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Le Professeur Paulin Hounsounon-Tolin, spécialiste des questions éducatives ‘’Sous L’Arbre à Palabre’’: « Talon n’est pas la cause des problèmes de nos universités, mais…»

Publié le jeudi 1 juillet 2021  |  L`événement Précis
Bénin
© Autre presse par DR
Bénin Crise à l’UAC: le Synares contre l`exclusion de 21 étudiants
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Professeur titulaire de Philosophie à l’Université d’Abomey-Calavi, et dans l’espace CAMES, le Professeur Paulin Hounsounon-Tolin est spécialiste d’analyse des questions éducatives et des missions d’une université. Invité du journal L’Evénement Précis’ il jette un regard profond sur l’état de l’enseignement supérieur au Bénin. ‘’Sous L’Arbre à Palabre de L’Evénement Précis’’, l’enseignant du supérieur fait un diagnostic approfondi des maux qui plongent depuis quelques années, l’enseignement supérieur dans une léthargie et qui n’est pas imputable, selon le Professeur Paulin Hounsounon-Tolin au Chef de l’Etat, Patrice Talon : « Talon n’est pas la cause de nos problèmes, il est venu les trouver. Les problèmes énormes que rencontre le système éducatif béninois, il est venu les trouver. La question est de savoir est-ce que lui le premier citoyen dans ce pays souhaite vraiment mener les réformes qu’il faut. Ou bien lui aussi, veuille-t-il se moquer de notre système éducatif ? », s’est-il interrogé au cours de cet échange à bâtons-rompu avec les journalistes. Les réformes menées dans le secteur éducatif ont également été au menu des échanges avec le spécialiste d’analyse des questions éducatives et des missions d’une université. Sans langue de bois, le Professeur Paulin Hounsounon-Tolin s’est également prononcé sur la suspension de l’élection des recteurs des universités du Bénin, la qualité de l’enseignement, le mode de recrutement des enseignants dans les universités ainsi que les missions des universités nationales. Pour l’invité du journal, « Le doctorat est un diplôme de recherche et non un diplôme pour travailler ».

Et si on en parlait

Est-ce que vous êtes d’accord que l’enseignement supérieur est en crise ?
Tout à fait ! Il est non seulement en crise, mais en plus c’est extrêmement grave. Si rien n’est fait, on court le risque de la fermeture.

Vous êtes l’un des acteurs du système LMD. A l’évaluation, est-ce que vous êtes satisfait de sa mise en œuvre ?
Vous me traitez de l’un des acteurs du système LMD. Cela en étonnerait beaucoup parce qu’on a sur le marché des gens qui se disent spécialistes, mais en réalité vous avez parfaitement raison de me traiter de l’un des acteurs du système LMD. En effet, j’ai été envoyé en mission de formation au système LMD au service des relations internationales de l’université de Limoges en 2004 et au Ministère de l’Education Nationale de Paris en 2004 aussi au mois de février. J’ai été Chef service des Relations Internationales et de la Coopération Universitaire à Parakou. Ensuite, j’ai été ramené de Parakou à l’Université d’Abomey-Calavi où j’ai occupé les mêmes fonctions avec cette différence qu’il y a ce qu’on appelle le groupe de pilotage de la Communauté interuniversitaire francophone de Belgique où j’ai eu à piloter ce groupe. C’est à ce titre que j’avais été envoyé en mission à l’université de Limoges et au Ministère de l’Education Nationale de France et c’était du 9 au 20 février 2004. En ce moment, le Bénin avait l’opportunité de démarrer le système LMD en même temps que la France et les autres États Européens. L’Université de Limoges avait signé un accord en janvier 2003 avec l’Université de Parakou et l’Université d’Abomey-Calavi qui étaient les deux universités nationales au Bénin. En 2004 également, le Président de l’Université de Perpignan Monsieur François FERAL avait effectué une mission au Bénin à l’université d’Abomey-Calavi et il était à la tête d’un réseau de plus d’une trentaine d’universités européennes. Et il s’était engagé à aider le Bénin à entrer dans le système LMD en même temps que les États Européens. L’accueil que le Ministère de l’Education Nationale à Paris, surtout le service des relations internationales m’avait réservé, c’était formidable. Le Bénin étant ce qu’il est, en ce moment, le Vice-président des Relations Internationales de l’Université de Limoges était arrivé en mission au Bénin en 2004. Je me rappelle encore, en ce moment le Bénin avait joué un match contre le Cameroun, et le Cameroun s’était déplacé vers ici et le Bénin a été battu 2-1. Mais un but marqué là, c’était la victoire. On a transformé ça en victoire avec émotion. Le Vice-président disait : « C’est bizarre hein, vous, vous êtes engagés dans une coupe que vous pouvez remporter, c’est ce qu’on peut supposer. L’une des équipes adverses se déplace vers vous, il vous bat et vous transformez ça en victoire. Notre coopération-là, est-ce que vous allez vraiment pouvoir en profiter ? » Quelle est la logique dans tout ça ? Bref, en 2004 au mois de juin à Ouagadougou, avait eu lieu un colloque international organisé par la Francophonie sur le développement durable. Jean-Paul Lecertua et Hélène Dejoux m’avaient demandé de préparer un projet appelé « Mutualisation des moyens au niveau des universités dans la sous-région ». En marge de ce colloque, il y a eu une rencontre de tous les vice-recteurs chargés de la coopération universitaire pour nous aider à entrer ensemble dans le système LMD en même temps que les États Européens. On a tout fait, les rapports sont là. C’est de là, que par la suite ils ont commencé par parler de REESAO (Réseau pour l’Excellence de l’Enseignement Supérieur en Afrique de l’Ouest). Bref par la suite, ce sont les amis, on pense aux primes… J’ai des documents ici. On avait commencé à parler de basculement total dans le système LMD dans deux ans, dans trois ans, etc. C’était également au moment où j’étais Chef de Département, – avant d’être Chef de Filière à l’Ecole Doctorale -, que le processus du basculement dans le système LMD avait démarré et en même temps avec les débuts d’informatisation des résultats des étudiants. Aujourd’hui, des gens qui ne connaissent rien dans rien se déclarent spécialistes du système LMD. Je ne vais pas aller dans les détails parce que si je me suis intéressé au système LMD, c’est grâce à mon directeur de thèse en Sciences de l’éducation, initiateur en France des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM). Bref, notre mentalité de ne pas vouloir programmer et respecter les emplois du temps ne permet même pas le bon fonctionnement du LMD. Si on me programme, parce que je suis occupé (occupé à un autre poste) et que je dois négocier pour qu’on revoie l’emploi du temps, vous voyez que la semestrialisation des cours ne peut pas vraiment marcher.

Donc en bref, le bilan est négatif?
Vous pouvez tirer cette conclusion de ce que je viens de dire parce que d’autres diront que cela a marché, surtout ceux qui mangent dedans correctement. Je peux vous dire que c’est des réunions sur réunions, des commissions sur commissions et il y a toujours des jetons de présence.

