La déclaration de grossesse notifiée dans la loi « 2020-34 du 6 janvier 2021 portant dispositions spéciales de simplification et de gestion dématérialisée de l’enregistrement des faits d’état civil au Bénin » est interprétée à tort et à travers depuis quelque temps. Pourtant, une analyse minutieuse de la mesure permet de mieux l’apprécier.
Etre parent aujourd’hui au Bénin n’est plus une simple affaire de capacité reproductive. La responsabilité parentale soumet à des exigences auxquelles l’Etat engage tous les acteurs à travers la déclaration de grossesse. Ce sujet soulève beaucoup de remue-ménages au sein de l’opinion ces derniers temps sans que tout le monde dispose forcément de tous les éléments d’appréciation. Les personnes averties y voient une sécurisation du contexte de mise en place des tissus familiaux.
« La question de régulation des naissances constitue une responsabilité pour l’Etat. Le développement se construit à partir de la stabilité des structures familiales. Le contexte dans lequel grandit un enfant et développe ses rapports dans la société doit être déterminant pour son épanouissement et pour la mise en valeur de son plein potentiel, de comment il établit les liens sociaux et de son apport futur à la construction de la cité », relève Jacques Aguiah-Daho, sociologue de développement.
La déclaration de paternité règle les problèmes d’état civil, de planification, de développement et met chaque acteur devant ses responsabilités. « L’appartenance à une société dépend du statut social. Etant donné que la décision soumet à un contrôle social, elle permet de discipliner tout le monde », apprécie-t-il.
La formalité relative à la déclaration de paternité n’est pas nouvelle au Bénin. Elle est évoquée dans la loi portant Code des personnes et de la famille avec quelques nouveautés. «Dans le fond, les nouveautés sont relatives à l’acquisition par le nouveau-né d’un numéro personnel d’identification, son inscription au registre national des personnes physiques. Ceci vaut déclaration à l’état civil », explique Miguèle Houéto, juriste, activiste des droits de l’Homme.
Pour Cyrille Gougbédji, gestionnaire mandataire de l’Agence nationale d’identification des personnes (Anip), cette obligation de la loi ne devrait pas étonner. « L’obligation est déjà dans la pratique à travers le remplissage de formulaires lors des consultations prénatales », rappelle-t-il.
La loi n°2015-08 du 08 décembre 2015 portant Code de l’enfant en République du Bénin n’est pas muette sur la question. L’article 141 stipule que « tout enfant conçu doit être reconnu par son géniteur, dans les trois premiers mois de sa conception par les moyens d’une déclaration sur l’honneur faite devant l’autorité administrative la plus proche du lieu de sa résidence, faute de quoi l’enfant, à sa naissance, porte le nom de sa mère».
L’acte de reconnaissance de paternité établi par les soins du service d’état civil intervient lorsque les deux partenaires sont mariés devant l’officier d’état civil. « Quel est alors le sort de l’enfant né hors de tout mariage? Ne sera-t-il pas enregistré ?», s’interroge Cyrille Gougbédji. C’est à la recherche de réponse à cette question que le législateur a disposé dans le Code de l’enfant que la mère fournisse le nom du présumé père à l’appui de l’acte de mariage ou qu’elle exhibe un acte par lequel, le père a reconnu être l’auteur de la grossesse », développe-t-il.
Cette décision apparait donc comme un élément structurant de la vision de transformation du secteur de l’état civil. « Le gouvernement qui ambitionne de faire du Bénin une plateforme de services du numérique ne peut s’empêcher d’opérer des transformations dans le domaine des services du numérique et de l’identification en général », argumente-t-il.
Huguette Bokpè Gnacadja, avocate et consultante en droits de l’Homme et en genre, apporte les mêmes éclaircissements : « Soit l’enfant est né dans les liens d’un mariage, et la loi demande de produire un acte de mariage ; soit il est né hors les liens du mariage et la loi demande qu’avant sa naissance, il puisse être déjà reconnu par son futur papa. Le fait pour la mère de ne pouvoir produire aucun de ces actes ne signifie pas que l’enfant ne sera pas déclaré ou n’aura pas un acte de naissance ».
Au plan juridique, la mesure ne manque pas de pertinence. Il paraît évident que la « loi 2020-34 du 6 janvier 2021 portant dispositions spéciales de simplification et de gestion dématérialisée de l’enregistrement des faits d’état civil au Bénin » entend dématérialiser et numériser l’état civil dans notre pays.
