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Engagement du chef de l’Etat en faveur du secteur industriel: «Je soutiens le président à 100 %», confie John Igué

Publié le mardi 29 juin 2021  |  La Nation
John
© Autre presse par dr
John Igué, ancien ministre de l’Industrie chargé de la restructuration des entreprises publiques
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Par Ariel GBAGUIDI,

Ancien ministre de l’Industrie chargé de la restructuration des entreprises publiques, John Igué a géré tout le processus de restructuration du secteur industriel béninois jusqu’à la privatisation ou location des unités de production étatiques. Il revient dans cette interview sur les causes du fiasco industriel béninois et évoque les avantages de la décision du chef de l’Etat, Patrice Talon, de signer le retour de l’Etat dans le secteur industriel.


La Nation : Vous aviez été le ministre chargé de la privatisation des unités de production du Bénin sous le régime Kérékou II. Qu’est-ce qui a ruiné l’expérience béninoise en matière d’industrialisation.

Professeur John Igué : Pendant la révolution, les dirigeants ont voulu structurer l’économie béninoise. Ils ont fait beaucoup d’efforts. Il y a eu plusieurs commissions d’orientation économique. Ces commissions ont débouché sur le fait que sans structurer l’économie béninoise autour des activités industrielles, on ne peut pas moderniser le pays. Et pendant ce temps, ils ont réussi à créer 152 unités industrielles. C’est le plus gros effort que la révolution a fait en y injectant des milliards.
Deux choses ont ruiné cette expérience qui est une expérience de très grande qualité. Dans la création industrielle, non seulement on donne de la valeur ajoutée aux productions locales primaires mais on forme les gens techniquement. Cet aspect de la formation technique est plus important que la rentabilité des entreprises. Or, c’est sur la rentabilité des entreprises que tout le monde insistait. Ce n’est pas seulement la question de la rentabilité, c’est la question de la formation des cadres compétents pour gérer l’Etat. C’est à travers des activités techniques de haut niveau qu’on peut former de grandes compétences et non à travers ceux qui gèrent les parapheurs, les correspondances administratives.
Ce qui se passe aujourd’hui, c’est que tous les cadres de l’administration gèrent les correspondances administratives seulement. Donc, il n’y a pas de valeur ajoutée dans la formation technique. C’est ça le problème que nous avons aujourd’hui, et depuis l’ajustement structurel. Donc, si le président peut faire ça, il va changer la nature de notre administration en conférant à cette administration, de véritables compétences techniques. C’est par l’industrie qu’on peut faire ça. Ceux qui essaient de conférer cette compétence technique aujourd’hui, ce sont les gens du secteur informel à travers l’artisanat essentiellement. Mais au niveau de l’administration publique, il n’y a aucune formation technique, aucune valeur ajoutée à la formation. Rédiger les textes administratifs, faire pousser les parapheurs, ça ne forme pas les gens. Or, c’est ce qu’on fait dans les ministères aujourd’hui. Donc, c’est par les activités productives de haut niveau qu’on peut former des cadres compétents. Or, ces activités productives de haut niveau commencent d’abord par l’industrialisation. Donc, je le soutiens pour ça, à 100 %.
Donc, la révolution a fait toutes ces choses mais elle n’a pas eu les résultats escomptés en ce qui concerne les bénéfices qu’on devrait tirer de la production industrielle. Ces bénéfices ont été compromis par trois situations. La première, c’est le marché d’écoulement parce que si vous voulez faire de l’industrie, il faut régler la question de qui va consommer les produits qui vont sortir des usines. Cette question du marché n’était pas bien réglée à l’époque. Or, tous les efforts qui ont été faits pour produire ici, ont été plombés par nos pays voisins qui ne voulaient pas de notre expérience révolutionnaire. Donc, il s’est posé à nous le problème de marché d’écoulement de ce qu’on produisait à l’époque. Le deuxième problème qu’on a eu, c’est le financement continu des intrants industriels. On n’a pas veillé à cette question. Quand on a besoin des matières premières, il faut les acheter quelque part. Et il faut trouver de l’argent pour le faire. Or, comme on n’arrivait pas à vendre ce que les industries produisaient, on n’a pas pu dégager de profonds bénéfices. Troisième difficulté, c’est la pression internationale venant des bailleurs de fonds à travers les Programmes d’ajustement structurel (Pas) qui ont exigé de tous les Etats sous le Pas, d’abandonner le secteur industriel. C’est à partir de la lutte des ministres de l’Industrie de l’époque, vers les années 89 que la Banque mondiale était obligée de revenir sur sa décision pour dire que si les Etats ne s’engagent pas dans le secteur, il n’y aura pas d’industrialisation en Afrique. Parce que le secteur privé à qui on veut confier l’économie n’a pas la formation qu’il faut pour s’engager dans le secteur industriel. C’est pour cela que ce secteur privé est resté cantonné jusqu’aujourd’hui à des activités spéculatives fondées essentiellement sur les services. A l’exception du Nigéria, il n’y a pas de secteur privé africain qui soit dans l’industrie. Et au Nigeria, ça marche parce que l’Etat a réorganisé le secteur privé autour des spécialisations. Là-bas, ça a été très bien organisé. Les Ghanéens ont suivi les Nigérians en créant certes un secteur industriel dynamique mais essentiellement axé sur les Pme/Pmi. C’est pour cela que je soutiens le président Talon. S’il peut acter le retour du Bénin dans le secteur industriel, il aura sauvé le pays mais à condition qu’il règle les trois problèmes que je viens d’évoquer, et il négocie une marge de manœuvre avec le système international qui ne veut pas que l’Afrique modernise son économie. Tout le système international est un système qui protège ses activités industrielles et veut que l’Afrique soit seulement un marché de consommation.