Le chef de l’État a récemment évoqué le fait que certains enseignants de l’université sont mal formés. Est-ce que c’est votre avis?
Je sais que vous avez fait l’université et vous êtes Docteur en Sociologie. Comment forme-t-on les enseignants du Supérieur en France ? Est-ce différent de ce qu’on voit ici ? C’est la question. Moi, mon directeur de thèse en Philosophie à Paris I, quand il vient, qu’est-ce qu’il fait ? Ce sont ses manuscrits qu’on lit. Il lit ses cours, les livres qu’il veut publier et on pose des questions. Le problème est que le doctorat est un diplôme de recherche et non un diplôme pour travailler. Je crois qu’on va revenir là-dessus. J’ai fait une thèse sur Sénèque, philosophe de l’Antiquité tardive. Ça ne suffit pas du tout pour être spécialiste de Sénèque. Je dois continuer mes lectures et mes recherches au point de me remettre même en cause. Cette remise en cause c’est avec les étudiants. Je prépare un cours, je viens et à partir d’une question d’un étudiant, je peux remettre en cause le cours que j’ai bien préparé. Donc dans mon entendement c’est ce que je sais, c’est ce que j’ai vu dans plusieurs universités françaises, européennes. C’est après le doctorat, quand on est recruté, que l’enseignant se forme lui-même. Il s’agit de la recherche.

Qu’est-ce que c’est que la recherche à l’Université ?
Ce n’est pas le moment de cette question, mais si on oublie ça, on va dire que les enseignants sont mal formés. Quand moi j’ai été recruté en 2000, l’Etat donnait chaque année un quota pour les contractuels et c’est deux ans. La même année l’Etat donne un nombre pour les professeurs permanents. Pour être recruté permanent, il fallait avoir fait deux ans en tant que contractuel. Pendant ce temps, les professeurs nous « surveillaient ». Les aînés, les enseignants qui sont déjà plus gradés que vous, les Maîtres-Assistants, les Maitres de Conférences, les Titulaires vous notent et vous apprécient. Cela vous donne un peu de la peur au moins et si vous êtes mal noté, vous ne serez pas recruté agent permanent de l’État. Au mieux, on va vous envoyer au CBRST. Mais vous n’allez pas continuer à l’université. Qu’est-ce qui s’est passé et entre temps on a laissé ça et on recrute directement APE. Les enseignants qu’on recrute, les jeunes docteurs qu’on recrute, ils sont directement chargés de cours. Ils font des cours magistraux. Ils se comportent comme des professeurs titulaires. La faute est à qui? Aussi bien à l’État qu’à nous-mêmes acteurs. Celui qui a le doctorat, il a été formé non pas pour enseigner d’abord mais pour la recherche et c’est en partageant sa recherche avec ses étudiants qu’il pourra s’améliorer et être utile à sa nation.

Les enseignants en sciences humaines, quelle est leur utilité pour la nation ?
Il ne faut pas confondre une grande école de formation professionnelle et une université. Et monsieur Pierre G. Mètinhoué avait réalisé un document formidable qui l’expliquait bien : Guide ou Manuel de l’étudiant en Histoire et Archéologie en 1985-1986. Ceux qui sont à Porto-Novo, à l’Ecole Normale Supérieure (ENS), ont des matières que ceux qui sont à la faculté n’en ont pas. Ce qui se passe maintenant où chaque département définit les critères de passage, même dans le système LMD avec mot d’ordre « Le Jury est souverain », c’est inadmissible. C’était très clair, même les professeurs venaient s’asseoir à la délibération pour constater les résultats. Les règles étaient définies pour le passage. Allez à la FLASH, chaque département ne fait-il pas comme bon lui semble ? Pour les délibérations, on s’entend en fonction des cas de chaque enseignant, pour définir les critères de délibération en vue des rachats. Je reviendrai plus loin sur l’utilité des enseignants en Sciences Humaines et Sociales.

Le Chef de l’État pendant sa campagne électorale pour sa réélection disait que son gouvernement mettra en place une stratégie pour évaluer à l’interne les enseignants du supérieur, en dehors de ce que fait le CAMES. Pensez-vous que ce mécanisme est possible aujourd’hui ?
Bon, il est le premier citoyen de la nation. Il a bien réfléchi, je ne sais pas comment il veut procéder. Donc je ne peux pas me prononcer à priori et dire que c’est bon ou que c’est mauvais. Par contre, ce que je peux dire, c’est que s’il va le confier toujours aux mêmes acteurs, ne soyez pas étonnés demain que des maîtres assistants, des assistants parce qu’étant nommés à tel poste, évaluent des professeurs titulaires. Ça c’est possible parce qu’on pense aux rémunérations et aux perdiems. C’est ça le problème qui nous tue. Si c’est bien organisé, je ferai ça avec plaisir. Mais si on le fait à contre cœur et parce que si je ne le faisais pas on va me renvoyer et mes enfants ne vont plus trouver de quoi manger, je vais le faire à contre cœur et cela ne va pas me profiter. Je peux vous donner un exemple. Pour renforcer mes capacités un peu managériales en ce qui concerne la gestion des universités et en management, j’ai sorti de ma poche cinq cents mille francs et j’étais allé voir un cabinet à Cotonou. Il y a une dame et un monsieur. Le monsieur est docteur, mais pas enseignant (du Supérieur), la dame n’a que le DESS. Mais ce qu’ils m’ont appris c’est incroyable. J’en ai tellement appris que je suis devenu ami du cabinet et de la dame. Quel est le problème ? Quand ils vont instaurer ça, ils vont confier ça à leurs amis et qu’est-ce qu’on va faire ? On va montrer à l’autre qu’on connait. Et c’est ce qui nous tue.

Le ministre de l’enseignement supérieur que nous avons reçu ici sur la question s’est plaint de savoir que parmi ses collègues professeurs, il y a des gens qui continuent de trainer des fiches qu’ils n’ont jamais actualisées. On ne se demande jamais si on est performant face aux nouvelles réalités.
Si l’évaluation était bien organisée et qu’on confiait à des gens qui ne vont pas se prendre pour des sages et savants alors qu’ils ne connaissent pas, cela passerait. Avez-vous connu ce qu’on appelle tronc commun ? Avec le tronc commun à l’école doctorale, les gens ne traînaient que le même thème. Nous n’avons pas une mentalité de chercheur et notre mentalité ne s’y prête pas. Si je dirige une étudiante que j’ai envie de la draguer, – ou que j’exige de copeck à un thésard -, et que j’en arrive à bloquer effectivement l’une ou l’autre, comment voulez-vous que cela aille ? Or, certains ont fait l’Europe et savent qu’on ne peut pas transiger avec la vérité scientifique. C’est impossible, et pourtant ! Il faut aussi dire que notre contexte ne se prête pas convenablement à la recherche. La Ministre a donc raison de déplorer cela.

