Du point de vue du droit interne (la Constitution du 11 décembre 1990) et du droit international, l’élection du 11 avril 2021 reste et demeure illégale. Il en est de même pour la prorogation du mandat. C’est alors un gouvernement de fait qui dirige le Bénin depuis le 6 avril 2021 et la prestation de serment le 23 mai 2021 n’y changera rien. Cette situation débouchera sur un mandat aussi contesté et contestable du moment où les actes ayant abouti à son ouverture sont dépourvus de toute légalité interne et internationale. Ce sera un mandat « suspendu » auquel les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sauraient donner aucune légalité car violant aussi le droit interne (l’article 3 de la Constitution) et le droit international. C’est pourquoi, seule l’ouverture d’un dialogue avec les forces politiques de l’opposition et la recherche d’un consensus de bonne foi peuvent permettre de sauver ce mandat dont l’illégalité va se prolonger dans le temps avec les conséquences de droit sur les actes qui seront posés pendant cette période et les institutions issues de la loi de révision de la Constitution. C’est le cas de la Cour des Comptes dont la présidente vient d’être investie alors que son fondement juridique n’existe plus. Même si la théorie de l’écran législatif (Voir Ibrahim SLAMI, Droit administratif, CeDAT, 2021, p. 31) peut sauver ses actes, l’illégalité de l’institution est flagrante. Le recours à la légalité républicaine comme ce fut le cas en France sous le régime de Vichy pourra peut être permettre, au moment venu, d’effacer les actes posés par le gouvernement de fait. De l’illégalité de mandat découle l’illégitimité.
II- L’illégitimité du duo présidentiel
La légitimité soulève une question d’ordre métajuridique. Elle porte sur les raisons de l’obligation politique, en d’autres termes de l’obéissance au pouvoir. C’est la qualité du pouvoir qui fonde l’obéissance qu’il exige, conformité de ce pouvoir aux croyances des gouvernés quant à son origine et à ses formes. La légitimité permet donc d’aller au-delà de l’effectivité du pouvoir, et de réfléchir sur sa justice. La démocratie présuppose que la légitimité résulte de l’expression libre du suffrage universel, ce qui garantit la validité des décisions prises par le pouvoir ainsi désigné (Michel de Villiers et Armel Le Divellec, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, Sirey, 2009, p. 197). Le 11 avril 2011, des Béninois ont été privés de leur droit de vote. Cette privation organisée par le gouvernement passe par le montage juridique illégal ayant empêché plusieurs candidats de se présenter à l’élection présidentielle. Or, en temps normal et surtout électoral, la légitimité et la légalité se recouvrent étant une condition nécessaire à la sécurité juridique et la paix sociale. Le taux de participation de 50% recherché à tout prix par des acrobaties judiciaire (Cour Constitutionnelle avec la décision EP 21-018 du 12 avril 2021 d’exclusion de la population électorale les localités dans lesquelles le scrutin ne s’est pas déroulé) et politique (bourrage d’urnes) ne peut fonder la légitimité du mandat. Démocratique dans sa forme du 6 avril 2016 au 5 avril 2021, le régime est devenu autoritaire dans son fonctionnement pendant la même période et l’est davantage depuis le 6 avril 2021. Deux éléments caractérisent l’autoritarisme : le fait que les gouvernants ne sont pas choisis par les gouvernés dans le cadre d’une libre compétition électorale et l’usage que font de la force les gouvernants pour réduire l’expression et le développement d’une opposition politique. Le Bénin vit depuis l’arrivée au pouvoir du président Patrice Talon, le contrôle absolue des institutions politiques. L’élection présidentielle étroitement contrôlée et faussée par l’exclusion de candidats et le recours massif à la fraude (Voir rapport de la plateforme des OSC) confirme cette nouvelle configuration du régime. La personnalité du Chef de l’Etat est en conflit permanent avec les citoyens béninois. Ce qui d’ailleurs a fait qu’aux élections législatives le taux de participation était de 27% (selon la Cour constitutionnelle). Les enjeux locaux ont rehaussé celui des élections municipales et communales de 2020 sans atteindre 50%. La candidature du chef de l’Etat pour un second mandat et les conditions d’exclusion et d’insécurité dans lesquelles l’élection s’est déroulées ne peuvent conférer ce taux de participation de 50, 47%. La méthode par quota (Ramona Coman et al, Méthodes de la science politique, Paris, deboeck, 2016) utilisée par la plateforme de la société civile (Même si elle est d’une indépendance relative) pour déterminer le taux de participation (26%) avec bourrage d’urne me convainc plus que le taux donné par la CENA et la Cour constitutionnelle qui sont devenues des institutions au service de l’autoritarisme. Ainsi, ce refus des Béninois de ratifier une mascarade électorale plonge le Chef de l’Etat et la Vice Présidente dans une illégitimité sans précédent. D’ailleurs, le recul successif observé dans deux décisions ces derniers jours me conforte dans ma position. La crainte d’une dégénérescence incontrôlée hante les esprits pendant cette période. Il est temps de prendre la mesure du danger et de renouer avec les vertus du consensus national gage d’un développement durable.
Nathaniel H. KITTI, Docteur en droit public et en science politique, enseignant-chercheur à la FADESP, UAC, Bénin, Chef du département de science politique, Président du Mouvement Béninois pour la Défense des Droits Humains (MBDH)
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