Le 10 juillet 2021, les ministres des Finances du G20 ont approuvé une réforme fiscale pour les multinationales qui vise à mettre fin aux paradis fiscaux. Cela fait suite à l’approbation le 5 juin 2021 à Londres, des principes du projet dans le cadre des sept plus grandes puissances du monde, le G7, puis l’accord obtenu le 1er juillet 2021 par 130 Etats (deux autres pays se sont ajoutés par la suite) sur les 139 Etats , sous la houlette de l’OCDE dans « le cadre inclusif » G20/OCDE sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Le but visé est d’aboutir à la réforme des règles qui gouvernent le système fiscal à l’échelle internationale et garantir une contribution fiscale juste et équitable de la part des multinationales partout où ces dernières opèrent. Les prochaines étapes consistent en la définition des aspects techniques du plan en octobre 2021, la formalisation juridique dans le cadre d’un traité multilatéral en 2022 pour une mise en œuvre effective prévue en 2023
1. Un nouveau cadre audacieux pour la réforme fiscale mondiale.
La description des contours de l’accord peut être présentée autour des deux piliers qui en constituent l’ossature :
- Pilier 1. Il s’agit d’assurer une répartition des bénéfices pour le prélèvement des impôts entre les différents pays en vue d’appréhender les activités des grandes multinationales, y compris les entreprises numériques, à l’exclusion de deux secteurs : les industries extractives et les services financiers réglementés. Selon l’accord, une partie des profits réalisés par une multinationale, doit revenir à la juridiction de marché, du moment qu’il y a de l’activité sur son territoire, même si la firme n’y est pas présente. On aboutit donc à une réallocation des recettes perçues auprès des multinationales, à partir de leur lieu d’établissement ou pays d’origine vers les autres juridictions nationales où elles exercent. Cette réallocation est fonction de l’intensité de leurs activités commerciales et la réalisation de leurs bénéfices, que les entreprises y soient physiquement présentes ou non. Les enjeux financiers se chiffrent à 100 milliards USD de recettes fiscales au niveau mondial.
- Pilier 2. Le second point de consensus du nouveau cadre vise l’institution d’un plancher sur la concurrence fiscale en matière d’impôt sur les sociétés. Ainsi, dès 2023 « les multinationales avec une marge supérieure à 10% sur leur bénéfice devront s’acquitter de l’impôt sur les bénéfices des sociétés aux pays hébergeurs » par application d’un taux minimum de 15%. De façon pratique, « une entreprise française domiciliée fiscalement en Bulgarie, là où le taux d’imposition est l’un des plus faibles (10%), devra payer la différence au pays hébergeur. Dans ce cas précis, l’entreprise devra verser 5% de plus à la France pour atteindre ce fameux seuil minimum de 15%. L’idée est de rendre la domiciliation des multinationales, dans les paradis fiscaux sans intérêt au plan fiscal. Les projections tablent sur un gain de recettes supplémentaires de 150 milliards de dollars pour ce pilier.
C’est donc un total de 250 milliards USD de dollars que les deux piliers devraient générer. Malgré cela, le caractère audacieux de l’accord n’est pas partagé par tous.
2. Un nouveau cadre spécieux pour la gouvernance fiscale mondiale ?
La solution préconisée est perfectible aussi bien dans le fond que dans la forme. D’abord parce qu’entre la décision et la mise en œuvre de l’accord, il y a un délai de préparation et d’évaluation au cours duquel, les multinationales peuvent s’organiser pour contourner les contraintes de l’accord. Ensuite, les conditions de négociations suscitent aussi des appréhensions en ce que les termes ont été négociés dans un cadre institutionnel non classique. Ce n’est ni sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies (ONU), encore moins avec la participation des représentations nationales que l’accord a été obtenu. Une telle forme suscite des doutes sur la transparence, l’ouverture et les garanties d’égalité entre pays qui devraient prévaloir lors les négociations. Sur le fond, le taux de 15% du pilier 2 est jugé assez faible, au regard du taux moyen d’imposition dans le monde qui est de 22%. Pour une partie de la société civile, il est insuffisant pour faire face aux enjeux et compenser les externalités négatives des multinationales, notamment aux plans social et climatique, surtout en Afrique.
En dépit des propos du Ministre français des Finances, Bruno Lemaire qui l’appréhende comme une avancée et une « décision historique », la solution préconisée ne rassure pas pour autant certains pays dont le géant africain, le Nigéria. Le Kenya non plus n’a pas adhéré à la solution.
3. L’Afrique face aux contraintes techniques de l’accord sur la mise en œuvre de la réforme de la fiscalité mondiale
L’Afrique devrait en principe « gagner sa part de droit d’imposition dans la mise en œuvre de ce nouvel accord ». A titre illustratif, en ce qui concerne le Burkina-Faso, l’OCDE table sur « un gain potentiel de 7,61 millions de dollars selon le scénario pessimiste et 11,27 millions de dollars selon le scénario optimiste ». On comprend pourquoi le Bénin a marqué son accord à la solution préconisée par l’accord en signant la déclaration.
Mais au regard de la technicité poussée que tout ceci requiert, l’enjeu pour les pays de l’Afrique en général est de négocier des conditions de mise en œuvre adaptées aux capacités des administrations fiscales du continent. Car si les règles de mise en œuvre sont complexes et le coût de conformité trop élevé, nul ne doute que les Etats africains ne pourront convenablement tirer profit de ce nouvel accord. Les propos du Secrétaire général de l’OCDE selon lesquels les coûts de mise en conformité seront réduits au minimum, sont plutôt rassurants. Mais encore faudrait-il que la résolution de potentiels différends qui naîtraient de la mise en œuvre de l’accord soit encadrée par des règles qui garantissent des normes, des procédures hautement satisfaisantes, transparentes et pourquoi pas, le respect des règles du procès équitable.