L’affaire est compliquée. Les partisans de Sunday Adeyemo, connu sous le nom de Sunday Igboho, étaient jeudi au tribunal de Cotonou en soutien à cet activiste nigérian arrêté à l’aéroport de Cotonou le lundi 19 juillet dernier. Ce jeudi, le prévenu a été présenté au procureur de la République, mais l’affaire a été renvoyée à ce vendredi 23 juillet. Recherché par toutes les polices du Nigeria et sous le coup d’un mandat d’arrêt international, Sunday Igboho a pu échapper aux forces de l’ordre de son pays, avant d’être rattrapé à Cotonou lui et son épouse Ropo. Mais pendant que la justice béninoise s’active sur le dossier, le Bénin ne montre aucun empressement à livrer le fugitif au gouvernement nigérian. Le 1er juillet dernier, un contingent de la Department of State Security (DSS), une unité d’élite de la police nigériane, avait pris d’assaut sa résidence située à Ibadan, dans l’Etat d’Oyo. Des armes de guerre et des documents jugés compromettants avaient été saisis. Cette descente musclée avait occasionné deux morts parmi les résidents, tandis que Sunday Igboho avait réussi à s’enfuir avec son épouse de nationalité allemande. Une chasse à l’homme avait été lancée dans tout le pays pour le retrouver, mais sans succès. L’activiste qui revendique la création d’une nation Yorouba qui se détacherait de la fédération nigériane, est connu pour ses violentes diatribes contre cette fédération. Le gouvernement nigérian l’accuse de sécession et de détention d’armes de guerre. Il cherche à l’arrêter notamment pour mettre un terme à la montée vertigineuse de la contestation d’une partie des Yorouba nigérians. Ceux-ci organisent régulièrement des mouvements de protestation dans les Etats yorouba de la fédération nigériane.
Quand Igboho tombe aux mains du Bénin
Lorsqu’intervient l’arrestation de Sunday Igboho à Cotonou, les relations entre le Bénin et le Nigeria ne sont pas au beau fixe. Depuis deux ans, la fermeture unilatérale des frontières a donné lieu à un chassé-croisé diplomatique entre les deux capitales. En dépit de toutes les garanties de bonne foi offertes par Cotonou, Abuja reste campé sur sa position. En fin d’année 2020, les autorités nigérianes avaient promis la réouverture, ce qui ne s’est pas concrétisé dans les faits. Selon le magazine Africa Intelligence dans un article en date du 20 juillet dernier, le président ivoirien Alassane Ouattara a même tenté sans succès jusqu’ici de concilier les deux parties, Abuja trouvant insuffisantes les garanties offertes par le gouvernement béninois. Les autorités nigérianes réclament un juste partage des frais de transit ainsi qu’un droit de regard sur les marchandises passant par le port autonome de Cotonou en direction du Nigeria. Lors d’une rencontre au sommet entre les Présidents Buhari et Talon en janvier 2021, le gouvernement béninois est allé jusqu’à accepter la mise en place d’une force mixte non seulement pour surveiller les marchandises en transit vers le Nigeria, mais aussi pour opérer des patrouilles le long de la frontière entre les deux pays. Le procès Sunday Igboho permet à Cotonou de disposer d’un outil de négociation. D’autant que l’activiste nigérian a été pris en possession d’un faux passeport béninois avec lequel il tentait de prendre un vol en direction de l’Allemagne. De toute évidence, Cotonou est prêt à laisser la justice béninoise faire son travail d’abord sur l’infraction de faux et usage de faux, en attendant de voir si le gouvernement daignera donner suite aux nombreuses sollicitations béninoises pour la réouverture des frontières. Pratiquement dans les mêmes conditions, les autorités nigérianes avaient réussi en juin 2021 à mettre la main sur un autre activiste sécessionniste Ibo, Nnamdi Kanu arrêté au Kenya et extradé sans coup férir vers son pays.
L’activisme des Yorouba du Bénin
Dans la communauté Yorouba du Bénin, celle nigériane et celle nationale, les partisans de Sunday Igboho se mobilisent pour qu’il ne soit pas extradé. Alabi Mojeed Ajeleye, l’un des activistes rencontré hier au tribunal de Cotonou affirme ainsi que Igboho est un stimulant pour le moral de nombreux militants des droits des Yoruba. « Nous sommes ici à cause du Sunday Igboho, clame-t-il. Nous ne voulons pas qu’il soit extradé vers le Nigeria. Il a été celui qui s’est battu pour les droits du peuple Yoruba au Nigeria contre des bergers tueurs. Ils ont déjà attaqué sa maison et tué son peuple. Que recherche encore le gouvernement nigérian ? Ils n’ont pas libéré les personnes arrêtées et nous n’avons rien entendu. Ceux d’entre nous au Bénin qui sommes des indigènes Yoruba nous nous sentons soulagés d’entendre son nom. Il est une forme d’encouragement pour nous. S’il vous plaît laissez-le rester au Bénin ou permettez-lui d’aller en Allemagne. Il sera tué au Nigeria et personne ne sera plus encouragé à se battre pour le peuple. Nous ne voulons pas qu’il soit tué comme Abiola. »
Un autre partisan, Mikail Adjibadé, exhorte le gouvernement béninois à ne pas extrader Igboho. « Nous demandons au gouvernement de la République du Bénin que tout soit réglé à Cotonou. Nous ne voulons pas qu’Igboho soit tué. Ils peuvent le torturer à mort. Il a laissé la paix régner au Yorubaland », a-t-il ajouté. Yomi Aliyu, l’avocat de l’accusé au Bénin, avait précédemment exprimé l’espoir qu’une extradition n’aurait pas lieu. « Les autorités nigérianes et les agents de sécurité qui l’ont arrêté s’adresseraient au tribunal pour obtenir une ordonnance d’extradition afin de ramener Sunday Igboho au Nigéria. Mais il est peu probable que l’ordonnance d’extradition demandée aboutisse. Cela est dû au statut de notre client en tant que délinquant politique qui bénéficie de l’immunité contre l’extradition. » « Il existe un traité d’extradition entre quatre pays d’Afrique de l’Ouest, le Nigeria, le Togo, le Ghana et la République du Bénin, qui accorde aux Igboho l’immunité contre l’extradition de la République du Bénin », souligne l’avocat avant d’ajouter que le traité d’extradition de 1984 entre le Togo, le Nigéria, le Ghana et la République du Bénin exclue les fugitifs politiques. Il stipule également que lorsque le fugitif n’obtiendra pas justice en raison d’une discrimination et/ou d’un retard injustifié dans les poursuites, le pays hôte ne devrait pas libérer le fugitif. A Ifè même, les yorouba se mobilisent. L’Ooni d’Ife, Enita Ogunwusi, a formé un comité de 28 membres des élites du sud-ouest pour enquêter sur l’arrestation. Le coordinateur du comité, Akin Osuntokun, a déclaré que le groupe enquêterait sur les problèmes entourant la détention d’Igboho et les sujets associés. L’ambassadeur du Nigéria près le Bénin, le lieutenant-général Tukur Buratai, ancien chef d’état-major de l’armée nigériane, a envoyé deux correspondances aux autorités béninoises pour obtenir l’extradition. Pour le moment, Cotonou préfère utiliser la voie de la justice. Depuis quelques années, les sécessionnistes de diverses régions tentent de séparer leurs communautés de la fédération nigérianes, occasionnant de violents mouvements de protestation.