Vous finirez aussi par être évalué par vos étudiants
Il y a un doyen, dont je tais le nom, qui déplorait que des professeurs soient des démarcheurs d’étudiants. Des étudiants qui sont en connivence avec ces professeurs. Si on leur demande de noter les professeurs, n’y a-t-il pas de risque qu’ils notent mieux les professeurs avec qui ils font affaire et mal les professeurs qui sont contre cette pratique ? On doit faire beaucoup attention à ce qu’on veut faire dans le monde universitaire comme au Secondaire sinon, on aura le résultat inverse. C’est mon point de vue. Mais en réalité, toutes les propositions sont bonnes. Il n’y a pas de mauvaises propositions. Savez-vous que le Dahomey était beaucoup plus riche que la Côte d’Ivoire au moment de la création de l’Afrique Occidentale Française ? C’était grâce aux rois d’Abomey qui n’avaient pourtant pas eu à faire des réformes. Il faut de la bonne foi et de la bonne volonté. Comme l’a dit Pirithoüs, un citoyen de bon caractère vaut mille fois mieux que la meilleure constitution du monde. Les gens interprètent la meilleure constitution du monde selon leur intérêt du moment. Le président de la République peut ne même pas demander l’évaluation des enseignants par les étudiants. Si ces étudiants, les professeurs et le gouvernement veulent vraiment changer les choses, ils le feront sans tapage et sans les grands mots qu’on entend.

Dans les actes du colloque en hommage au Professeur Gabriel Boko, vous avez publié un texte sur la nécessité de clarification conceptuelle des aires, objectifs et missions d’une université. Vous pensez qu’il y a une confusion sur ces termes ?
Je pense qu’il y a une confusion à tous les niveaux. Ceux qui sont d’un certain âge savent ce que c’est que le moderne court et le moderne long. Le moderne court concernait ceux qui voulaient aller travailler. Et à ce niveau, il y avait un établissement situé à Sikècodji appelé CADMES qui s’occupait de la formation en dactylographie et autres. Mais, que se passe-t-il aujourd’hui ? La FASHS a-t-elle la même mission que l’ENS ? Une grande école de formation professionnelle est autre chose qu’une université. Je vous donne un exemple. Une université, c’est la recherche fondamentale et pour financer cette recherche, on ne peut pas demander de développer d’abord à quoi servira la recherche et le résultat auquel on doit s’attendre. Je vous donne un autre exemple. Dans les grands magasins, il existe des boites de conserve sur lesquelles il est mis : Champignons de Paris. Si un ingénieur agronome ou géographe développeur veut maintenant savoir le type de champignon qu’on peut cultiver dans le sol de Cotonou, on va lui dire de développer le résultat auquel il doit aboutir. Là, il ne s’agit plus d’une recherche fondamentale. La recherche universitaire fondamentale doit prendre le risque de l’échec et c’est l’échec épistémologique qui fait avancer la recherche. Il creuse, fouille et il constate qu’on ne peut pas cultiver tel champignon mais qu’on peut cultiver telle ou telle autre chose. N’est-ce pas déjà un résultat ? J’ai appris que ce qu’on fait à l’université en termes de notion conceptuelle, c’est pour récompenser les amis. Il y a un monsieur qui vous dira qu’on sera toujours confronté à ces genres de problèmes, si on continue avec le remplissage de l’université. Les gens doivent avoir la liberté de la recherche. Quand je vous donne des textes, vous les publiez et c’est très bien apprécié. Mais, savez-vous combien de textes que j’ai jetés ? C’est comme ce que la dame a préparé. C’est ce qui est prêt qui est servi mais vous n’avez pas idée de ce qui a été jeté. Pour écrire un article, je peux passer tout un mois à chercher les références d’une pensée. Et après publication, un étudiant peut me démontrer que je suis dans le faux. Ceci n’est pas du temps perdu. En 2010, Brice Sinsin à l’époque vice-recteur, à l’occasion d’un colloque, a fait venir un compatriote de Dassa vivant aux Etats-Unis qui est venu expliquer comment les laboratoires américains financent les professeurs d’université. Si je prends l’exemple du champignon, les chercheurs font leurs recherches dans les laboratoires, aboutissent à des résultats et vendent cela aux industriels. Et c’est comme ça qu’ils trouvent de l’argent. Il parait même qu’en France, ce sont les universités qui paient le salaire des chercheurs. Si je prends le cas des Sciences sociales, quelle contribution pouvons-nous apporter au développement du Bénin ? Commençons d’abord par savoir ceux qui sont les intellectuels des Sciences Sociales et des Lettres Modernes du Bénin qui ont apporté leur contribution au développement du Bénin. Il y a Jean Pliya qui, malheureusement, n’a été que Maître-Assistant. Mais, je crois que beaucoup d’intellectuels ne le dépassent pas. Il y a Olympe Bhêly-Quenum qui n’a que la Licence, Paul Hazoumè est un instituteur et n’aurait pas eu le BEPC. Néanmoins, pour être à la hauteur de Kant et des Jean Pliya, il faut au moins aller à l’université. Mais, allons-nous avoir des Kant avec nos doctorats ? Si tant est que le rapport entre formation et employabilité préoccupe tant le gouvernement, pourquoi ont-ils supprimé le DESS et les ingénieurs des ponts et chaussées, etc., ne sont plus considérés comme les plus hauts diplômés de notre fonction publique et on entend souvent parler maintenant de Docteur ? Dans la fonction publique et jusqu’aux années 2000, les diplômes les plus élevés étaient les DESS et diplômes des ingénieurs agronomes, ceux des ponts et chaussées. Aujourd’hui, ces derniers ne sont plus considérés. Aujourd’hui, tout le monde est docteur alors qu’il n’y a rien derrière. Au début des années 2000, on criait BTS qui était vu comme le prototype de la formation qui permet l’installation à son propre compte. Mais, combien de gens formés ont-ils pu être installés à leur propre compte ? Combien de ceux qui ont été formés à Porto-Novo ont été installés à leur propre compte alors qu’on encourage la création des écoles privées de formation des maîtres ?

Donc les universités ne forment pas pour l’employabilité immédiate ?
Mon rôle en tant que spécialiste en Sciences de l’éducation et en Philosophie n’est pas de former les gens pour un métier. Je n’interviens pas à l’ENS. Je leur apprends à réfléchir et même dans le chômage, ils pourront le faire. Je leur apprends ce que les Mathématiciens appellent une solution élégante. Et une solution élégante, c’est la solution la plus simple possible et la plus efficace en même temps. C’est la solution que les chirurgiens appliquent sur les tables des opérations chirurgicales. C’est la seule possible et capable de sauver un patient en danger de mort. Sa simplicité et son efficacité évidente ne laissent aucune place à des discussions. Une solution élégante, c’est la solution la plus simple et la plus efficace, mais il fallait être Jules César pour trouver cette solution sur un champ de bataille, – au milieu même de la mêlée et quand Rome est en danger -, pour sauver Rome. Le plus grand poète que le monde ait jamais connu s’appelle Virgil et c’est un Romain. Et c’est lui qui a redonné naissance à Rome, seulement par ses écrits. Dans le document de l’étudiant d’histoire et d’archéologie de Pierre Mintinhoué, le nombre de matières à étudier est bien indiqué. Ceux qui sont inscrits en histoire doivent suivre un certain nombre de matières. Mais ceux qui sont inscrits à l’ENS ont un bus à leur disposition, viennent suivre toutes ces matières et en plus de cela, quatre autres matières ainsi que des sorties pédagogiques. Ce qui les prépare au métier d’enseignant. Est-ce que moi je suis à l’ENS ? Je n’ai pas pour mission de former au métier de l’enseignement. J’ai pour mission de former à la réflexion et j’ai aussi pour mission de prouver à mes concitoyens que ce que je fais est utile. Pour commencer par écrire dans votre quotidien, j’ai dû l’apprendre parce que le style journalistique et le style d’un essai ne sont pas pareils. Les grands physiciens d’aujourd’hui publient des revues et des essais de vulgarisation : « Qu’est-ce que c’est que la théorie du chaos ? » N’importe quel intellectuel pourrait comprendre cela. Donc, il faut que les autorités rectorales, décanales, ministérielles et même au niveau de la présidence fassent la part des choses. C’est normal de mettre l’accent sur la formation professionnelle tout en sachant que tous ceux qui seront formés ne puissent pas se prendre en charge. J’ai un ouvrage qui prouve que la plupart de ceux qui dirigent les banques allemandes n’ont même pas le Baccalauréat. S’il y a du travail dans le pays, on va se moquer des diplômes. Vous savez combien gagne un balayeur de rue en France ?

