Professionnel des médias, Yannick Somalon a trempé sa plume dans l’une des réalités déconcertantes du monde portuaire : les conditions de vie et de travail des dockers au Bénin. Dans un livre dont le lancement officiel est annoncé pour le lundi, 12 juillet prochain, l’auteur révèle les facettes cachées d’un métier pourtant censé nourrir son homme…
Dans un entretien accordé au journal l’Evènement précis, le journaliste et auteur du livre “Docker béninois“, Yannick Somalon évoque la vie quotidienne d’un docker au Bénin. Si pour beaucoup, le docker est perçu comme un misérable qui s’occupe du ramassage des sacs et bagages sur la plateforme portuaire pour survivre, Yannick Somalon estime que le docker est d’abord un brave homme. «Un courageux qui affronte le vent marin et qui est à la première loge de toutes les activités de manutention dans un port. Le docker béninois est comme tout citoyen de ce pays. Donc, des gens qui méritent mieux que ce qu’ils vivent. En réalité, les dockers ne sont pas des conducteurs de taxi-motos qui quittent chez eux avec leurs motos, conduisent à longueur de journée ou de nuit à transporter des gens et puis qui rentrent chez eux sans rendre compte à personne. Les dockers au Bénin sont employés par la Société béninoise des manutentions portuaires (Sobemap). Des agents qui sont recrutés, déclarés à la Caisse nationale de sécurité sociale (Cnss) et donc, qui sont censés vivre une carrière descente jusqu’à la retraite. Mais tel n’est pas le cas. Puisque les dockers béninois, bien qu’étant enregistrés dans une société et déclarés à la Cnss ont une vie d’occasionnel et pour beaucoup, toute leur vie. C’est-à-dire dès le premier jour où ils sont embauchés jusqu’au dernier. Mais, mener une telle vie fait que le docker béninois a du mal à vivre décemment de son travail. Donc, ce n’est pas trop fort de dire que ce sont des occasionnels à vie. C’est une réalité et les exemples sont légions. Dire que ce sont des sacrifiés à la mer, c’est dire qu’ils sont aussi nombreux à être victimes d’accident, soit sur les quais ou dans les navires. Des accidents à l’issue desquels bon nombre d’entre eux meurent, d’autres gravement accidentés recouvrent la santé, mais avec des séquelles et continuent même après l’accident à vivre leur vie d’occasionnel. Sacrifiés à la mer parce qu’après leur décès, rien de sérieux ne se fait pour garantir un avenir meilleur à leur progéniture. Il n’y a pas une disposition qui permet de s’occuper de ces cas comme on le trouve dans beaucoup d’autres sociétés » a-t-il déclaré.
Sobemap : Les dockers sont la vraie richesse…
Selon le journaliste-écrivain, il est inutile d’en vouloir à la Société béninoise des manutentions portuaires (Sobemap) qui emploie les dockers mais il admet que ces derniers ne sont pas bien traités. Alors qu’ils constituent sa vraie richesse. “…quand vous faites confiance à la Sobemap, vous faites affaire avec la Sobemap, vous ne serez pas déçu… Mais, ce qui fait sa force, ce sont les dockers. Jean Bodin a dit qu’il n’est de richesse que d’hommes. La vraie richesse de la Sobemap, ce sont les dockers. Retirez les dockers à la Sobemap et vous verrez ce qui va se passer. Mais, cette force que constituent les dockers pour la Sobemap n’est pas bien traitée“ a-t-il déploré. Et de poursuivre «Quand je dis que les dockers ne sont pas bien traités, ce n’est pas la faute au Directeur général de la Société, ni celle du Directeur des ressources humaines etc… C’est en fait la faute au système qui est en place pour la gestion de cette catégorie de personnel qu’on appelle dockers. Un système qui date des décennies, qui ne connaît pas d’évolution et qui empêche le docker de bien vivre. Vous imaginez que dans une société, il y a deux catégories d’employés. Les conventionnés et les occasionnels. Les conventionnés ont leur convention. Un véritable document qui régit l’existence de ces conventionnés dans la société. Les avantages, les salaires, les primes, tout ce qu’il faut pour dire, oui je suis employé dans une société. Mais à côté de ses conventionnés, se trouvent les occasionnels, c’est-à-dire les dockers. Ils n’ont pas de convention, aucun document pour régir leur existence dans la Société, leur salaire, les primes et autres, rien. Du coup, la Société peut décider du jour au lendemain de réduire ou d’augmenter ce que gagnent les occasionnels à tel endroit. Ça peut être celui du gardiennage, ça peut être sur une catégorie de navire etc… les primes, de même ça ne bouge pas et il faut remplir un certain nombre de conditions avant d’avoir accès à ces primes. Au-delà de tout ça, les conditions de travail, les équipements et autres, tout se gère d’une manière où vous ne pouvez jamais comprendre ».
Un livre pour faire un plaidoyer
A travers cet ouvrage qui sera bientôt disponible, l’auteur estime ne pas être dans une dynamique de dénoncer mais plutôt faire un plaidoyer en faveur de l’amélioration des conditions de vie et de travail des dockers béninois. “C’est un plaidoyer. Je ne peux pas faire un plaidoyer sans que les gens ne sachent en faveur de quoi je plaide. Donc, nous avons décidé de faire un état des lieux, ce qu’était le monde des dockers, comment ça évolue et comment les choses se passent. Nous avons recueilli des témoignages. Ça n’a pas été facile. Personne ne veut parler de peur des représailles. Tout le monde a peur de dire tout haut ce qui se dit tout bas. Donc, après les témoignages, nous avons fait des propositions. Il y a des réformes en cours mais ce n’est pas encore ça. Nous avons fait des propositions et nous avons prévu un tome 2 dans lequel nous allons aborder les réformes en cours. Des réformes qui ont, il faut l’avouer, changé certaines choses dans le quotidien des dockers. Vous savez ? Avant, le docker peut venir au service manquer le tour et rentrer chez lui bredouille. Parce qu’il ne sait pas là ou se situe son matricule par rapport à l’embauche. Le tour peut le larguer sans qu’il ne le sache et il y a des pertes de temps, d’énergie, qui épuisent le docker. Aujourd’hui, c’est des bordés qui ont été créés. Le docker est informé s’il doit travailler ou pas dans une journée et sait comment s’organiser. Les caisses pour payer ce que gagne le docker, avant, c’était de longues files d’attente, des bousculades qui se terminent par des bagarres parfois. Mais c’est fini tout ça. Le docker aujourd’hui à un compte bancaire, sa carte et prend le fruit de son labeur au guichet automatique. Ce sont des avancées qu’il faut saluer et nous allons le faire dans le tome 2. Mais comme on le dit, tant qu’il reste à faire, c’est que rien n’est fait“ précise Yannick Somalon qui se dit convaincu que l’ouvrage finira par changer quelque chose. Notons que l’auteur de l’ouvrage a été docker avant de rejoindre la corporation des journalistes. Pour Yannick Somalon, l’ouvrage « Docker Béninois ! Occasionnels à vie, des sacrifiés à la mer, des témoignages émouvants », expose des faits réels qui se sont produits à des moments précis. Rappelons que le lancement de l’ouvrage est prévu pour lundi prochain.