Examiner la situation alimentaire et nutritionnelle et les mesures prises dans le contexte de la pandémie du Covid-19, pendant la période de soudure 2021 dans les pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest. C’est l’objectif de la réunion restreinte du dispositif régional de Prévention et de gestion des crises alimentaires (Pregec) au Sahel et en Afrique de l’Ouest tenue du 17 au 18 juin dernier à Cotonou.
La situation alimentaire et nutritionnelle pendant la période de soudure 2021 dans les pays du Sahel et en Afrique de l’Ouest préoccupe les experts du Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (Cilss) réunis du 17 au 18 juin dernier à Cotonou. Ladite réunion se tient à un moment où la région Sahel et Afrique de l’Ouest continue de faire face à une insécurité alimentaire et nutritionnelle préoccupante accentuée par les effets conjugués de l’insécurité civile et de la persistance de la pandémie du Covid-19. En effet, plus de 27 millions de personnes pourraient être en insécurité alimentaire si les mesures et interventions prévues pendant la période de soudure ne sont pas mises en œuvre à temps. Outre les experts du Cilss, cette réunion a mobilisé les représentants des organisations inter-gouvernementales, des institutions internationales et sous-régionales, des partenaires techniques et financiers, des organisations humanitaires, des Organisations non gouvernementales et des organisations professionnelles régionales.
Mahalmoudou Hamadoun, coordonnateur du Programme régional d’appui sécurité alimentaire et nutritionnelle (Pra/San) et secrétaire exécutif du Cilss, a fait savoir que le dispositif régional de Prévention et de gestion des crises alimentaires au Sahel et en Afrique de l’Ouest est un instrument du réseau de prévention des crises alimentaires qui assure la veille informationnelle sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle dans la région Afrique de l’Ouest et Sahel. Il a été mis en place par le Cilss et ses partenaires techniques nationaux, régionaux et internationaux. Il fonctionne de manière permanente à travers un cycle de concertations régulières qui contribuent à prévenir les crises alimentaires au Sahel et en Afrique de l’Ouest. « La concertation de juin dite réunion restreinte du dispositif Pregec est la première organisée au titre de la campagne agropastorale 2021-2022. Elle constitue un cadre d’échanges sur les préparatifs de la campagne et pour la mise à jour des informations sur la situation alimentaire et nutritionnelle des pays de l’espace Cilss/Cedeao/ Uemoa et des réponses d’assistance prévues en faveur des populations vulnérables identifiées cette année », explique-t-il.
L’expert affirme que la situation alimentaire et nutritionnelle n’est pas du tout reluisante. « Nous rentrons dans une période de soudure. Les prix sont élevés que ce soit dans la bande sahélienne que dans les pays côtiers. La saison des pluies est tardive », fait-t-il savoir. Il note que pendant ces deux jours, des partenaires techniques et financiers les ont suivis et attendent pour déclencher les actions en faveur des populations. « Nous sortons avec des recommandations à l’endroit des Etats et de tous les partenaires et nous contribuons à la mobilisation de ces partenaires pour accompagner les Etats dans la mise en œuvre de ces recommandations », conclut-il.
Situation alimentaire et nutritionnelle préoccupante au Sahel et en Afrique de l’Ouest
Les crises sécuritaires et sanitaires et l’inflation en cause
Les participants à la réunion restreinte du dispositif régional de Prévention et de Gestion des Crises Alimentaires (Pregec) au Sahel et en Afrique de l’Ouest, tenue les 17 et 18 juin 2021 en présentiel et par diffusion simultanée à Azalaï Hôtel de la Plage de Cotonou (Bénin), font les constats suivants :
1. La situation des marchés agricoles est marquée par la persistance des hausses généralisées des prix des produits vivriers locaux (maïs, mil, sorgho, riz local, niébé, arachide, soja, sésame et huile de palme) malgré les bons niveaux de production agricole enregistrés à l’issue de la campagne 2020-2021. En effet, elle varie de 17 à 22 %
pour les céréales locales, 14 à 49 % pour les racines et tubercules et 19 à 78 % pour les légumineuses et autres (sésame, huile de palme). Ces hausses sont en partie liées à la forte demande créée par les effets combinés de l’insécurité civile et de la pandémie de la Covid-19 auxquelles s’ajoute l’exacerbation des tracasseries routières sur les principaux corridors des échanges commerciaux dues à la fermeture des frontières terrestres. A cela, il faut ajouter l’inflation qui sévit dans certains pays en raison des difficultés économiques liées notamment à la dépréciation des taux de change au Ghana, en Guinée, au Libéria, au Nigéria et en Sierra Leone. Les prix des principales denrées importées, particulièrement le blé, le riz, le sucre et l’huile, ont connu une hausse. Les prix des animaux et les termes de l’échange bétail/ céréales sont en hausse à cause de la forte demande en bétail avec l’approche de la fête de Tabaski.
