En silence, des centaines d’hectares de mangroves se sont effacées le long de la côte béninoise en trois décennies. En dehors des coupes sauvages, les effets des changements climatiques pourraient peser dans la balance dans le futur. Des études récemment réalisées au Bénin, et publiées dans des revues à l’international appellent à un réel sursaut.
Les mangroves, il faut s’y accrocher au risque de les perdre. Vus du ciel, ces tapis forestiers posés sur la lagune côtière projettent un décor fabuleux. Une ballade à coups de pagaie, début juin, nous plonge dans une atmosphère sauvage, au milieu de racines majestueusement enfouis dans l’eau saumâtre : les palétuviers. « C’est beau pour le tourisme, surtout avec les cris d’oiseaux, ce calme que vous sentez sur l’eau et beaucoup d’espèces que l’on découvre ici », confie Gérald Djikpéssé, Président de l’Aire Communautaire de Conservation de la Biodiversité (ACCB) de Togbin-Adounko. Ces écosystèmes ont plus que ça à offrir. Ce sont avant tout des refuges pour la biodiversité. « C’est pour nous un nid de poisson. Avec cette protection, on laisse grandir les ressources halieutiques avant de les pêcher », ajoute-t-il.
Ces géants de la côte ont une vie, dont on ignore tout ou presque. Ces dernières années, les chercheurs du Laboratoire de Biomathématique et d’Estimations Forestières (Labef) sont beaucoup plus présents dans ce milieu fragile. Ceci, dans le cadre du projet de recherche : « Contribution à l’élaboration d’un plan de gestion durable des mangroves dans le contexte des changements climatiques au Bénin ». Les travaux ont été financés par le Fonds National de la recherche scientifique et de l’innovation technologique (Fnrsit). Ce jeudi de juin, Serge Zanvo et Constant Gnansounou, deux assistants de recherche du Labef acceptent de nous faire remonter le temps. A peine les discussions commencées que les chiffres avancés donnent le vertige.
Une forte régression par le passé
Les études menées révèlent que la superficie que couvrait la mangrove sur le site Ramsar 1017 a baissé de 62,07% entre 1988 et 2001. « On constate que la commune d’Abomey-Calavi a le plus perdu de superficie de mangrove soit 71,71%, suivie de Ouidah 50, 61% et de Grand-Popo avec environ 20% entre 1988 et 2001. Cette tendance régressive est la résultante des pressions anthropiques avec la coupe du bois de palétuviers. Mais entre 2001 et 2019, il y a eu un gain de 18,84%. Cette compensation a vraiment eu lieu à Ouidah et Grand-Popo », explique Serge Zanvo.
Et si les pressions identifiées dans le premier scénario, celui de la tendance régressive sont maintenues, les forêts de mangrove perdront 50% de leur superficie actuelle d’ici 2050. Il y a donc lieu de comprendre les pressions anthropiques et leurs impacts sur les peuplements. Pour y arriver, les chercheurs ont procédé à un biomonitoring. Des dispositifs ont été mis en place pour le suivi de plus de 50.000 arbres sur une vingtaine de sites.
Très présent dans ce milieu pour le suivi, Serge Zanvo note suivant le milieu, de grandes différences en termes de densité d’individu, de grosseur des bois et de hauteur des arbres. « Sur un site dégradé la densité des individus est cinq fois plus faible que sur un site préservé. Aussi, les individus avec un diamètre moyen de 15 cm sont les plus récoltés. Ce qui entraine une certaine instabilité de la structure des populations de mangroves », précise-t-il. Des élus locaux rencontrés entre Ouidah et Calavi, n’hésitent pas à le confesser. Les coupes pour la saliculture, la pêche etc, en sont pour beaucoup dans la régression. « Depuis l’interdiction des coupes de palétuvier par le Gouvernement, tout est rentré dans l’ordre. Nous y veillons avec rigueur », témoigne Nicaise Avohoun, Chef de Village de Ahouandji, commune de Ouidah. La pression a régressé. Cependant, le pire pourrait venir des changements climatiques.
Le climat, la menace du futur
La salinité, le taux d’oxygène et la conductivité sont des déterminants pour la survie, la croissance et la reproduction des espèces de mangroves. Et avec les changements climatiques, une salinisation élevée est à craindre, de même qu’une augmentation du taux d’oxygène (12-32%) et de la conductivité (10-17%) suivant les scénarios les plus probables pour l’Afrique de l’Ouest. De là, selon Corine Laurenda Sinsin, assistante de recherche au Labef, la lagune côtière de Grand Popo pourrait connaitre une augmentation de la salinité de 7 à 13%, une augmentation du taux d’oxygène de l’ordre de 12 à 32%, et une augmentation de la conductivité de l’ordre de 10 à 17%. Elle reste préoccupée. « A ce rythme, les espèces les moins tolérantes au sel, notamment les palétuviers rouges pourraient connaître une diminution de densité et d’abondance, avec un risque d’extinction. Cependant, les espèces les plus tolérantes au sel pourraient connaitre une expansion. Il urge de repenser et d’adapter les méthodes et techniques de restauration, en donnant aussi d’importance aux espèces plus résilientes mieux qu’on le fait actuellement », prévient-elle.
Restaurer et protéger, l’urgence
Les mangroves ont un mode de reproduction pour le moins original. Sur ces arbres, se développent de nouveaux individus, les propagules. Elles tombent au sol pour s’amarrer plus loin. Des efforts de restauration s’avèrent nécessaires. Corine Laurenda Sinsin a concentré les travaux de sa thèse, entre autres, sur les effets de la salinité sur l’émergence des semis et sur la croissance initiale des espèces. Elle mise sur la restauration par la plantation en repiquage indirect qui consiste à produire les jeunes plantules soigneusement choisis en pépinière puis à les transplanter en milieu réel. « C’est la méthode la plus raisonnable en termes de coûts, temps d’effectivité, et résultats. Les expérimentations que nous avons conduites suggèrent que toute eau de salinité inférieure à 17 psu est propice pour l’émergence et la croissance juvénile des palétuviers rouge et noir. Mais il faut que la salinité de l’eau d’arrosage soit choisie en concordance avec la salinité du site de restauration en vue de limiter les risques de choc osmotique », conseille la jeune chercheure.
La bataille mérite d’être déclenchée sans tarder. Surtout que ces écosystèmes sont de véritables puits de carbone. C’est aussi des remparts contre les chocs climatiques, dont l’érosion côtière.