Le troisième procureur de la Cour pénale internationale (CPI) prend ses fonctions ce mercredi 16 juin et pour neuf ans. Il s’agit du Britannique Karim Khan, un spécialiste reconnu de la justice internationale. Il a de nombreux défis à relever, après les échecs essuyés par celle qui l’a précédé, Fatou Bensouda, en particulier en Afrique.
Karim Khan va devoir faire oublier les revers de Fatou Bensouda. Incapable de faire arrêter l’ancien chef d’État soudanais Omar el-Béchir, la procureure gambienne a terminé son mandat sur un échec cuisant : le blanchiment définitif de l’ancien président ivoirien Laurent Gbagbo, en mars dernier, après dix années de procédure. Toute l’organisation du bureau du procureur – 300 personnes – est à revoir, selon un rapport d’audit publié à la fin de l’année dernière.
Selon Adama Dieng, l’ex-conseiller spécial de l’ONU pour la prévention des génocides, Karim Khan est à même de réaliser cette réforme : « Il faudra faire en sorte que le bureau du procureur soit beaucoup plus efficace. Il y a beaucoup d’imperfections qui ont été relevées tant au niveau des enquêtes qu’au niveau des poursuites, malgré les efforts louables de la procureure. Mais c’est une machine très lourde, la Cour pénale internationale. À cet égard, je veux tout simplement espérer que Karim Khan fera un bon usage de ce rapport, mais surtout qu’il viendra lui-même avec son expérience personnelle. »
Ancien avocat de Jean-Pierre Bemba
Une expérience qui a mené Karim Khan à défendre des auteurs présumés de crimes contre l’humanité devant cette même Cour pénale internationale. Car le Britannique de 51 ans a travaillé au bureau du procureur de l’ex-tribunal pour la Yougoslavie et le Rwanda, mais il a aussi été l’avocat de l’ancien président libérien Charles Taylor devant le tribunal spécial pour la Sierra Leone et devant la CPI, de deux vice-présidents accusés de crimes contre l’humanité : le Kényan William Ruto et le Congolais Jean-Pierre Bemba, tous deux sortis libres de la Cour. D’où la polémique qui a entouré l’élection de Karim Khan. Une polémique jugée stérile par Adama Dieng : « Pendant la campagne, d’aucuns n’ont pas hésité à ressortir toutes sortes d’allusions, même dans le procès Taylor. Mais à la vérité, un avocat est là pour défendre. Le texte même de la CPI, le traité de Rome, a prévu clairement des cas où le procureur lui-même va s’abstenir de s’ingérer dans un quelconque dossier et cela a été relayé pendant les interviews au moment de l’élection. »
Plus de preuves numériques
Désormais procureur, Karim Khan devra repenser le système de collecte des preuves. Face à un budget insuffisant et au manque de coopération de certains États, il pourrait mettre à profit les techniques innovantes qu’il a testées pour enquêter sur le groupe État islamique en Irak, selon Delphine Carlens, responsable du bureau justice internationale à la FIDH : « Ce sont des enquêtes qui sont très compliquées, mais qui peuvent être réalisées d’autres manières. Peut-être Karim khan pourra apporter au bureau du procureur son expérience acquise à l’UNITAD, en Irak, où il a mené des enquêtes sur la base de témoignages, mais aussi sur la base d’éléments collectés de façon digitale. La préservation des éléments de preuve de ce type pourrait être développée à la CPI. »
Poursuivre l’ouverture de la CPI sur le reste du monde
Élu par 72 États sur les 123 pays membres de la CPI, Karim Khan a engrangé l’intégralité des votes des 33 pays africains signataires du traité de Rome. Une réconciliation de l’Afrique avec la CPI qui avait déjà commencé sous le mandat de Fatou Bensouda. Cette dernière avait su ouvrir des enquêtes ailleurs que sur le continent et lancer de nombreuses poursuites sur des crimes basés sur le genre. « Si peut-être la majorité des enquêtes en cours concerne l’Afrique, dit Delphine Carlens, on a quand même plusieurs enquêtes qui concernent d’autres pays : la Géorgie, l’Afghanistan, la Palestine, le Myanmar. Et il y a tous les examens préliminaires qui précèdent les enquêtes, qui s’intéressent même à une majorité de situations en dehors du continent africain : la Colombie, les Philippines, le Venezuela, la Bolivie, l’Ukraine. Fatou Bensouda a démontré qu’il y avait une indépendance en matière de poursuite et qu’elle s’intéressait à toutes les situations de crimes graves où aucune justice n’est possible au niveau national et ces situations vont bien au-delà du continent africain. »
La CPI reste tout de même très occupée par les affaires africaines, avec la Centrafrique et le procès en cours de deux anti-balaka (Yekatom et Ngaïssona) et d’un ex-Seleka, qui vient d’être transféré à La Haye. La cour doit confirmer les charges contre un suspect soudanais, Abd El Rahmane. En Côte d’Ivoire, Simone Gbagbo est toujours visée par un mandat d’arrêt et les enquêtes sont encore en cours sur les autres parties au conflit. En Libye, plusieurs suspects dans l’enquête référée par le Conseil de sécurité sur les crimes de Kadhafi sont décédés, la liste se réduit. Au Mali, l’affaire Al Hassan devrait aboutir avant la fin du mandat de Karim Khan, prévue en 2030.
Source : rfi