2. La situation alimentaire et nutritionnelle demeure préoccupante dans l’ensemble des pays sahéliens et le Nord du Nigeria affectés par l’insécurité civile liée aux conflits armés et le banditisme. Par ailleurs, les difficultés économiques que connaissent le Libéria et la Sierra Léone ces dernières années rendent la situation alimentaire et nutritionnelle également précaire. En effet, selon les analyses avec le Cadre Harmonisé conduites dans l’ensemble des pays de la région hormis le Cap-Vert près de 27 millions de personnes sont en insécurité alimentaire et nutritionnelle en cette période de soudure avec un nombre croissant de personnes déplacées internes à cause de l’insécurité. La situation risque de se dégrader davantage en cette période d’intenses activités agricoles, de hausse des prix des denrées alimentaires .
3. En réponse à cette dégradation de la situation alimentaire annoncée ci-dessus et la baisse des services d’assistance sanitaire et nutritionnelle, le nombre d’enfants malnutris attendus par la région pendant cette période de soudure pourrait atteindre 9,6 millions dont 3,1 millions de cas sévères si des dispositions idoines ne sont pas prises notamment dans les zones de conflits du Bassin du Lac Tchad, du Nord-est du Nigéria, du Liptako-Gourma et du Centre du Mali.
4. En réponse à cette insécurité alimentaire et nutritionnelle majeure, les États et leurs organisations intergouvernementales, avec le soutien de leurs partenaires, ont élaboré des plans de réponses pour assister les populations vulnérables, y compris les personnes réfugiées et déplacées internes. Toutefois, et en ce début de la période de soudure, les ressources mobilisées ne couvrent guère 20 % des besoins de financement requis eu égard à la gravité de la situation.
5. La campagne agricole d’hivernage en cours est caractérisée par des séquences sèches longues qui ont occasionné des déficits hydriques pour les cultures dans certaines localités des pays du Golfe de Guinée et perturbé l’installation des semis dans la bande sahélienne. Par contre, des dates de fin de saison normale à tendance tardive sont attendues selon les prévisions saisonnières. Par ailleurs, des écoulements normaux excédentaires pourraient être observés avec des risques élevés d’inondations.
6. La situation phytosanitaire est marquée par des manifestations de la chenille légionnaire d’automne en raison de poches de sécheresse observées dans certaines zones côtières des pays du Golfe de Guinée. Par contre, la situation du criquet pèlerin reste calme pour l’instant et sous contrôle du fait du renforcement des mesures de surveillance et d’interventions rapides engagées depuis 2020 par la région. Toutefois les infestations subsistent dans la corne de l’Afrique malgré les opérations de lutte engagées, invitant ainsi à maintenir la veille et l’alerte rapide dans la région.
7. La situation pastorale est caractérisée par un allongement de la période de soudure avec le retard observé dans la mise en place de la biomasse herbacée en lien avec les perturbations pluviométriques évoquées ci-dessus. Les animaux s’alimentent toujours avec la biomasse résiduelle de l’année dernière, ils s’abreuvent au niveau des points d’eau permanents et des puits. Cette situation est marquée par une perturbation des mouvements habituels des animaux liée aux problèmes sécuritaires et à la fermeture des frontières consécutive aux mesures liées au Covid-19. La transhumance en direction des pays d’accueil, notamment le Bénin, le Togo, la Côte d’Ivoire et le Ghana demeure difficile. Les fortes concentrations dans les zones paisibles entrainent une surexploitation des ressources pastorales disponibles.
Au vu des constats ci-dessus énumérés, la réunion formule les recommandations suivantes :
A l’endroit des Etats :
• Renforcer et maintenir la veille informationnelle sur la situation des marchés en raison des hausses de prix des denrées de base observées ;
• Développer de nouvelles stratégies de mobilisation des financements requis afin de faciliter la mise en œuvre des plans nationaux de réponses ou de riposte eu égard à la gravité de la situation alimentaire et nutritionnelle particulièrement dans les zones de conflits ;
• Prendre les dispositions nécessaires pour faciliter l’accès des zones de conflits aux acteurs humanitaires ;
• S’investir résolument dans la prévention et la prise en charge de la malnutrition pour renverser les tendances observées, y compris la prise de mesures spécifiques en vue d’un retour rapide au fonctionnement normal des centres de santé ;
• Renforcer la surveillance acridienne au niveau des pays de la ligne de front ;
• Maintenir/renforcer les efforts de surveillance et de lutte contre la chenille légionnaire d’automne
• Renforcer la veille et les capacités d’intervention des agences en charge du suivi des inondations, de la réduction des risques de catastrophes et des aides humanitaires
• Renforcer l’aménagement des espaces pastoraux pour une meilleure production fourragère permettant de maintenir les animaux le plus longtemps dans leurs terroirs d’attache.
A l’endroit du Cilss, de la Cedeao et de l’Uemoa :
• Appuyer les pays de la ligne de front (Mali, Mauritanie, Niger, Tchad plus Burkina Faso et Sénégal) dans la surveillance du risque acridien ;
Poursuivre et renforcer le dialogue régional en faveur de la mobilité transfrontalière du bétail
A l’endroit des Partenaires :
• Contribuer au financement et à la mise en œuvre des plans nationaux de réponses en faveur des populations vulnérables eu égard à la gravité de la situation alimentaire et nutritionnelle, notamment dans les zones de conflits ;
• Accompagner les pays et les Oigs de la région dans l’opérationnalisation des outils de surveillance et de lutte contre les nuisibles majeurs des cultures.