A propos des recrutements, que pensez-vous de la note de service portant suspension de sélection des agents de l’Etat par les Conseils scientifiques des UNB, la note du MESRS pour les sélectionnés de 2017 qu’on ne voit qu’en novembre 2020 et l’arrêté rectoral reclassant des fonctionnaires pour l’UAC et qui n’ont jamais pris service ?
Je crois que vous m’avez posé la question en disant qu’une autorité du pays aurait dit que les enseignants sont mal recrutés. Comment comprendre ça là maintenant ? C’est la ministre de l’enseignement supérieur qui avait pris cette note de service suspendant le reclassement, c’est-à-dire que ceux qui sont dans les ministères, ceux qui sont au secondaire, dès qu’ils ont leur doctorat, en principe, s’ils ont eu l’autorisation d’aller préparer le doctorat, pourraient être détachés à l’université. On a mis fin à cela. Ils savent que la note serait toujours en vigueur. Mais en 2017, des gens auraient été détachés parce qu’ayant eu le doctorat pour prendre service à l’université. Mais on ne les a pas vus jusqu’en novembre 2020. Et il y a l’arrêté ministériel de 2020 qui leur demande de fournir les pièces nécessaires. Entre temps aussi, en 2019, il y a un arrêté rectoral signé par le recteur et le vice-recteur, chargé de la recherche académique, qui détache des fonctionnaires soit en service au secondaire, soit dans d’autres ministères, à l’université. A la date d’aujourd’hui, ils n’ont jamais pris service. Dans ces conditions, nous sommes tous coupables et fautifs ou pas ? Et feu Félix Iroko avait bien raison de dire ça. Nous sommes tous coupables dans cette affaire des problèmes de notre système éducatif. Ça ne va pas. Il y a l’un de mes assistants, son dossier n’a jamais été clarifié, et il gagne toujours un salaire d’instituteur, alors qu’il est à l’université depuis des années. Ça fait pleurer ou pas ? Cela n’est pas possible sans notre participation, nous-mêmes enseignants, nous-mêmes étudiants, nous-mêmes jeunes docteurs.

Peut-on alors dire que le recrutement est politisé ?
Qu’est-ce qui n’est pas politisé au Bénin ? Pour être recruté à l’université, pour soutenir sa thèse de doctorat, les conditions de direction et de soutenance restent vraiment à désirer.

Certaines rumeurs circulent sur la suspension des soutenances de thèse à l’Ecole doctorale de la Flash, parce qu’un nombre important de docteurs qu’elle forme sont au chômage. Ces rumeurs sont-elles fondées ?
D’abord, je ne traite pas des rumeurs tout en sachant que les opinions sont porteuses de significations méritant d’être psychanalysées. Je sais qu’elles cachent des vérités. Maintenant, de mon point de vue, votre question comporte deux volets. Un, les docteurs ne sont pas formés pour trouver du travail. Un docteur est formé pour réfléchir. S’il est incapable de réfléchir, ça fait son problème. Il a été mal formé, donc il ne mérite pas le doctorat et les gens se sont entendus pour lui donner le doctorat. Le gouvernement recrute pour la recherche à l’université, le gouvernement ne peut pas recruter tout le monde. Ce qu’il fallait déplorer, est-ce qu’on accorde les mêmes chances à tout le monde dans le processus de recrutement ? Si on pose le problème dans ce sens, je serai d’accord. Mais si c’est sur la base de « qui tu connais ? » et non « qu’est-ce que tu connais ? », ce n’est pas bon. Maintenant, vous parlez de rumeurs, pour fermer. S’il y a rumeurs, c’est que ceux qui devraient fermer ne veulent pas fermer. En lançant des rumeurs, c’est qu’ils demandent à la mafia de tout faire pour qu’on ne ferme pas. C’est simple ! Ceux qui ont leurs intérêts vont se mobiliser pour qu’on ne ferme pas, parce qu’il y a des intérêts en jeu. On parle de rumeurs, c’est parce qu’on ne veut pas fermer. Sinon, l’autorité réfléchit, choisit les gens qu’il faut et mûrit la question et prend une décision. Mais quand des rumeurs circulent, ceux qui ont leurs intérêts en jeu, et qui sont toujours les mêmes, ils vont tout faire pour qu’on ne ferme pas. Il faut qu’on se dise la vérité, et étudiants et enseignants, autorités décanales, autorités rectorales, autorités politiques à divers niveaux. Si le clientélisme ne cesse pas à l’université, on va tout faire, mais on ne va pas avancer. On n’aura pas des universités dignes de ce nom. Il y a un jeune professeur, il y a deux ans comme ça, qui a dit sur la Télévision nationale que le Bénin forme plus de docteurs en géographie que le Canada et la France réunis. On a entendu au niveau ministériel, au niveau rectoral, au niveau décanal, au niveau des professeurs, au niveau des journalistes, au niveau des acteurs sociaux, etc., mais ça a fait quoi à qui ? Est-ce que c’est possible ? Quelqu’un qui a plus de 15 thèses qu’il dirige en même temps, c’est sérieux ça ? Les formations doctorales coûtent 2 à 3 fois plus cher au Bénin que dans la sous-région. Curieusement, le Bénin fabrique plus de docteurs que tous les pays de la sous-région. La norme universelle ne se situe-t-elle pas autour de 5 thèses ? Un collègue vient d’évoquer le cas des études germaniques dont on refuse l’ouverture d’autorisation. On a quand même besoin de quelques docteurs ou non ? Il faut trouver un mécanisme pour former. Comment les gens arrivent à produire tant de docteurs et personne ne cherche à savoir ce qui se passe réellement ?

Visiblement, vous soupçonnez quelque chose …
Je soupçonne ou c’est compte tenu de ce qu’on dit ? Je ne soupçonne rien.