Elle permet de clarifier l’esprit du Code de l’enfant. « Alors que dans le Code de l’enfant, le législateur a exigé que la femme présente l’acte de reconnaissance de grossesse, il a disposé que, dans la loi relative à la déclaration de paternité, l’agent de déclaration ne porte, sur la fiche de déclaration, les informations du présumé père qu’au vu de l’acte de reconnaissance de paternité », développe Cyrille Gougbédji.
Toutefois, à l’heure actuelle, cette loi n’est pas encore bien vulgarisée d’où les supputations et polémiques. Pourtant, la régularisation des naissances est un acte socialement pertinent. Les mécanismes traditionnels endogènes sont formels sur la question. Dans le cas d’espèce, le droit positif régularise le droit traditionnel.
« Autrefois, quand l’auteur d’une grossesse tente de décliner ses responsabilités, il subit la sanction morale, culturelle et cultuelle. Notre pays est en train de rattraper cette disposition sociale », apprécie Jacques Aguiah Daho.
Réduire les frasques sociales
Selon lui, cette mesure permet à l’Etat de maîtriser l’évolution des statistiques démographiques. Faute de quoi, la société ramasse les pots cassés. « La multitude des familles monoparentales traduit une perte de repère pour l’enfant en ce sens où l’équilibre dont il a besoin nécessite qu’il découvre à la fois la figure de son père et celle de sa mère afin de construire sa personnalité en grandissant. Il faut interroger l’histoire sociale des adolescents auteurs de déviances sociales et le contexte dans lequel ils sont nés pour mieux comprendre l’intérêt de cette décision », analyse-t-il.
Au-delà des solutions qu’elle apporte sur le plan familial, cette décision est aussi un instrument contre le mariage infantile. Elle organise le rapport à la sexualité, à la grossesse et à la naissance. « Le phénomène des filles-mères est très développé dans notre société aujourd’hui avec des victimes devenues accidentellement mères parce que le géniteur ne s’y est pas encore préparé», relève-t-il.
Les femmes qui font du chantage autour du sexe doivent revoir leur méthode. « Il y en a qui créent le ’’business des naissances’’. Elles ont une autorité parentale exercée par quelqu’un et un autre individu qui joue le rôle de partenaire sexuel », relève le sociologue.
Dans le même temps, justice est rendue aux femmes honnêtes, en ce sens qu’elles auront la latitude d’obliger les hommes à reconnaître officiellement leur statut de futur papa. Finies donc les grossesses accidentelles !
« Cette décision permet de régler une injustice sociale chez les femmes sincères tout en leur permettant de mieux organiser leur sexualité. Il sera difficile de négocier des compromis avec des femmes pour qu’elles cachent leur grossesse», assure-t-il.
Une crainte tout de même. « Il faut travailler pour que cela n’entraine pas davantage des avortements. Cette décision pourrait déstabiliser certains ménages ou fragiliser les unions libres », alerte-t-il.
Certains redoutent des violences psychologiques et verbales au sein des couples. « Il est à craindre que certains hommes se soustraient à leur obligation de reconnaissance de paternité, mettant ainsi les mères dans un état de stress aux nombreux effets. Par naïveté, certaines femmes pourraient accepter de subir des actes, avec le seul but d’obtenir d’eux, la reconnaissance de paternité. D’où la nécessité de vulgariser les lois et de faire des séances d’information et de sensibilisation adaptées aux cibles et de façon rapprochée », insiste Jacques Aguiah Daho.
Si le refus de reconnaissance de paternité ne fait pas obstacle à l’établissement d’un acte de naissance, cela pourrait entraîner d’autres conséquences sur le plan de l’état civil. « Le processus suivra son cours conformément aux dispositions en vigueur. Seulement, le nom du père ne figurera pas sur l’acte. Quant aux enfants nés à domicile, la loi a prévu une procédure pour leur déclaration de naissance. Il suffit que les personnes ayant l’habilité, se rapprochent du centre de santé le plus proche pour enclencher le processus et le finaliser au service d’état civil le plus proche », nuance Miguèle Houéto, juriste.
Cyrille Gougbédji rassure : « Le système n’expose pas l’enfant, ni la femme parce qu’il existe des garanties de protection sociale ».
Au demeurant, l’efficacité de la décision ne saurait être analysée que par rapport aux mesures d’accompagnement et stratégies envisagées. Dans ce sens, l’Etat gagnerait à confier des rôles aux sages-femmes, aux leaders locaux, aux communautés religieuses, afin que la loi devienne une norme sociale.