A vous écouter on a l’impression que le Bénin a connu une forte régression industrielle

Des indépendances à aujourd’hui, l’Afrique a perdu énormément en matière d’expériences industrielles. Comme exemple, jusque dans les années 80, on avait 42 unités industrielles textiles dans la sous-région. Aujourd’hui, il ne reste que 12. Toutes les autres ont fermé par faillite. Donc, on est en régression industrielle dans beaucoup de domaines. Les seules industries qui tiennent encore aujourd’hui, c’est la brasserie et la cimenterie qui sont des industries simples du point de vue de leur structure technique et de leur mode de financement.

Quand vous étiez au gouvernement, comment la privatisation des unités de production s’est-elle déroulée ?

Deux options étaient sur la table : vendre ou louer. Quand on a mis sur le marché l’avis de vente de ce qui est vendable, seules les multinationales étrangères se sont présentées. Aucun national. Ça a été notre premier choc, et le gouvernement a estimé que tout notre patrimoine économique va tomber dans l’escarcelle des multinationales. Ça veut dire qu’on retourne vers la dépendance. On n’a pas vu les nationaux capables d’acheter. J’ai tout fait pour réorganiser les nationaux en association pour qu’ils puissent mettre l’argent ensemble pour qu’on achète. Ils n’ont pas pu à cause de leurs problèmes personnels. Le cas de la Sucrerie de Savè a été un grand choc pour moi. Des lobbies d’importateurs de sucre sur le marché international ont empêché les nationaux de s’intéresser à cette société. Alors que je n’avais besoin que de 10 milliards. Ils ont tout fait pour m’empêcher de mobiliser 10 milliards pour relancer Savè. On avait fait venir les Mauriciens pour nous apporter leur soutien. Les Mauriciens avaient besoin que les banques de la place leur prêtent seulement 6 milliards. Les banques ont refusé. C’est aussi ça les problèmes que nous avons rencontrés dans la privatisation. Pour contourner ces problèmes, on a dû faire les locations. On va louer les entreprises à des gens qui ont de l’argent. C’est par la location qu’on a réglé la question de Savè et d’Onigbolo et de tout le secteur du ciment. Par contre, on a pu vendre la Béninoise parce que c’est juteux. Et malgré que Castel l’ait achetée, il a fermé Parakou. Donc, à la place de deux unités de brasserie qu’on avait, on est aujourd’hui à une. Il y a une réduction de notre expérience industrielle dans ce sens. Mais là où on a connu le plus grand échec, c’est le secteur textile. On a fermé Ibetex à Parakou, on a fermé Sobetex à Cotonou et on a fermé la Sitex à Lokossa. On a complètement échoué alors que nous sommes actifs dans le secteur du coton et aujourd’hui nous sommes le premier producteur de coton en Afrique. Vous voyez que c’est une contradiction ! On a la matière première mais on n’a pas d’unités pour la transformer. C’est pour cela que je soutiens ce projet du président Talon. S’il peut rouvrir les industries textiles, ça va être une très bonne chose.