Vous êtes un acteur du système, ce n’est pas le gouvernement qui produit les docteurs …
Je vous ai toujours dit que c’est nous. Reconnaissez quand même que j’ai été honnête en disant que nous sommes tous coupables aux niveaux gouvernemental, rectoral, décanal, enseignant, etc.

Qu’est-ce qu’on doit faire pour arrêter la saignée ?
Je donne un exemple concernant le CAMES. Je crois que c’est avec la promotion de l’année 2019. C’est en février qu’on envoie les dossiers et tout le monde sait que c’est l’Etat qui prend les frais en charge. Et on sait que quand on est admis au CAMES, on connait de reclassement. On a laissé envoyer les dossiers, et après on déclare que les intéressés vont payer eux-mêmes les frais. C’était de l’injustice, mais certains ont payé eux-mêmes. Le même rectorat, l’année suivante, avait envoyé au CAMES aussi bien les dossiers de ceux qui avaient payé lesdits frais que ceux de ceux qui n’en avaient pas payé. Après, on a dit aussi qu’ils ne seront plus reclassés automatiquement. Nous sommes des universitaires. Si nous-mêmes nous nous respectons, est-ce qu’on peut nous imposer une telle décision comme ça ? Il y a des départements où il y a plus de 8 titulaires, il y a d’autres départements où il n’y en a pas du tout. Pourquoi ne pas commencer par accorder la priorité aux départements qui n’en ont pas ? C’est ce que je voudrais dire. On mûrit la décision, on la prend et on la respecte. En France, mon amie Edwige CHIROUTER, de l’Université de Nantes, qui a monté un projet maintenant pour l’Union Européenne auquel j’ai participé, elle a eu l’habilitation depuis 2 ans, mais elle n’est pas titulaire. Quel est le problème ? C’est quand un poste se libère qu’on fait appel aux candidats. Et celui qui gagne prend le poste. Mais ici on en crée en désordre. Pourquoi ne pas commencer par mettre fin à ça d’abord ? Tout se passe comme si on fait tout pour ne pas fournir les efforts qu’il faut. Si dans tel domaine, ils sont déjà 10 titulaires, il ne faut même pas chercher à savoir ceci ou cela.

N’est-ce pas ce qui a amené le chef de l’Etat à dire que le processus de recrutement des assistants à l’université n’est pas du tout concurrentiel ?
Le problème est qu’au moment où j’ai été recruté, je pense que c’était plus simple et clair que ce qui se passe maintenant …

Vous avez été recruté par cooptation ?
Non. Tout d’abord, au moment où j’ai été recruté j’avais un cousin qui est au rectorat, et qui m’avait dit que je serai directement agent permanent de l’Etat. Après il m’a envoyé vers Soumanou Toléba qui était chef personnel de l’université et président de l’« Association des jeunes docteurs ». On militait ensemble. C’était bien quand même. Madame Ladékan aussi faisait partie de l’association. C’est de là que quand j’ai été voir le Doyen Bognianho, il me disait qu’il a vu mon dossier, que c’est un excellent dossier, mais qu’il ne peut pas me promettre de me recruter, que je ne pourrais être recruté si on lui donne quatre postes, parce qu’il y a un département qui avait de problèmes. Heureusement qu’on lui a donné quatre. Et, on m’avait promis que je serai permanent en même temps. Après M. Toléba m’a expliqué que non, il fallait faire deux ans de contractuel et se faire examiner et évaluer d’abord. Et si on pense que vous pouvez vraiment, c’est de là que vous pourrez devenir permanent. Mais je dis pourquoi ils ne procèdent plus comme ça maintenant ? Est-ce que vous savez qu’actuellement il y a des assistants qui ont des assistants ? Des gens recrutés depuis 2007 sont toujours assistants ayant d’assistants officiellement ou non.

Le chef de l’Etat constate que le processus n’est plus concurrentiel. Etes-vous d’accord avec lui ?
Oui. Je sais qu’il y a de jeunes docteurs qui viennent discuter avec moi. Ils veulent qu’on les fasse composer, qu’on les interroge. Mais qui va les interroger ? C’est toujours les mêmes. Mais si on veut rendre le processus concurrentiel, ils vont faire recours à qui ? C’est les mêmes personnes ? Des gens qui ne sont pas fatigués d’occuper des postes depuis plus de 8 ans, 10 ans, 15 ans, 20 ans et qui sont dans tous les réseaux ?

Mais c’est toujours vous, les professeurs titulaires …Vous êtes sûr qu’on ne vous associe pas ?

Il y a ceux qu’on associe et il y a ceux qu’on n’associe pas. C’est un réseau et de la mafia. Tout est devenu affaire de réseau, de mafia et de clientélisme.

Pourquoi on ne vous associerait-on pas ?
Je voudrais répondre d’abord ceci. Rendre le système concurrentiel, c’est très beau, mais si on rendait le système concurrentiel et qu’on recrute les gens, s’ils viennent dans le système et se comportent comme nous qui sommes dedans, est-ce qu’on aura le résultat escompté ? Je crois que le Professeur feu Félix Iroko a raison. Le problème devrait être d’abord, comment rendre performants ceux qui sont dedans ? Si on ne les rend pas performants, et qu’on en amène d’autres, ils vont se comporter comme eux ou pas ? Quelqu’un a dit tout à l’heure que la ministre a dit qu’il y a des enseignants qui ne modifient jamais leurs fiches. S’ils veulent corriger notre système là, pourquoi ne pas commencer par exiger l’assistanat réel. Celui qui vient d’être recruté ne peut pas être autonome sur les enseignements. Pourquoi ne pas faire en sorte que ceux qui se contentent des articles d’autrui pour se faire passer au CAMES, ceux qui sont plusieurs sur le même article, pourquoi ne pas commencer par corriger par là. Si on rend concurrentiel, c’est beau. Mais ceux qui seront recrutés par un concours concurrentiel, ne se comporteraient-ils pas comme les autres qui sont déjà dans ce système ? L’aspiranat ne peut pas être la solution de mon point de vue. La solution est de commencer par ce qui est plus facile. Il y a récemment un rappel du Recteur d’Abomey-Calavi à propos de la fusion des laboratoires. Les recrues ne sont pas sous l’autorité pédagogique d’un MA, d’un MC ou d’un PT. Ils sont autonomes et dispensent leurs enseignements en se comportant comme des Profs de Rang A. On ne pense nullement régler ce problème, mais ce qui préoccupe, hic et nunc, c’est le regroupement des laboratoires. Des laboratoires sont installés en ville et dans des domiciles personnels.

Faisant déjà ses preuves dans l’enseignement primaire et dans l’enseignement secondaire, l’aspiranat dans le supérieur pourrait combler le vide du personnel enseignant. En tant qu’acteur du milieu universitaire, cette proposition du Chef de l’Etat est-elle idoine ?
Si vous dîtes que cela fait ses preuves, alors tout va parfaitement bien. Est-ce qu’on est vraiment sûr que ça a déjà fait ses preuves ? Au secondaire, il y a eu les contractuels locaux et les permanents, les vacataires… Et on ajoute encore l’aspiranat. Qu’est-ce qui prouve qu’un autre gouvernement ne va pas amener une autre réforme ? On s’amuse avec notre système éducatif. Ils ont amené dans ce pays la Lepi pour nous dire que c’est un outil de développement. Après, un autre nous ramène le Ravip pour nous dire que c’est un outil de développement. Qu’est-ce qu’ils veulent faire de notre pays ?