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En amont à l’annonce du retour de l’Etat dans le secteur industriel, le gouvernement a réformé le secteur éducatif national de sorte que 70 % des diplômés du Bepc soient orientés vers les lycées. Sans risque de se tromper, l’on peut affirmer qu’en partie, ces deux décisions vont de paire puisque vous évoquiez plus haut la question des compétences techniques

Effectivement pour aller vers l’industrie, il y a des réformes préalables. La première de ces réformes, c’est de former les compétences pour l’industrie. Donc, ça aussi c’est une bonne orientation. Ce qu’il dit là, c’est de changer la nature de nos collèges d’enseignement général (Ceg) et de nos universités, de transformer les Ceg qui ne sont que des centres de bavardage inutile, en centres d’activités productives. Mais le problème qui va se poser est où trouver les formateurs, les compétences pour faire cela ? Et il faut mettre en place un programme rigoureux de spécialisation pour qu’on ne crée pas aussi des surplus inutiles. Et en faisant cela, il va changer complètement la question du chômage des jeunes au Bénin. Donc, quand les jeunes seront formés autour des choses productives, ils seront productifs. Je suis d’accord qu’il transforme les Ceg, même à hauteur de 80 %.


S’agissant de votre interrogation sur où trouver les formateurs, le gouvernement a opté pour la formation des formateurs. Bon nombre de spécialistes ont été envoyés à l’étranger dans cette optique afin qu’ils soient véritablement aguerris dans leurs domaines et qu’au bout du rouleau, cela rehausse considérablement le niveau des apprenants. Somme toute, selon vos explications, le président Talon a bien fait de signer le retour de l’Etat dans ce secteur, et pour une expérience industrielle réussie, le pays doit prendre trois précautions.

Absolument ! Je soutiens le président Talon pour cette orientation qui va dans deux sens : l’industrialisation et la réforme des structures de formation scolaire. Sans cette réforme, l’industrialisation ne saurait être possible. Les deux sont liées. Il faut des compétences. Je soutiens cela. Je le soutiens d’autant que les opérateurs économiques béninois sont déjà engagés dans des activités spéculatives et n’ont pas mis en place les compétences et les moyens nécessaires pour s’engager dans l’industrie. Donc, si l’Etat ne prend pas le gouvernail, ceux-là ne le prendront jamais pour les trois raisons que j’ai évoquées plus haut.
Le secteur industriel est un secteur hautement technique, et le secteur privé béninois n’a pas les compétences techniques pour s’engager dedans. Le secteur industriel a besoin de se structurer autour des marchés. De plus, que l’Etat se protège contre la pression des multinationales étrangères et internationales. Le secteur privé ne peut pas y faire face ; seul l’Etat peut le faire. Je vous explique : le secteur privé est fragile, la couverture financière des entreprises privées est fragile. Le secteur privé béninois ne peut faire l’industrie que lorsque les entreprises vont se mettre ensemble. Et la plupart des entreprises privées qu’on a ici sont dans l’intermédiation. Ça veut dire que ce sont des formes de succursales à des multinationales internationales. Donc, elles ne sont pas capables de résister à la pression de ces multinationales qui veulent que l’Afrique soit seulement une poubelle?
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