De plus en plus, il est évoqué le problème d’employabilité des étudiants à l’issue de leur formation universitaire. Qu’est-ce qui empêche l’adaptation des offres de formation de Licence Master et Doctorat aux exigences du marché ?
L’objectif du système LMD est de permettre que la mobilité des étudiants ne pose pas de problème dans les autres universités. Si vous étiez inscrit à l’ENS, allez-vous recevoir la même formation que celui qui est inscrit dans une faculté ? Non. Celui qui est inscrit à l’ENS se prépare pour le métier d’enseignant. Et par ailleurs, on peut être formé dans une école professionnelle, avoir un diplôme professionnel et se retrouver en chômage.

Monsieur le Professeur, est-ce qu’il est aisé de produire et de publier des travaux de recherche scientifique au Bénin ?
Pas du tout. Parce que dans notre système éducatif, nous ne collaborons pas entre nous pour pouvoir nous entraider. Quand les gens corrigent votre texte ici, ils vous embrouillent et cela ne nous favorise pas. Au Bénin ici, notre niveau de culture générale est trop faible. Il faut aussi qu’on ait des éditeurs dignes de ce nom et non préoccupés seulement par le gain facile.

Une fois ses travaux publiés, qu’est-ce qu’ils apportent réellement, en termes de plus-value, au développement du pays ?
En ce qui nous concerne, en Sciences Sociales et Humaines, c’est d’avoir des Jean Pliya, Olympe Bhêly-Quenum. Mais ceux-là ne sont pas des Maîtres de conférences, mais c’est plutôt une question de vocation dans notre domaine. On peut ne pas être diplômé et être un grand romancier. Il faut nous remercier d’abord, c’est notre contribution de publier. Ensuite, les gens vont lire. Vous ne pouvez pas dire que ce que nous écrivons ne sert à rien.

Professeur, quel regard portez-vous sur le Conseil National de l’Education ?
Si tout était bien fait, le CNE devrait être l’académie du Bénin en matière de recherche scientifique et d’éducation. En principe, un académicien devrait être quelqu’un au sommet de son domaine d’investigation. La lettre que le Président du CNE avait envoyée aux deux universités nationales du Bénin, au moment il n’était pas encore membre de cette institution, s’il pouvait mettre son contenu en pratique, il aurait réglé le problème majeur des universités. La lettre disait que durant le cursus universitaire de tous les étudiants de licence en Droit, il doit y avoir les mêmes matières. Il est question du même parcours pour tous les étudiants. Si nous mettons cela en pratique, ce serait largement suffisant. Si on fait ça au niveau de la Philosophie, des Lettres modernes, du Droit, à tous les niveaux, le CNE ne serait-il pas l’académie du Bénin en matière de recherche scientifique et d’éducation ? Cela va constituer le noyau dur de la formation.

Vous voulez dire que l’existence du CNE est vraiment indispensable ?
Je vous ai dit que rien n’est indispensable. Pourvu que les citoyens soient conscients de leur devoir civique. Il y a quelques années, Monsieur Gbaguidi Noël, le Président du CNE, a été invité en Côte d’Ivoire et il a constaté que ce qui a été proposé là pourrait servir à son pays. Il a pris sa plume, il a écrit aux deux recteurs. Ça prouve que s’il peut déjà commencer par-là, il aurait rendu d’énormes services à cette nation.

Quelle appréciation faites-vous alors des réformes universitaires que le chef de l’État a proposées depuis qu’il est arrivé ?
Je serai sincère avec vous et je dirai ce que j’ai dans mon cœur. Monsieur Talon n’est pas la cause de nos problèmes, il est venu les trouver. Les problèmes énormes que rencontre le système éducatif béninois, il est venu les trouver. La question est de savoir est-ce que lui le premier citoyen dans ce pays souhaite vraiment mener les réformes qu’il faut. Ou bien lui aussi, veuille-t-il se moquer de notre système éducatif ? Je dis se moquer parce que, avec le Ministre Bagnan, les frais d’écolage universitaires étaient à 6200F CFA. Il avait dit que c’est l’UEMOA qui exige l’harmonisation de ces frais au niveau des Etats membres et qu’il fallait porter ça à 25.000F CFA. On les avait portés à 15.000F CFA. Avec Yayi Boni, c’est la gratuité. Qu’est-ce qu’il veut faire concrètement ? Vous voyez, M. Talon a déjà fait 05 ans. Je fais partie de ceux qui ont milité pour lui. Le 20 janvier 2016, je n’ai pas mangé jusqu’à 23 h parce que je battais déjà campagne pour lui à Bohicon avec son ami personnel et particulier d’Azali d’Abomey. Je souhaite qu’il nous aide. Ce n’est pas lui le responsable ni le coupable de notre système éducatif. Avant lui, Djemba avec Yayi avaient dit que personne ne doit plus redoubler. L’arrêté existe. Il est venu, il a dit que pour passer de la 3ème en 2nde, il faut avoir le BEPC et la moyenne. Un an après, on revient sur ça.

Vous oubliez que c’est lui qui a supprimé l’élection des recteurs ?
Vous savez aussi que quand j’ai été envoyé en mission dans le cadre des LMD, c’était pour permettre à ce que le Bénin commence en même temps le LMD que l’ère de la décentralisation de l’Université (élection). J’ai suivi ça de près. J’ai préparé la mission des recteurs, comment organiser les élections. Bref, ça veut dire que j’en sais quelque chose. Le processus de l’élection des recteurs avait été engagé. Et on exhibe une note de service pour dire qu’il faut nommer. On en était là, la fin du mandat des recteurs élus est arrivée, on les a laissés. Et après on prend une décision en conseil des ministres pour dire qu’on les maintient en activité. Est-ce qu’on veut vraiment réformer ? Parmi les Doyens, Directeurs, Vice-doyens et Directeurs adjoints, il y en a qui étaient à quelques mois de la fin de leur mandat. Mais, on a laissé les uns et on a écarté le mandat des autres. Les réformes sont comme des révolutions. Un pas en avant, un pas en arrière, on ne peut plus vous croire. Le plus important, il a déjà fait 05 ans et il a entamé 05 ans, est-ce que de sérieuses réformes ont été menées et portent leurs fruits ? Ou bien, c’est pendant les 05 ans à venir là qu’il va engager les réformes et les mener à terme comme il faut ?

Vous ne savez pas clairement, ce que Talon veut faire du système universitaire ?
J’aimerais savoir davantage le fondement, vraiment la philosophie de ses réformes.

Il dit qu’il y a du bavardage à l’Université…
Moi, j’ai été formé pour faire quoi ? Pour bavarder. Et vous-mêmes les journalistes, vous faites quoi ? La parole est sacrée. Pourquoi les gens n’ont pas pu construire la tour de Babel ? C’est parce qu’ils ne peuvent plus bavarder. S’il n’y a pas théorie, si vous ne bavardez pas, la construction de la tour va s’arrêter. C’est vrai ou c’est faux ? On a dit que les Israéliens ne doivent pas manger la viande du porc. Mais voici que les mêmes Israéliens, à partir des gènes du porc, font cultiver une espèce de carotte bien succulente. Est-ce que les Israéliens ont le droit de manger la carotte développée avec les gènes du porc ? C’est la question de l’Ethique, de la Philosophie Morale. C’est notre domaine. L’homme est fait pour bavarder. Pourquoi le président au cours de sa campagne ne s’est pas contenté de ses réalisations ? Tout ce que la Rome antique, le gigantesque Empire des Césars, la Rome d’aujourd’hui, l’Occident même et le monde entier, doit à la puissance des cordons vocaux de Marcus Tullius Cicero (Cicéron), les historiens et les hommes politiques avertis le savent bien.

L’Université forme pour le bavardage, vous confirmez cela ?
Non. Quand j’ai entendu le premier citoyen prononcer la phrase du bavardage, j’ai discuté avec l’un de ses proches. Il m’a dit exactement ceci : « Il faut comprendre qu’il répond à quelqu’un. » Et il m’a donné le nom d’un acteur politique. Et il a ajouté ceci : « Toi, Paulin Hounsounon-Tolin tu bavardes ? » Ce que tu publies avec L’Evénement Précis, ce n’est pas utile ? Si ce n’est pas utile, ne perdez plus votre temps à publier des textes.

Pouvez-vous nous expliquer alors la spécificité du bavardage à l’université ?
Monsieur Docteur Gérard AGOGNON, merci de cette question. A l’université, nos différents points de vue sont des thèses que chacun défend selon son domaine de spécificité, son niveau de culture générale et ses sensibilités. De différents points de vue, jaillit la vérité. Et c’était ainsi qu’est née la Science avec les différentes réponses divergentes des Présocratiques à propos de la fameuse question « De quoi se compose l’univers ? ». C’est-à-dire quel est l’élément premier du monde, de l’univers ? Par exemple, la Science d’aujourd’hui discrédite celle d’hier, mais cela ne signifie nullement qu’elle ne lui doit rien. Evidemment, cela pourrait paraître comme du bavardage aux yeux des non-initiés. Mais, au niveau même de la cohésion d’une nation, c’est ce qui convient : le bavardage en vue d’un dialogue inclusif constructif. Car, le caractère d’« animal politique de l’homme », c’est à l’image d’autres animaux à caractère politique comme les fourmis, les termites, les abeilles, etc. C’est la capacité de se mettre ensemble avec ses congénères en vue d’un objectif commun. Et cela est possible justement grâce au fait que l’homme soit doué de la capacité de produire du son, de la parole, pour exprimer ce qui est juste et ce qui est injuste. Le langage distingue l’homme de l’animal. Et c’est pourquoi, l’absence de bavardage en vue d’un dialogue consensuel, à un moment donné de l’histoire d’une nation, entraîne toujours de sérieuses crises mettant à mal la cohésion sociale, nationale, voire l’esprit patriotique.

Vous avez dit tout à l’heure que l’Université ne forme pas pour l’employabilité. Enfin de compte, l’Université forme en quoi ?
J’ai bien répondu à la question en me référant au manuel de l’étudiant du professeur Pierre Goudjinou Mètinhoué. Comment se fait-il que les gens s’entassent à la Flash ? Pourquoi l’État ne cherche pas à comprendre les conditions de passage ? Les professeurs ne peuvent pas dire que le jury est autonome et faire racheter comme bon leur semble. Les conditions et les critères de passage devraient être, a priori, les mêmes au niveau des départements en régime d’LMD. Mais les problèmes de notre pays sur les questions de la faiblesse du niveau de culture générale, ne vous intéresse pas ? J’ai entendu une phrase des amis qui sont chargés d’étudier les dossiers du CAMES cette année. Ils ont dit qu’on a fait la promotion des médiocres qui nous dirigent aujourd’hui. C’est à propos d’un collègue. Il n’y avait rien dans son dossier et un autre collègue disait quoi ? Quand les résultats vont sortir, il sera le premier à être reçu. Vous connaissez le système. Vous savez, j’ai ici des références que je voudrais vous donner. C’est Vitruve, architecte romain qui conseille à ses collègues de faire un peu de philosophie pour ne pas exiger de gros honoraires de la part de ceux à qui ils rendent service. En France, si un ouvrage de vulgarisation sort sur les questions de développement, tous les intellectuels l’achètent pour le lire. Vous savez qu’ici les gens peuvent faire leur thèse en histoire sans jamais lire Hérodote. En philosophie, les gens peuvent ne pas avoir lu Aristote et passer leur thèse.

Vous validez ces thèses ?
Ce n’est pas ce qui me préoccupe. Et ce sont ceux-là qui sont mal formés et qui nous dirigent aujourd’hui. S’il y a élection, ils sont dans les réseaux. S’il y a nomination, ils sont là. Parce que si vous rendez service, on va vous rendre service après. C’est le grand sociologue Francis Akindès de l’Université de Bouaké qui nous disait, lors d’une rentrée académique, que si vous avez volé 100 millions, vous n’irez jamais en prison. Mais si vous avez volé 5 millions, vous irez pourrir en prison. Avec 100 millions, vous aurez le temps de bien huiler la machine et la machine ne se bloquera jamais sur vous. Et c’est ce qu’ils font. On ne peut pas tout dire. Mon ouvrage sur la question des droits de l’homme, quand j’ai présenté ça, le vice-recteur, d’alors, qui était là a trouvé que c’est très mauvais. Allez sur Google, c’est mon ouvrage le plus coté pour le moment. Le problème, c’est ceci : il (un Prof étant intervenu) et a parlé de sa demande d’ouverture de la filière à l’école doctorale en études germaniques. Je suis informé. Moi aussi j’ai un dossier de ce genre. On prend les amis qu’on met à la tête de ces institutions. Ils n’ont même pas le niveau. Voilà ce qui se passe. Si vous avez été Contrôleur une fois au Bac, vous allez comprendre. Certains correcteurs qui n’ont pas le niveau des enfants dont ils corrigent les copies. Et c’est trop délicat pour en parler, non ?

Ça veut dire que vous dites qu’il faut améliorer le niveau de culture générale à toutes les couches ?
Nous n’avons pas le choix. Monsieur Awanou Norbert, j’ai oui dire qu’il lui arrive d’écrire à des pré-rapporteurs : « Avec ce que toi-même tu as mis dans le pré rapport (de thèse Ndlr), tu ne peux pas autoriser la soutenance. » Pourquoi j’ai donné cet exemple ? On n’a pas besoin d’être agrégé en philosophie avant de savoir quand même quelques bribes de la philosophie. Mais ceux qui nous dirigent à divers niveaux n’ont pas souvent le niveau de culture générale convenable. Pour Platon, il y a nécessité de passer d’abord par une propédeutique pour tout disciple. Et la pédagogie d’Aristote exige des préalables avant l’étude de l’Analytique. C’est une question de nécessité de culture générale. Evidemment, quand un aveugle conduit un bien voyant, ils tombent tous deux dans un gouffre avec tout leur entourage. Et c’est bien ce qui nous arrive maintenant !

S’il vous était donné de conclure ?

Je vais me répéter en disant que ce n’est pas Monsieur Talon qui est la cause des problèmes de notre système éducatif. Mais la question est de savoir s’il veut vraiment réformer notre système éducatif. Quelle réforme veut-il partager avec nous ? Ou bien veut-il nous imposer des réformes ? Est-ce que lui aussi ne veut pas s’amuser avec notre système éducatif ? Si non, comment comprendre que sous Kérékou, on a parlé d’harmonisation avec l’Uemoa et de 6 200 F on est passé à 15000f pour les frais de scolarité à l’université et que sous Boni Yayi, on est passé sous la gratuité et puis à c’est à combien aujourd’hui ? Notre système éducatif, si Talon veut vraiment le réformer, il va le faire. Je crois que tout le monde le reconnait comme un grand travailleur. Au Bénin, on le reconnaît d’être le premier privé ayant le mieux réussi dans les affaires. Donc, c’est un grand travailleur. Pour dire qu’en bon travailleur, il sait que le travail appelle le repos et le repos appelle le travail. Depuis 2005-2006, savez-vous qu’on n’a plus de vacances à l’université ? Avant 2006, on a deux mois et demi de vacances. Depuis 2006, on n’a plus les congés. Qu’est-ce qui fait qu’on n’a plus de congés ? Un enseignant qui n’a pas de congé, comment voulez-vous qu’il donne le meilleur de lui-même ? En août, on nous donne un mois, mais c’est le moment pour le département de nous convoquer pour des réunions. Si ce n’est pas le rectorat qui invite, pour telles ou telles pièces, c’est la faculté qui trouve des choses à nous demander… Si Talon le veut, il peut changer les choses. Il exige que la rentrée commence en septembre. Mais, les Primaires et les Secondaires n’ont pas eu deux semaines pour les congés de Noël, de Pâques et une semaine pour les congés de détente, cette année par exemple. Certains établissements privés et Séminaires ne respectent pas les calendriers des congés et des vacances proposés par l’Etat. On doit nous serrer pour que nous puissions respecter nos emplois du temps. Mais il y a des gens qui sont à des postes juteux qui veulent qu’on revoie tels curricula, tel emploi du temps de sorte qu’on ne prenne jamais au sérieux la semestrialisation. Il y a des gens qui prennent les enseignements mais ne les assument pas et c’est des assistants par-ci, par-là, et qui devraient voir faire, qui deviennent des remplaçants permanents. Ce n’est pas bien. Je ne suis pas acteur politique mais théoricien de la politique car, quand on m’invite dans les fora, les grandes réunions pour parler ou pour présider des jurys de thèse de doctorat, c’est surtout par rapport à la Philosophie la morale et politique, – Philosophie du langage et Sciences de l’éducation -, parce que ça fait partie de ma formation. Il faut reconnaitre que chacun doit assumer ses enseignements comme il faut. Quand on parle de solidarité gouvernementale, cela ne veut pas non plus dire que chaque ministre est tenu d’approuver les erreurs de l’autre ministre. Mais ça signifie plutôt que si ça marchait au niveau d’un ministère et que ça ne marchait pas au niveau de l’autre, ça ne marcherait pas pour l’ensemble du gouvernement.

Carte d’identité: Philosophe avant tout

Le Professeur Paulin Hounsounon-Tolin est né à Bohicon le 17 novembre 1963. Issu d’une famille extrêmement modeste dans un hameau du village Hlanhonou très pauvre, il prend pourtant l’école très au sérieux. Mais il n’a dû son salut qu’au refus de sa mère qui ne voulut pas le laisser faire la menuiserie, compte tenu de son alimentation très délicate. Il obtient le CEP en 1977 à l’Ecole Publique Mixte de Zogbodomey. BEPC en 1981 et BAC Série A1 en 1985, à Bohicon, il s’inscrit en Histoire à l’université. « Quand j’étais venu à l’université, j’étais pratiquement le seul étudiant de Zogbodomey. Aujourd’hui, ils sont plus de 500 », se rappelle-t-il encore ! Après les deux premières années d’Histoire, Paulin Hounsounon-Tolin fait une double inscription en Philosophie et en Histoire. Il soutient sa maîtrise en Philosophie le 15 mai 1992. Inscrit à l’université Paris 1, Panthéon-la-Sorbonne, à l’Institut Catholique de Paris, à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, à Paris 8, Seine-Saint-Denis, au Centre Sèvres, etc., il approfondit ses recherches en Philosophie (Antiquité tardive, Stoïcisme, Sciences de l’éducation, Psychanalyse, etc.), En fait, il se découvre une soif dévorante pour les études. « J’ai préparé en 6 mois, 3 DEA (en Philosophie, en Sciences de l’éducation, etc.) et j’ai préparé aussi les certificats de latin académique (Prononciation restituée) et de grec ancien. J’ai préparé aussi le DARE (Diplôme d’Aptitude et de Recherche en Sciences de l’Education), préparé et rédigé un Doctorat en Histoire de la Médecine et Anthropologie de la Maladie, parce que je sentais mon niveau de culture générale très faible », se souvient-il. Il soutient sa thèse de doctorat en Philosophie le 21 février 2000, à Paris 1, Panthéon-la-Sorbonne. Mais il soutient une autre thèse de doctorat en 2009 en Sciences de l’éducation à Montpellier 3, Paul Valéry. Dès la soutenance de la première thèse, il rentre au pays en avril 2000. Il a la chance d’être recruté assistant. Il monte rapidement les échelons. Maitre-assistant en 2005, Maître de conférences en 2010, il est Professeur Titulaire en Philosophie depuis 2015. Ses contributions les plus significatives sont publiées dans des ouvrages comme Devoir de vérité de l’intellectuel universitaire, Droits de l’Homme et Droits de la Femme, Education et décolonisation culturelle de l’Afrique, Grammaire du Civisme et de la Politesse, Tournant utilitariste de l’Enseignement Supérieur en Afrique au sud du Sahara, Babélisme d’hier à aujourd’hui (Malédiction des langues), etc. Mais le Professeur Paulin Hounsounon-Tolin est surtout connu pour ses travaux sur l’éducation à la citoyenneté.

Intimité: Fan d’Alèkpéhanhou

Marié et père de cinq enfants dont des jumelles, le Professeur est féru de la musique traditionnelle. Il avoue son penchant pour le roi du zinli rénové Alèkpéhanhou. A table, il aime bien la pâte à la sauce gombo. En termes de boisson, il préfère de l’eau mais pour être resté au milieu des prêtres, il déguste du bon vin de temps en temps. Pour garder la ligne, il fait beaucoup de marche depuis quelques années.

La Rédaction
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